Les nuits fauves
Pourquoi les romanciers transforment-ils les puanteurs en parfums ?
Ca sent le fauve. Ca pue, ça fouette, ca cocotte, ça schlingue... le fennec chez la dame du zoo. Et alors ? Beaucoup moins que des pieds d'ados en colonies de vacances , un soir
d'été, après une journée de randonnée.
On a mis sur le compte du zoo de Jeannette les puanteurs qui venaient en fait de l'épandage des vidanges des fosses septiques, dans les champs environnants !
Il ne se passe pas de vie sans salir, sans entamer,
sans user, sans rejeter.
Jeannette me disait : "Laisse-les dire... C'est des enculés. C'est des mange-merdes".
Jeannette ne va pas chercher midi à quatorze-heure. Elle ne se masturbe pas avec des mots compliqués. Pour elle, une verdine, c'est une roulotte ; une gardine, un rideau ; un
réquisit, un tabouret. Elle laisse ces mots aux théoriciens et aux collectionneurs...
Ce qui ne l'empêche pas d'aimer les mots. Elle en a toute une collection de bons, et d'anecdotes qu'elle débite avec son accent de Montrouge.
Elle écoute aussi beaucoup la radio, surtout la nuit. Nous tombons d'accord sur la qualité des "Choses de la Nuit" de Jean-Charles Aschéro, sur France Inter, dans la nuit
du dimanche au lundi. Nous échangeons nos impressions sur "Les enquêtes du commissaire Joubert" et "La fille derrière le paravent".
Jeannette et Tarass, dans "leur" caravane, on servi de visuel à l'affiche de l'exposition de Gilles Favier. Galerie Différence à Toulouse, du 27 avril au 24 mai 1981
"Toute ressemblance ou similitude avec des personnages vivants ou ayant vécu ne serait pas fortuite..."
Dépliant "Le Monde du Cirque de passage aux Mazades" Mairie de Toulouse. Fevrier / Mars 2005.
Ass. "Les Insolites".
Les nuits fauves.
La nuit, tous les chats sont gris. La nuit, toutes les crevettes, même roses, sont grises. Tous les lions aussi sans doute.
Qui n'est pas entré dans l'antre de Jeannette la nuit, a raté un grand moment de sa vie.
Les contes et les légendes autour des forêts ne sont pas des contes et des légendes : Jeannette Mac-Donald a bel et bien joué au tiercé avec Robin des Bois, a recueilli des quantités de "Petits
Poucets", a refait le monde avec l'enchanteur Merlin, a dormi avec "la belle au bois dormant", s'est promenée autour de "la mare au diable".
Les nuits de grand vent, les frondaisons des chênes ondulaient en chantant. Les nuits de pluie promettaient flaques, chantoirs et gadoue. Quand il s'arrêtait de pleuvoir, chez Jeannette, il
pleuvait encore : les arbres s'essoraient. Il pleut toujours sur le mouillé.
Pour les grand froids, Jeannette faisait confiance au poële à gaz ; pour les coupures, les blessures, les entailles occasionnés par son travail, elle se donnait au léchage des plaies par les
chiens : il n'existe pas de meilleur traitement émollient et antiseptique.
Jeannette, blottie dans sa caravane, dans la chaleur animale, allumait une lampe tempête, grillait une cigarette, écoutait la radio : "Tu sais, me disait-elle, il y a des
nouvelles que l'on n'entend que la nuit." La météo de Jacques Kessler, sur France Inter, était confirmée par les bêtes. Les bêtes sont sensibles aux changements de temps, et plus
fiables que les plus sophistiqués des ordinateurs. Les hurlements d'un loup, les rugissements d'un lion deviennent alors des indicateurs, des sémaphores.
Quand il m'arrivait d'embarquer Jeannette, pour une soirée au cirque, je voyais arriver, dans le faisceau de phares, trouant la nuit noire accentuée par les rideaux noirs des arbres, une
apparition fellinienne, une petite lampe de poche en collier. C'était "la petite fille aux allumettes" devenue la vieille dame à la lueur vacillante.