20 avril 2010 2 20 /04 /avril /2010 16:19

"Tout nu dans ma serviette qui me servait de pagne

J'avais le rouge au front et le savon à la main

 

Au suivant... Au suivant..."

 

Jacques Brel, "Au suivant"

 

Monsieur Jacques Brel,

 

Je me trouvais récemment dans l'une de ces idiotes salles d'attente, avec, cela va de soi, les indispensables affiches démagogiques sur les murs, les fauteuils de mauvais goût, lees plantes vertes dans leurs bacs à arrosage automatique et l'incontournable table basse surchargée de revues et de magazines. La pièce était comble et ne désemplissait pas. Il faut vous dire que, derrière cette antichambre, l'officiant était plutôt du genre compétent... J'étais là depuis plus d'une demi-heure, patient dont la patience s'effritait... J'ai feuilleté un magazine qui parlait de vous. Alors j'ai lu. Vous répondiez au journaliste : "J'aime bien les gars qui disent "Oh ! Ca me fait mal...", c'est pas tout à fait de la faiblesse, c'est peut-être de la sensibilité... enfin, de la tendresse ou de la chaleur..." J'ai relevé les yeux du magazine : une blouse blanche passait. "En réalité, ce sont des hommes qui ont mal aux autres..." La blouse blanche, poliment, a lancé : "A qui le tour ?" (ce qui équivaut à dire : "Au suivant" !) Le suivant était une suivante. Une femme qui portait sur le visage les stigmates d'une profonde meurtrissure. J'ai eu mal à elle... Elle s'est engouffrée dans le chambranle de la porte qui l'a avalée...

J'ai horreur des salles d'attente. On attend toujours trop longtemps. Et l'attente, si elle n'est pas meublée, quand elle devient nerveuse, ouvre les vannes à toutes sortes de pensées qui se télescopent dans les méandres de l'esprit, tandis que le corps s'enlise dans une macération gluante. Pour peu qu'en face et autour de soi d'autres personnes attendent aussi, sans mot dire comme c'est souvent le cas, se regardent en chiens de faïence fragile, s'épient, se commentent, tout devient vite assez insupportable...

Mais ce qui est encore plus éprouvant, c'est d'être intégré dans dans le défilé de suivants et de suivis, focalisés vers un but unique et commun. Avec à la clef un morceau de vie à vivre forcément du mauvais côté du bureau, de la porte, du guichet...

J'allai replonger dans ma lecture quand l'infirmière a réapparu. C'était mon tour. Je me suis extirpé à grand peine de ce fauteuil trop profond et je l'ai docilement suivie. Parvenu à ma destination, j'ai dit bonjour à mon vis-à-vis : il m'a souri, m'a invité à m'asseoir et il m'a dit : "Le dragon s'approche de votre second poumon..."

 

Le Suivant.

 

Demain : le vieux.

 

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commentaires

J
<br /> Terrible, forcément terrible...<br /> <br /> <br />
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J
<br /> oui terrible l'attente quand la douleur<br /> qu'elle qu'elle soit est là<br /> qu'elle envahit l'esprit<br /> quand plus rien ne se canalise<br /> oui c'est beau tes mots<br /> je t'embrasse Joel tendresse<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Terrible ce texte...<br /> <br /> "Avec à la clef un morceau de vie à vivre forcément du mauvais côté du bureau, de la porte, du guichet..."<br /> Il y a toujours chez vous une phrase qui guette. Elle était là.<br /> <br /> Et le "vis à vis" qui a souri...<br /> Il n'y a pas d'expression qui vaille, quand on est un "vis à vis", là... Alors certains "vis à vis" sourient, on peut presque leur en vouloir, comme on leur en voudrait aussi de ne pas sourire. Il<br /> n'y a plus rien à faire, plus rien à sourire.<br /> <br /> La fin est douloureuse. Merci d'avoir choisi le "dragon" plutôt que le "crabe", vulgaire et pleutre, petit. Laid.<br /> <br /> <br />
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