Correspondances
"Bob" Vasseur
Je ne brillerai pas au fronton du Cirque d'Hiver. Qu'à cela ne tienne. Nous avons visé trop haut. Nous n'étions pas dans le "coeur de cible". Tout ça ne nous empêchera pas, Jeannette et moi, de
suivre l'actualité circassienne. grâce à la mythique revue "Scènes et Pistes", et au bulletin du "Club du Cirque". Lorsque je lis à Jeannette une information erronée, elle
fulmine.
Lorsqu'un cirque plante sa toile à Toulouse, nous faisons en sorte d'aller le visiter.
Jeannette m'emmène au cirque Pinder, où elle
retrouve ses amis Betty Stom et son époux Robert Vasseur, dit "Bob". Avec Betty Stom, elle a partagé l'affiche du cirque Amar durant plusieurs saisons. Betty présentait en solo un numéro de
trapèze, avec suspension par les talons en ballant et en pointe.
Robert Vasseur occupe maintenant une place prépondérante chez Pinder. Homme de confiance de Jean Richard, qui possède la prestigieuse enseigne, directeur du cirque, ma mémoire me restitue de lui
un homme d'une bonhomie tranquille.
Eva et Bob reçoivent Jeannette et l'aide de camp que j'accepte d'être avec tous les meilleurs égards.
"Tu n'aimerais pas travailler chez Pinder ?"
Devant ce qui devait ressembler à l'enthousiasme d'un "si", Jeannette me dicte cette lettre :
"Monsieur et Madame Vasseur,
J'ai eu grand plaisir à vous revoir l'autre soir à Toulouse. Cela m'a rappelé de bons moments lorsque nous étions chez Mustapha Amar, il y a quelques années de cela.
J'espère pour vous comme pour moi que nous
aurons une excellente saison, car les deux années précédentes ont été désastreuses, surtout pour moi qui exploite ce petit zoo, en pleine forêt, qui est sept à huit mois inondé par an.
Décemment, je ne peux pas recevoir les gens dans de telles conditions.
J'arrive à joindre les deux bouts avec la gentillesse des gens qui m'environnent.
Je suis seule, et jusqu'à présent, heureusement que le petit jeune homme avec qui vous avez fait connaissance me donne un bon coup de main.
A ce sujet, je voulais vous demander, puisque celui-ci n'a pas d'emploi pour le moment, si vous auriez une place pour lui dans une branche secrétariat ou caissier, car je me porte garante de son honorabilité. Je le connais depuis bientôt huit ans, c'est un jeune qui a une mentalité peu commune à la génération de maintenant. De plus, à ma fréquentation, il a pris le virus du voyage. Je pense que cela n'est pas mal pour un jeune, et qui peut faire carrière s'il est bien dirigé.
Je vous le recommande, cela me ferait un grand plaisir.
Si vous pouviez contribuer à lui faire avoir un avenir dans ce milieu qu'il affectionne particulièrement.
Croyez bien que pour moi, je ressentirai une absence s'il venait à partir, mais il faut que des jeunes puissent participer à la vie du cirque.
En espérant que vous pourrez donner une suite favorable, même si ce n'est pas tout de suite, mais à la première occasion, veuillez croire, Monsieur, Madame, en mes amitiés sincères.
Et je vous remercie pour les cartes-invitations.
Jeannette Mac-Donald."
La lettre s'est-elle égarée ? Mes parents m'ont-ils
seriné que la vie de saltimbanque restait très aléatoire ? Je ne sais. J'ai continué, en sédentaire, à puiser de l'eau et à évacuer le lisier des grands lions qui avaient traversé des cerceaux
fleuris et marché sur des poutrelles en montrant leurs dents.
