Georges Wilson (à
gauche), Michel Bouquet et Rufus dans "En attendant Godot" de Samuel Beckett, dans la Cour d'Honneur d'Avignon, en 1979. (Photo DR)
"ESTRAGON : Endroit délicieux. (Il se retourne, avance jusqu'à la rampe, regarde vers le public.) Aspects riants. (Il se tourne vers Vladimir.)
Allons-nous en.
VLADIMIR : On ne peut pas.
ESTRAGON : Pourquoi ?
VLADIMIR : On attend Godot.
ESTRAGON : C'est vrai. (Un temps.) Tu es sûr que c'est ici ?
VLADIMIR : Quoi ?
ESTRAGON : Qu'il faut attendre.
VLADIMIR : Il a dit devant l'arbre. (Ils regardent l'arbre.) Tu en vois d'autres ?
ESTRAGON :
Qu'est-ce que c'est ?
VLADIMIR : On dirait un saule.
ESTRAGON : Où sont les feuilles ?
VLADIMIR : Il doit être mort.
ESTRAGON : Finis les pleurs."
En attendant Godot (Samuel Beckett)
IL AVAIT ATTENDU GODOT
En s’éteignant hier à l’âge de 88 ans, Georges Wilson, l’une des grandes figures du théâtre français, c’est tout le quatrième mur du théâtre qui se trouve ébranlé.
Georges Wilson, c’était une gueule et une voix -pour une diction parfaite, il s’entraînait en répétant des "Am - ster - dam"- au service des plus grands auteurs.
Comment, en cette pénible circonstance, ne pas évoquer Jean Vilar, l’homme qui a sorti le théâtre du carcan élitiste où il était à l’étroit et lui a fait prendre l'air ?
Et comment, à titre personnel, ne pas penser plus que jamais à mon grand ami Roger Borlant, 81 ans aux prochaines cerises, élève de Vilar, éloigné de l’art dramatique trente ans durant -quelle hérésie, Roger !- qui a endossé avec superbe et panache, le rôle de mon "Personnage Tout Rouge" de papier. (1) Personnage à qui il a donné une incarnation et une épaisseur remarquables.
Comment ne pas mesurer la chance, le privilège d’avoir eu, vu, entendu, tout
orgueil déployé et revendiqué, un acteur de cet ordre emboucher les mots qu’on a fait se toucher les uns avec les autres sans bien savoir comment ?
Comment contenir la joie aux larmes d’avoir, au téléphone, dans le lobe de mon oreille, pas plus tard qu’il y a deux semaines, le timbre clair de Roger me dire :
"Je ne voulais pas monter sur scène (2) sans savoir comment tu allais, sans t’avoir parlé, sans avoir entendu
ta voix" ?
Orgueilleux, peut-être, suis-je, cher journal ? Sans doute. Orgueilleux mais heureux.
Et puis Brel lui-même n’a-t-il pas dit, lorsque Franck Sinatra a interprété "Ne me quitte pas" : "Nous avons tous un bon fond de vanité"
?
JF
(1) Le texte du "Personnage tout Rouge" est publié sur ce blog.
(2) "Je me révolte, donc je suis" la Cave-Poésie de Toulouse.
En photo : Roger Borlant.