23 avril 2010 5 23 /04 /avril /2010 16:35

"Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent

Qui ronronne au salon qui dit oui qui dit non

Et puis qui nous attend."

 

Jacques Brel, "Les Vieux"

 

Jacques,

 

Cette lettre que tu as présentement entre les mains, je ne l'ai pas écrite aujourd'hui, mais hier. Peu importe, l'essentiel est que tu l'aies reçue. Demain, en effet, c'est-à-dire certainement aujourd'hui puisque tu es en train de me lire et que quelques heures se seront écoulées, j'aurai fui avec le temps.

Toute ma vie, j'ai domestiqué et mesuré le temps et le temps me tue sans mesure, comme un ingrat. Il a planté ses deux aiguilles en plein coeur, il devait être approximativement quelques chose comme "neuve" heure. C'est la nouveauté qui apporte parfois la certitude.

Si - je dis bien "si", (c'est du conditionnel passé, et très passé si, pour une raison ou une autre tu tardes à découvrir ces lignes) ; si - "si" est sans doute le plus joli mot de la langue française -, s'il est encore temps, je voudrais qie tu sauves la pendule d'argent (oui, celle à laquelle tu penses !) du destin que lui réservent mes héritiers. Ils veulent vendre toutes mes pendules, et celle-là comme toutes les autres n'y échappera pas. Eux, ils n'aiment pas les pendules. Ils préfèrent l'argent des pendules. Ils vivent en courant, sans jamais regarder l'heure. Je ne leur en veux pas. Ils doivent être terriblement malheureux...

Pour moi, tout devrait aller beaucoup mieux maintenant : la course contre la montre m'a beaucoup abîmé ; j'ai mérité un peu de repos.

Laisse-moi encore te dire ceci : chaque minute qui s'avance est nouvelle, chaque minute qui s'avance est belle. Nous ne sommes pas bien conscients du merveilleux cadeau qu'est le temps imparti. Seuls, tous les autres pour un seul s'aperçoivent un sale jour qu'il est parti... Il faut savourer chacune de ces minutes à venir comme une liqueur rare et comme si c'était la dernière...

Tout à l'heure devant moi (c'est-à-dire il y a quelque temps derrière toi), j'ai vu, posée à mon chevet, une pendule qui égrenait le temps. Ca a été mon dernier regard posé sur le monde, mon dernier sourire pour la machine qui nous attend. Il ne faut pas en avoir peur. Devant ce monument aux sorts, quand le passé composé se décompose en lambeaux de souvenirs et que le futur antérieur s'affiche dans le présent comme un impératif tendre et cruel, on se joue de la concordance des temps.

Je m'en vais, Jacques. Je m'en vais... Je t'embrasse, je suis bien... Tu vois, tu n'as pas de souci à te faire, je suis bien... On est bien...

 

L'Horloger.

 

Prochainement : l'accessoiriste.

 

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commentaires

J
<br /> Asl& : A mon tour d'être ému, tout comme Amandier, devant vos "Je me souviens" empreints d'une nostalgie joyeuse...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Beaucoup d'émotions chez vous, Joël, tous ces derniers jours.<br /> Et ce commentaire...<br /> <br /> Amitiés,<br /> Amandier<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Qui dit oui qui dit non<br /> qui dit je vous attends<br /> <br /> Je me souviens avoir appris ce texte en cinquième, je me souviens d’un livre bleu sur Jacques Brel prêté par ma prof de français en quatrième, je me souviens l’avoir rendu très très tard parce que<br /> ma mère l’avait lu en entier, mais pas moi, moi c’était les photos. Je me souviens que ma mère et mon père l’avaient vu en vrai au Colisée, je me souviens d’un disque de choral sur lequel ma mère<br /> chantait le plat pays.<br /> Je me souviens de mon arrière grand-mère, du lit, du fauteuil mais pas de cette pendule, sa pendule à elle c’était mon grand-père qui venait d’abord lui peigner les cheveux chaque matin, et puis<br /> qui ponctuait sa journée de tous ces gestes d’amour, l’homme comme elle disait, qu’elle ne reconnaissait plus.<br /> Je me souviens d’un monsieur de 93 ans qui m’a offert tous ses Jacques Brel en cassettes parce qu’il allait partir, je me souviens comme on riait, nos deux chaises côte à côte en chantant sur<br /> l’impérial, je me souviens qu’on s’aimait et que je le croyais quand il me disait qu’il vivrait jusqu’à 135 ans comme Goethe.<br /> Rien n’est triste…puisque mon lecteur de k7 fonctionne toujours…et puisque je me souviens…<br /> <br /> Voilà, ça m’embête un peu de laisser mes mots chez vous puisque c’est votre espace, mais d’un autre côté je ne sais pas… je vous dois ces mots de vous avoir lu en silence, tous ces épisodes de<br /> lettres à Vous…et à Lui Jojo…<br /> <br /> Bien à vous Joël<br /> <br /> Asl&<br /> <br /> <br />
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