Bocky
1982. Le cirque Jean-Richard fait halte à Toulouse. Au programme, de
nombreux artistes ont bien connu Jeannette Mac-Donald, au temps où elle avait toutes ses dents. Roger Lanzac, "Le Grand Sympathique", rendu populaire par la télévision, Christina Meyer,
la fille de l'écuyer Willy Meyer, qui, à présent, dompte des éléphants et "rode" un numéro de chiens footballeurs ; les clowns Bocky, Randel et compagnie. Bocky, élégant clown blanc, promène sa
silhouette dans son "sac" pailleté ; il met en valeur les pitreries des trois augustes, Randel, et les espiègles partenaires féminines qui, à la ville, sont leurs épouses respectives.
Bocky me reçoit très cordialement dans sa caravane. Il connaît la situation actuelle de Jeannette, et il est prêt à l'aider, d'une manière ou d'une autre, mais "il ne faudrait pas que ce soit un coup d'épée dans l'eau ; il faudrait que ce soit de
manière durable."
Déjà, il offre des places gratuites...
Jeannette, forte, fière, cache sa joie, son amour-propre, mais cette
fois-ci regimbe, ne veut pas venir au cirque, ne veut pas qu'on la voie ; elle est heureuse de distribuer des places gratuites au cirque autour d'elle, mais elle, elle n'ira pas. Non, elle
ne veut pas qu'on voie son visage creusé de rides, qu'on sache qu'elle a troqué ses belles bottes de cuir contre des "caoutchoucs"...
J'écris à Bocky :
"Cher Bocky,
J'ai regretté de ne pas t'avoir revu dimanche à Toulouse, mais Jeannette a refusé une seconde fois de venir. C'est parfois difficile de la comprendre.
Elle m'a demandé de l'excuser auprès de toi, ainsi qu'auprès des personnes qui,
de près ou de loin, ont pensé à elle. (...) Pour ma part, je te remercie sincèrement de ton accueil, ta compréhension, ton affabilité. (...) Transmets toutes mes salutations à Randel et
compagnie..."
De Rodez, Bocky répond :
"Mon cher Joël,
(...) Comme je te comprends, mais il faut que tu comprennes aussi les gens, et ça, c'est très dur pour le cas de Jeannette ! Il faut se mettre à sa place : une femme qui a été adulée durant sa vie, choyée peut-être, félicitée, etc... Selon le caractère de la personne, on se tient toujours en haut de la société, et c'est son cas, son orgueil, sa fierté, mais cela est tout à fait normal. (...) Crois moi Joël, je la comprends car je crois que j'aurais fait pareil."
Bocky aussi a arrêté de faire le clown..
Professeur Nouvel
C'est une lettre que m'a dictée Jeannette.
Elle est destinée à Monsieur le Professeur Nouvel, Zoo de Vincennes, 75 Paris.
"Monsieur,
Je viens me rappeler à votre souvenir. Je vous ai rencontré à plusieurs reprises au Jardin des Plantes, quand il y avait encore le Professeur Urbain.
J'étais venue chercher des loups, hyènes que M. Maximovitch m'avait vendus.
A l'heure actuelle, je me trouve dans la Haute-Garonne, où j'ai pu me loger dans un petit zoo, commune de Buzet / Tarn, après tous les ennuis que j'ai eus en Afrique du Nord.
Malheureusement, au mois de février, ma mère lionne et père sont morts et je me trouve actuellement avec 6 jeunes lions, mais pas de lionne.
Peut-être avec le zoo de Vincennes et le Jardin des Plantes, avez-vous des naissances ?
Si oui, pourriez-vous m'en procurer une ?
Je vous demande, si cela était possible, de m'en faire cadeau, car mes moyens sont très petits, vu que mon zoo est mal placé, je ne fais pas de recette.
Vous connaissez mon amour pour les animaux et tout mon argent va à leurs soins.
J'ai un jeune qui veut bien faire le déplacement Toulouse / Paris pour me la prendre gracieusement, donc il faudrait une jeune bête. Je préparerai un sabot en fonction de la taille de la
lionne.
J'espère que vous voudrez bien me rendre ce service, et si quelquefois vous aviez d'autres animaux en surplus qui pourraient agrémenter mon petit parc, cela me rendrait bien service.
En m'excusant de ma mendicité qui me serait utile, recevez mon cordial souvenir.
Jeannette Mac-Donald."