Sous le signe du feu
"La caravane de Jeannette a brûlé. Elle est vivante !"
Un film, la vie de Jeannette. Un film vous dis-je...
Il y a, dans les films, des séquences qu'il ne faut surtout pas chercher à comprendre.
Un matin, la caméra fait un zoom sur la caravane de Jeannette réduite en cendres. On parvient à découvrir deux cadavres calcinés de petits chiens. Jeannette, qui avance des explications
brouillées, s'en est miraculeusement bien tirée...
Jeannette, un sacré numéro !
"La Dépêche du Midi" du samedi 27 décembre 1997 informe ses lecteurs, sous la plume d'Elfie Dessort : "En août, un incendie ravage une des caravanes du "Zoo de Buzet",
en pleine forêt. Jeannette Mac Donald, 79 ans, échappe de justesse à l'incendie. Jeannette est relogée au Pastourel, à Bessières.
"La Dépêche du Midi" - 27 décembre 1997
"Le Pastourel" est un foyer-logement pour personnes âgées comme il en fleurit dans notre pays depuis que l'espérance de vie s'est
rallongée.
Ainsi contrainte et forcée, Jeannette Mac-Donald, fille du vent et des étoiles,
enfant de la balle, redevient Jeanne, Louise, France Corfdir, 2180593...sur la liste de présence d'une maison de retraite, d'un hospice, d'un asile, "chez les petits vieux", entre quatre murs...
où les seuls animaux tolérés sont en peluche.
Sous le signe du feu.
Le règlement, c'est le règlement. Au "Pastourel", les animaux ne sont pas admis. La mort dans l'âme, Jeannette s'est résignée à vivre quand même sans ses
bêtes. Par contre, c'est trop lui demander de ne pas fumer. Elle brave les interdits. La direction tolère, eu égard de la personnalité exceptionnelle de la résidente. Imaginez un peu
"Elephant Man" recueilli à l'hôpital de Londres par le docteur Treves, le tout filmé par David Lynch !
Mais passées les bornes, il n'y a plus de limite. Jeannette balaie de la main les remontrances et s'allume une autre Gauloise.
Elle n'est certainement pas raisonnable, mais est-il possible de raisonner des êtres extrêmes, d'excès, de ceux qui constituent les ménestrels, les fous du roi ou de l'état, chantant, dansant, disant, faisant, et dont nous avons tellement besoin parce que leur démesure nous fait sourire, rire, nous émouvoir, pleurer ?
Jeannette est de cette trempe : indomptable, unique, artiste.
Et un artiste est artiste jusqu'au bout. Quoi qu'il arrive. Devos, Martin et leurs AVC ; Brel et son cancer ; Annie Girardot et son Alzheimer. Les exploits de Jeannette Mac-Donald seront d'un autre ordre ; les exploits ou les frasques ou les lubies, mais c'est du pareil au même...
Jeannette oubliera sa cigarette et mettra le feu au matelas. Jeannette fuguera, se rendra au supermarché du coin et enfourchera le premier vélo qu'elle trouvera sous la main. Elle veut retourner dans les bois, quoi de plus normal ? A-t-elle vu le zoo entièrement rasé, hormis la petite bâtisse qui servait de caisse, dont le guichet fermé semble laisser sous-entendre : "Le spectacle est annulé. Circulez, y'a rien à voir !" ?
Interrogée sur sa fugue, sur le vélo "emprunté", Jeannette répondra avec un aplomb désarmant : "Eh ben, quoi ? J'en avais besoin de ce vélo..."
La direction du "Pastourel" ne l'entend pas de cette oreille. Elle évoque un risque d'incendie, et ne veut pas mettre en danger ses résidents. La dame aux lions et au tempérament de feu est priée d'aller d'aller faire son cirque ailleurs.
En 1998, elle est admise à la maison de retraite "Saint-Jacques" de Grenade-sur-Garonne.
Grenade, ça fait plus espagnol, ça fait plus
international...
A la maison de retraite de Grenade -une bourgade près de Toulouse célèbre pour sa plus grande et ancienne halle de France -ses bois ont été coupés en 1293-,
Jeannette perd encore quelques étoiles... L'établissement est vétuste ; dès l'entrée, on est saisi par une forte odeur composée de miasmes et de relents divers qui fait assurément regretter
l'ambiance olfactive du zoo.
Mais peu importe : avec un peu d'imagination, en se pinçant le nez, en fermant les yeux, Jeannette peut refaire le voyage à l'envers : l'Espagne, l'Andalousie, les jardins de l'Alhambra, les souvenirs mauresques...
"Quien no ha visto Granada no ha visto nada" . (Qui n'a pas vu Grenade n'a rien vu.)
Grenade et Grenade. Jeanette et Jeannette...
A Grenade, Jeannette joue les divas : elle se maquille, se laque les ongles, met du rouge à lèvres ; elle porte des pantalons à fleurs. Son esprit est resté vif. Elle a gardé toute son autonomie. Elle côtoie un ancien clown, qui a aussi été "homme-canon". Avec son amie Béatrice, qui passe la prendre, elle joue les filles de l'air parce qu'elle a très envie de savourer des huîtres...
Jeannette Mac-Donald, à la Maison de Retraite "Saint-Jacques" de Grenade-sur-Garonne.
(Photo JF)