3 août 2009 1 03 /08 /août /2009 18:48

A décharge

Jean et Jeannette.

Il se présenta un homme, comme un visiteur ordinaire mais perruqué, poudré, comme le travesti du boulevard d'Arcole, hormis les lèvres comme des canapés. Ni Jeannette ni moi ne le reconnûmes d'abord. Il avait l'oeil vif et curieux. Il se réjouissait à l'idée de voir les animaux. Il vit les lions, il vit les rats ; il sortit de quoi écrire et écrivit une fable, "Le lion et le rat". Jeannette et moi dirions bien qu'il s'agissait de Jean de La Fontaine si nous ne craignions que vous nous prissiez pour des fous ; une folie douce, sans doute, mais contagieuse.


Un numéro inédit : "Le repas de l'Homo-sapiens". (Photo Jacques Madrennes)


A décharge.

Quand Jeannette enfourche sa mobylette suivie de sa légendaire remorque, pour se rendre "au village", elle sait qu'il y aura deux stations : "Le Relais des Routiers" et la décharge publique.
Aux deux endroits, elle retrouvera ses sources de vie.
"Les Routiers", vieille bonne chaîne libre, longue, offrent des murs, des toits et des tables solides, et des repas et des boissons roboratifs à ceux qui, même sans avoir lu Giono dans "Que ma joie demeure", en appliquent la phrase : "Les hommes, au fond, ça n'a pas été fait pour s'engraisser à l'auge, mais ça a été fait pour maigrir dans les chemins, traverser des arbres et des arbres, sans jamais revoir les mêmes arbres, s'en aller dans sa curiosité, connaître."

La route de Jeannette, qui ressemble maintenant à une impasse, s'arrête aux "Routiers" pour mieux redémarrer : peut-être y rencontrera-t-elle Bukowsky et Kerouac, et se jettera avec eux des anisettes derrière la cravate ?

Et puis le Grand Cirque Mac-Donald pourra reprendre le chemin vicinal...
"Applaudissez, mesdames et messieurs, c'est un peu de "La Strada", échappée de la pellicule qui passe devant vous..." Gelsomina sans Zampano... Aujourd'hui Ici, demain, Ailleurs... AIDA...

Là, après la rivière, en pleine nature, voici des reliefs de toutes natures : la décharge publique.

La décharge publique : en fait, Jeannette s'arrête ici pour jouer l'une des plus célèbres "entrées" clownesques : "Charge, décharge".

Je me demande pourquoi le cinéma n'a pas plus utilisé que ça les décharges publiques. C'est un lieu mystérieux et magique.

De nos jours, c'est cuit.

A Bessières, la décharge est enfouie pour l'éternité sous la terre (à deux pas de là, on va construire un collège), et je serai curieux de pratiquer des carottages sur les lieux pour savoir ce qu'il est advenu de la compression des matières.

Aujourd'hui, le tri sélectif, le recyclage, les incinérateurs ont relégué les bonnes vieilles décharges odorantes au rang de souvenirs.

Mais à l'époque dont je vous parle, la décharge de Bessières, c'était un peu Rome et ses sept collines.

Jeannette, donc, adorait y faire étape, en fidèle pélerine. Elle venait y rechercher l'or que d'autres considéraient comme du toc. Elle y a parfois découvert de véritables trésors.

L'artiste Jeannette Mac-Donald, qui s'était produite sur les belles pistes du monde, en gants blancs, bottes cirées, chemisier à jabot, aussi belle de Grace Kelly dans un film d'Hitchcock -oui, vraiment, j'aurais bien vu Jeannette tourner dans un film d'Alfred-, "faisait les poubelles", marchait sur des piles instables de rebut de cave, de cuisine, de garage, de chambre ou de grenier, en bottes de caoutchouc, en tablier "surrapiécé" et un foulard sur la tête !
Sa préférence allait vers les vêtements, les chaussures, les ustensiles de cuisine (elles les transformait en "gamelles" pour les chiens ou en tasses de thé pour les invités !), les boîtes, cartons, étuis, récipients, les sacs, les chaînes, les cordes, les fils de fer, les conserves périmées de seulement 23 heures, les cageots, les cagettes, les roues pour remplacer les roues, les tricots pour les niches des chiens, les frigos et même les rôtissoires, tout ce qui se branche et n'a jamais été branché, les "ça peut servir", les "on sait jamais"...

Alors Jeannette chargeait. Jeannette jouait "Remorques" à guichets fermés.

Jeannette, conservatrice de ce musée baroque, commissaire de cette exposition, de cette installation, entrait en rage lorsqu'elle dénichait, entre une capote humide et un trognon de pomme, un attribut religieux, un crucifix cassé ou une vierge déflorée. Elle les sauvait in extremis de l'hérésie.
Aussi "compassionnée" sans doute, et avec le recul peut-être révélateur d'un certain manque, elle adoptait aussi toutes les poupées et tous les poupons désarticulés...
Si elle a trébuché sur de nombreux cadavres d'animaux les plus divers, elle n'a jamais découvert de vrai bébé humain, comme il se peut lire dans les gazettes, et n'a pas plus trouvé le trésor de l'Île Mystérieuse.
Quant à moi, contaminé par le virus de la glaneuse, je m'en suis presque approché. C'est une pièce rare, une trouvaille inespérée : le programme-papier du Cirque d'Hiver de Paris, saison 1954 ! En parfait état. Très prisé par les collectionneurs. Si on se souvient qu'elle y a donné son tour en 1956, à deux ans près, c'est Jeannette Mac-Donald elle-même que j'ai bien failli ramasser parmi les déchets !


De retour de la décharge... (Photo JF)
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