"Quel âge ça te fait, maintenant ?"
me
demande encore Jeannette.
"Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ?"
Journaliste. J'aimerais bien être journaliste. Pour étancher des curiosités. Pour approcher des gens qui sortent de l'ordinaire. Oui, c'est ça. La presse me fascine. Ecrite, parlée,
imagée...
Mon premier geste, le réveil sonné, était d'"ouvrir" Europe 1. Les voix de Maryse et de Philippe Gildas me parlaient, chaudes, sensuelles, amies... Les voix s'arrêtaient. Un disque partait. C'était magique. "Europe 1 et les montres Seitko à quartz vous donnent l'heure à la seconde près." Suivaient Madame Soleil et son horoscope, la météo d'Albert Simon et son timbre de voix infalsifiable, Pierre Bellemare et ses histoires extraordinaires, "Faites vos prix", "Europe Stop". "Nous suivons une voiture immatriculée... avec l'autocollant Europe 1. Si vous nous écoutez, arrêtez-vous, nous avons de l'argent à vous faire gagner", "Bonjour monsieur le maire" et "Vive la vie" de Pierre Bonte.
Justement, Pierre Bonte. Son émission brosse le portrait de personnages cocasses, qui fleurent bon le terroir, ou qui s'illustrent par une particularité, une curiosité. Ca donne des phrases du genre : "Un jour, j'avais perdu un peu de sous. On me les a ramenés. On a dit : ça sent la vache, c'est à la Louise".
Pierre Bonte contacte Jeannette. Les rapports qu'elle entretient avec les journalistes ont toujours été très étroits. Pierre Bonte envoie au zoo de Buzet un jeune reporter qui fait ses premières armes : Laurent Cabrol. L'émission est diffusée le 8 février 1978.
Mais si je n'écoute et ne défends qu'Europe 1, Jeannette, en revanche, ne jure que par Fance Inter. Dans la caravane, la radio est allumée jour et nuit. Il y a toujours des piles de côté.
Dédicace de Laurent Cabrol. "Le bonheur est dans le pré", de Pierre Bonte. Stock. 1976
Bonjour, monsieur le maire.
Est-ce pour ça, pour la radio, véhicule royal du verbe ; est-ce parce que je viens de lire les aventures du reporter Joseph Rouletabille, de Gaston Leroux, et son
"bon bout de la raison", ou est-ce tout simplement pour aider Jeannette, à ma façon, que je me saisis d'un petit magnétophone et que je vais recueillir des voix, des soutiens, des
témoignages pour Jeannette, à qui on reproche un amour singulier des animaux ?
Le maire de Buzet-sur-Tarn, Maurice Thiard-Montans, ancien directeur des programmes de FR3 à Toulouse, accepte de bonne grâce de répondre à mes questions.
Je tiens à retranscrire cet échange, sans en ôter un
seul mot, tant il résume parfaitement la situation.
" - Monsieur le maire, comment analysez-vous la situation actuelle de ce qu'on a appelé le drame du zoo ?
- Eh bien, je vais vous répondre de plusieurs manières. D'abord, en ami du cirque, et évoquer un souvenir personnel. Un de mes meilleurs souvenirs d'enfance, c'est, grâce à un parent, la possibilité que j'ai eue d'entrer dans la loge d'Albert Fratellini. Et j'ai toujours été amoureux du cirque. Donc, je comprends très bien le drame, car c'est bien un drame, qui se passe à notre zoo.
Je dois dire qu'il y a deux choses. D'abord, je n'accepterai pas qu'on dise que la municipalité, ou en tous cas personnellement et le secrétariat de mairie n'avons rien fait, mais nous avons eu de grosses difficultés qui sont les suivantes. Ce n'est que sur le plan privé qu'on peut faire quelque chose puisque ce zoo n'appartient pas à la municipalité mais installé sur un terrain qui lui appartient, pour un loyer que pratiquement on ne fait jamais payer.
Donc, la seule chose que j'aie pu faire, c'est d'abord -et je m'en excuse- d'éviter des ennuis à Jeannette, des ennuis que pouvaient lui causer les services préfectoraux parce qu'elle n'était pas, aussi bien sur le plan de la surface que sur le plan du nombre d'animaux -et je ne parle pas des lions, mais des chiens-, elle risquait d'être en infraction avec la loi. Cette loi a changé, et maintenant, il ne s'agit plus d'autorisation pour un chenil, mais d'une autorisation qu'on peut lui donner, ou plus exactement que les services officiels donnent, non pas officiellement mais en fermant les yeux. J'ai toujours obtenu tant du côté de la préfecture que du vétérinaire de Montastruc l'appui amical le plus compréhensif.
En dehors de cela, que fait-on ? Eh bien, c'est tout le village qui aide Jeannette, en récoltant des croûtons de pain pour les chiens, en transportant sa viande, et certains, venus d'un village voisin, en allant lui construire des choses un peu plus solides.
J'ai fait acheter, grâce à une collecte, un congélateur, une pompe, pour qu'elle puisse avoir l'eau courante, et je ne sais pas si elle a pu ou seulement voulu s'en servir. J'ai eu l'occasion de payer quelques notes qui traînaient, mais cela est sans aucune importance.
La réalité, c'est qu'il y a un problème humain, celui de cette personne âgée, qui vit dans des conditions invraisemblables, mais également celui des bêtes et celui des chiens. Je n'ai pas tellement d'inquiétude pour ses lions, car je sais qu'ils sont -il n'y a qu'à les regarder- en parfaite santé et en bon état.
En revanche -et je me suis un peu heurté à elle à plusieurs reprises-, je ne suis pas très d'accord sur le nombre de chiens qu'elle accueille. Je dis "qu'elle accueille" parce que, ce qu'il faudrait, c'est que -et je lui ai demandé, elle ne l'a pas fait-, si par hasard, on abandonne, car les gens sont insensés et cruels, si on abandonne un chien sur le territoire du zoo, qu'elle me prévienne et que le jour même, on le porte à la SPA. Cela, pour des raisons qu'elle m'a expliquées, elle ne le veut pas.
Alors, je crois que ce zoo, tant qu'on mettra le pied à l'intérieur, on sera accueilli par une quarantaine d'aboiements -non pas de chiens méchants, car il n'y a jamais eu de problème, mais des hurlements-, comment voulez-vous que des familles toulousaines viennent se détendre dans un endroit que j'aurais volontiers rendu plus accueillant pour les enfants si ça avait été possible.
Jeannette est une personne touchante, sensible, étonnante, mais il faut le reconnaître avec un caractère parfois un peu dur, et qui n'accepte pas, je ne dis même pas les ordres, car je ne peux pas me permettre de lui en donner, mais les conseils.
Elle vit dans sa solitude avec une dignité telle
qu'il est difficile de la convaincre."