Arrête de faire le clown !
Le cirque Amar, après avoir connu bien des vicissitudes, essuyé des tempêtes, au propre comme au figuré, sillonne toujours les routes de France. La raison sociale, l'enseigne prestigieuse a été
rachetée par Firmin Bouglione. Deux des frères Amar sont encore en vie : Mustapha et Schérif.
Sur Schérif, Jeannette est intarissable. Elle n'a pas oublié
son mentor, son cornac, son amant, adoré, détesté... Elle affirme qu'il vient habiter ses rêves. Elle me dit un jour : "Tu sais, je suis sûre qu'il est passé devant le zoo. Il a voulu voir où
j'étais..."
Jeannette, entre deux volutes de gauloise qui semblent l'auréoler, me conte mille historiettes du Cercle Enchanté. Les Bouglione, Gruss, Meyer, Holzmaïer, Saulevitch, Dréna et Zavatta deviennent plus proches que certains de mes cousins éloignés.
Justement Zavatta. Il a gagné ses galons de vedette avec une forte personnalité. La télévision, le cinéma l'ont rendu très populaire. Il est aujourd'hui l'un des rares artistes de cirque à figurer dans le dictionnaire.
J'aime particulièrement une photo : dans les
coulisses du cirque Amar et les années cinquante, Achille Zavatta, maquillé mais encore en peignoir, donne un baisemain à Jeannette Mac-Donald, rayonnante de beauté. Toute la poésie du cirque
émane de ce cliché.
"Amar vient à Toulouse. Y'a Zavatta. Ca te dirait d'y aller ?" me demande Jeannette. Ce qui revient à demander à un ours s'il veut du miel.
Ne me demandez pas par quel moyen de locomotion nous nous sommes rendus à Toulouse : je ne m'en souviens plus.
Par contre, comment oublier l'accueil fait à Jeannette par Achille ?
Sur le seuil de sa caravane, après la représentation, Zavatta, au faîte de sa gloire, constate : "Ah ! Jeannette ! Tu me vieillis de 20 ans".
Jeannette, vexée, ne retiendra que cette phrase, et puis cette autre : "Tu vois, moi, je prends de la jouvence de l'abbé Soury".
En 1976, Zavatta publie ses mémoires : "Viva Zavatta". Achille n'est pas à une pirouette ou un à-peu-près près. Avec superbe, il publie une photo de lui et de Jeannette, prise très exactement à Bayonne. (Voir photo page du 11 juillet.)
Et sans scrupule, ou avec amnésie, il légende la
photo : "Mme Lee qui a élevé, au sein, ces deux lionceaux orphelins, Sultan et Tarzan". La phrase, qui prête à rire, est un concentré d'erreurs. Tout d'abord, les lionceaux ne sont pas
deux, mais trois. Ce sont trois mâles nés de Zouina le 20 février 1957. Si Mme Lee avait eu une parenté avec le général Sudiste, on l'aurait su. Et enfin, Jeannette ne dégrafait pas aussi
facilement son corsage.
"Viva Zavatta" Editions Robert Laffont - Collection "Vécu" - 1976
Jeannette, que j'informe de la nouvelle identité que lui donne son ancien confrère, balaie de la main l'excentricité de
l'auguste.
Pas procédurière, Jeannette aurait pourtant pu obtenir réparation au nom du droit à l'image, du préjucide subi, voire un simple droit de réponse. Mais Jeannette s'en fout. Pas fière.
Zavatta poursuivra sa route. Il créera un cirque à piste surélevée. A 65 ans, il épousera une avocate qui, par amour, deviendra acrobate et lui donnera un fils.
Zavatta veut créer un numéro de trapézistes aux seins nus. Pour un peu, il aurait présenté l'acrostiche ELSA :
Elle
Lèche
Suce
Avale
Zavatta, comme le remarque Pierre Lartigue "est en perpétuelle représentation".
Zavatta arrête de faire le clown en 1993. Il se donne
la mort en novembre.