1 avril 2010 4 01 /04 /avril /2010 16:47

"...Votre humour est exsangue

Bien qu'il y ait des rues à Gand  qui pissent dans les deux langues..."

 

Jacques Brel, "Les F..."

 

Cher Jacques,

 

Par cette lettre, je viens encore bavarder quelques instants avec toi et te féliciter pour tes dernières trouvailles lexicales. Ton verbe "frérer" est divin, j'ai moins aimé ton "gestapotter", ton "ignorer d'ignorer" est tout bonnement révolutionnaire. Mais -et tu t'en doutes- ce qui retient toute mon attention, ce sont tes flamingants (ces gens, dis-tu, que personne ne comprend et qui veulent obliger l'univers à parler leur langage) fustigés en un réquisitoire d'une rare violence. Avoue que cette fois, tu n'y es pas allé de "langue morte" ! Les chinois cultivés que tu admires tant et à qui tu affirmes : "Ik ben van Luxembourg" n'en sont pas revenus. Les russes non plus. Mais cela ne les a pas empêchés de traduire l'intégrale de ton oeuvre. Oeuvre qui a ouvert toutes grandes toutes les frontières, même les plus réfractaires. Naissante, elle a passé la Meuse ; grandissante, elle a salué Paris, traversé l'océan, et puissante, elle a enjambé le mur de Berlin et la Grande Muraille de Chine (et la murette de mon voisin !). Elle a fait de toi, le bruxellois trop à l'étroit, d'abord un troubadour francophone, puis un citoyen du monde, porteur d'un universel bagage.

En France, aujourd'hui, on déplore l'influence de la musique anglo-saxonne (too much c'est too much) ; on s'alarme sur l'invasion du franglais  ; les spécialistes y perdent leur latin. On ne fait plus décliner Rosa la rose, et la messe est chantée sur fond de musique disco. De ci, de là, il se dit qu'il faut protéger notre belle langue en perdition. On parle beaucoup aussi de mutations, de terminologies modernes, du langage "chébran" des jeunes qui ont apporté dans leurs couches une nouvelle façon de s'exprimer. Je parlais de toi à un môme qui m'a dit : "Brel ? Il assurait un max, lui, au moins..." Il va sans dire qu'un clou chasse l'autre, et que l'arrivée intempestive de néologismes se fait au détriment de mots usuels qui, de ce fait, tombent en désuétude. On ne gagne pas toujours au change. "Ma gonzesse" a remplacé "ma mie", et quand on tombe amoureux, c'est qu'on a "flashé" pour quelque "canon". Mais je m'aperçois que tu es loin de ce débat, toi qui souris pour toujours en polynésien, réfléchis en "espérant tôt" et qui aimes dans toutes les langues.

J'aimerais moi-même prendre du recul devant cet étalage de substantifs galvaudés. Et dire que c'est mon pain quotidien... Cette année, il y aura vingt ans que je suis expert en linguistique dans cette faculté où je ne suis plus écouté... Il y a des jours, Jacques, où j'aimerais plancher sur le langage des fleurs. Il y a moins d'épines...

 

Le Linguiste.

 

Demain : le projectionniste.

 

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commentaires

J
<br /> oui il avait l'ami<br /> les mots<br /> la force des mots<br /> cette force qui imprime<br /> qui tatoue<br /> qui est là<br /> toujours<br /> <br /> <br />
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