Le préfet au zoo
Tartuffe.
C'est un peu comme une libre interprétation du "Tartuffe", le faux dévot de Molière, adapté au cirque.
Des dames patronnesses, entricotées caca d'oie jusqu'au menton, accompagnées d'un néo-Noé, viennent en simple visite au zoo de Jeannette. Elles minaudent devant les petites et les grosses
bêtes. Elles se disent membres d'une association de bienfaisance au profit des animaux. Jeannette, prise par les sentiments, fond, donne sa totale confiance.
Or, les dames patronnesses et néo-Noé font partie de ces terribles ongulés, prédateurs sous le masque du justicier, ne souffrant pas le moindre poil de chat sali par un lait de mauvaise
marque. L'association de bienfaisance aux animaux n'est autre qu'une association de défense des animaux captifs. On imagine la suite.
Je ne l'écris que dans le souci du détail, et sans rien occulter dans la biographie de celle qui fut et reste pour moi une femme intègre. Souvent, il est constaté que les "biographés" "tuent"
leurs biographes. Permettez-moi de ne pas être d'accord.
Nos dames patronnesses et néo-Noé se rendent donc illico à la Préfecture pour signaler aux services sanitaires qu'il existe à Buzet un lieu qui se dit zoo, qui ne possède ni eau courante, ni
électricité, où de nombreux chiens vivent attachés, où les animaux sont maltraités et faméliques, suivis de quelques mots habituels en pareil cas.
"La Dépêche du Midi" du 14 septembre 1978 titre : "Vers la fermeure d'un zoo à Buzet ?"
Et celle du 23 courant : "Tout le village au secours du zoo. Souscription du
comité des fêtes."
"Mes bêtes, c'est toute ma vie, ne cesse de répéter Mme Jeannette Mac Donald, les yeux pleins de larmes, c'est ma seule famille."
(...) Le 30 juillet dernier, Christian Godon comptait parmi les visiteurs du zoo (...) Il disait vouloir organiser une kermesse dont il aurait remis tous les bénéfices au zoo (...) En
réalité, M. Godon est le président de l'association de défense des animaux captifs, ému de la situation de "misère physique et morale" (ce sont ses propres termes) des quelques quatre-vingts
pensionnaires du zoo. Il devait, très peu de temps après, réclamer auprès de la préfecture de Toulouse la fermeture immédiate du zoo et invoquait par ailleurs le manque d'eau courante et
l'absence d'une installation électrique, désormais nécessaire à tout parc zoologique."
En fait, tous les animaux de Mme Mac Donald n'ont rien de famélique, de même que la trentaine de chiens qu'on laisse aux portes du zoo, et dont Jeannette s'occupe avec autant de soins que de ses
lions, même si cela lui coûte des sacrifices supplémentaires (...) Les services vétérinaires de la Direction des établissements classés de la préfecture n'ont, quant à eux, rien constaté
d'alarmant. (...) La préfecture de Toulouse a accordé un délai de trois mois à Mme Mac Donald pour réaliser les travaux nécessaires.
M. Thiard, le maire de Buzet-sur-Tarn, a déjà beaucoup d'idées. L'achat d'un motopompe mettant l'eau du puits sous pression, ainsi que celui d'un frigidaire fonctionnant au gaz butane, serait une
solution peu onéreuse.(...) (1)
Le préfet au zoo.
Le docteur Agard est un interlocuteur privilégié de Jeannette. Avec sa diplomatie et son tact habituel, il sait faire preuve de psychologie auprès d'elle. Par le passé, Jeannette n'a pas mis de gants pour stigmatiser l'attitude de certains vétérinaires : "Les vétérinaires de Bordeaux sont tous des imbéciles. Ils n'ont même pas été capables de sauver mon éléphante Sabu".
Mais le docteur Agard, elle le respecte ; je l'ai toujours entendue tenir des propos élogieux à son égard. Ils prennent tout leur poids quand on sait la dent dure qu'elle peut avoir quand quelqu'un a "chié dans ses bottes".
Le docteur Agard reconnaît que Jeannette est une "charmeuse".
Un jour, il est appelé par le directeur des services vétérinaires : "Tu sais, lui dit ce dernier, le préfet est très remonté. Il veut faire fermer le zoo. Préviens Jeannette, arrange-toi pour que ce soit assez propre. Nous passserons te prendre."
Dans la voiture qui les conduit au zoo, le préfet fulmine. Il a dû en entendre de toutes les couleurs... Ils arrivent au parc. Jeannette les reçoit, simplement, comme elle l'a toujours fait, sans fard, intègre, cohérente, pareille à elle-même, comme celle qui a approché le roi du Maroc, qui lui a offert un fauve, ou Jules Pons, ou Jean Bergail, menuisier, qui lui offre l'apéro aux "Routiers". Jeannette montre des photos du temps où... , caresse le lion Royal, qu'elle appelle "mon fils"...
Le préfet, la larme à l'oeil, n'a pas fait fermer
le zoo. Il a glissé sa main dans la poche de sa veste, en a sorti un portefeuille et a tendu un billet de 100 francs.
Un portefeuille d'élu peut être autre chose qu'un maroquin d'apparat.
(1) "La Dépêche du Midi" - (Françoise Julia) - 23 septembre 1978.
"La Dépêche du Midi" - 23 septembre 1978.