L'être et lavoir
"La Dépêche du Midi" Edition Nord-Est. 29 avril 1992
Vous aussi, vous l'aviez reluqué, le lavoir, aux Luquets, près de Buzet ? Et vous, vous y laviez comment ? Vous l'avez toujours, le lavoir, aux Luquets ? Et
vous y lavez toujours ?...
Simone a acheté sa première machine à laver en 1969 ou 1970. Au nom de l'incalculable nombre de lessives qui, depuis, se sont succédé, sa mémoire est imprécise. En revanche, elle n'a pas oublié
le temps où le seul tambour qui roulait, c'était celui du garde-champêtre. Le temps où les machines à laver avaient un toit, quatre murs et n'étaient pas "à côté de leurs pompes". Ne les avaient
pas encore mises en "tôle". Avec Marthe, Félicie et Noëlie, on lavait son linge sale "en voisines", tout en bas de la placette qui ondule un peu, courbe l'échine et s'incline devant la croix des
Rogations. Le lavoir municipal est toujours posé là, jouxtant le ruisseau, l'école, le dépôt d'ordures et l'édicule que n'aurait pas renié Vespasien.
Ici se sont dénoués sans mélange des torchons et des serviettes. Ici l'on a tordu et battu bien des draps qui n'avaient pas été sages. Puis on les a suspendus tout près, dans les prés, tels des
rideaux de théâtre, parfumant l'air frémissant, rectangles blancs qui invitaient encore à ne pas les respecter...
Ici se sont évanouies la crasse, la sueur et la confiture qui n'avaient pas appris à se médiatiser. Seul l'épicier itinérant Fossat, dans son fourgon jaune citron pressé et sur ses étagères
encombrées, vantait les mérites d'un paquet de lessive-miracle d'où Philomène extrayait, entre le pouce et l'index, ces merveilleux cadeaux qui vous garantissaient la poudre aux yeux.
Et toujours au lavoir, en ce parlement tombé en quenouille, les lavandières, bien loin de leur Portugal, commentaient les évènements du hameau : le sacrifice du cochon, les vendanges, les
moissons, les Rameaux, l'acquisition du "Massey-Ferguson"... et un raton-laveur !
Que sont leurs dires devenus ? Se sont envolés dans les bulles de savon ? Peut-on les retrouver dans les vignettes coloriées des illustrés "Fripounet" ?
Othello
Le dimanche, quand les habits étaient propres, on les mettait. Le dimanche, des gens de la ville venaient. En cols blancs et souliers pointus. Ils restaient manger. Au dessert, ils allumaient leurs pipes et ils racontaient des histoires : "Quand Schubert a voulu faire l'"Ave Maria", Shakespeare a fait "Othello" !"
C'était à peine augurer sur les temps modernes : la vieille pompe à chapelet, privée de mains fidèles, a été priée de ne plus pomper ni l'eau ni l'air de personne.
Le seul argent qu'il allait falloir blanchir, c'était celui, moussant et sponsorisé par Pinay, destiné à l'achat d'un lave-linge.
Et c'est alors que les maisons se sont pourvues de cubes sages, alignés comme à confesse, d'où il semblait qu'on pouvait voir la mer et ses eaux mouvantes, à travers leurs hublots de navire quittant le mouillage.
Pour véhiculer le message, il aura fallu qu'une brave paysanne, solide carrure, accrédite d'un répercutant "C'est ben vrai, ça !" une attraction-vedette qui allait forcément mériter toute votre confiance.
JF
Le
lavoir du hameau des Luquets. 1991. Photo JF.
Le dépôt d'ordures a disparu. L'édicule "que n'aurait pas renié Vespasien" a été détruit.
Un autre a été
construit.
Le lavoir des Luquets a été transformé en salle de réunion. Il paraît qu'un certain raton-laveur en éprouve de la
nostalgie...