Que vont devenir
les "balançoires" de Bacchus ?
"La
Dépêche du Midi" Edition Nord-Est. 26 octobre 1991.
Vendanges. En marge du labeur propre à la saison, regard porté sur ces étranges machines abandonnées, plantées à un jet de grain
de raisin des vignobles, sur la route des vins, entre Gaillac et Fronton !
Au détour d'un chemin vicinal, elles s'érigent sur leurs stèles bétonnées, les pieds dévorés par la flore envahissante, la tête toujours à l'air libre, mais les membres coincés, raidis...
Potences sévères ? Girouettes improbables ? Hunes d'hypothétiques voiliers engloutis ? Non. Ces anciens robots agricoles étaient encore voués, il n'y a guère, au culte des fastes de Bacchus,
divin du vin et de la vigne. En ce temps-là, par un sourire d'octobre, après avoir mûri sa décision, il coloriait les pampres en tablier, non sans avoir au préalable graissé la patte de ses
"balançoires". Ses "balançoires" : amples mobiles arrimés sur un quai de chargement (et de déchargement !). C'est là qu'était amené le raisin fraîchement coupé, conditionné en "comportes". Pour
faciliter la manutention de ces gros récipients de bois cerclé, les vignerons avaient planté, au milieu de leurs vignes, cet appareil de levage, fort utile pour la circonstance. Et ils en
usaient, au nom du docte breuvage qui se préparait là déjà un peu, avec les minuties du prêtre qui oint du Saint-Chrême le nouveau-venu.
Le raisin, doucement bercé, était ainsi, sur ce dock à marée basse, affrété sur remorques et camions pour des destinations secrètes : alcôves, caves et cuves où il aurait à bien "travailler"
avant de devenir le nectar que l'on connaît.
D'arrache-pied
Aujourd'hui, les "balançoires" se posent en victimes, comme des rengaines rétros supplantées par des airs à la mode... Entre "Poussez, poussez l'escarpolette..." et "Pousse ton fût de là", le disque a changé... Face A : la machine à vendanger a
pointé son museau et sa haute stature qui enjambe sans pudeur les souches rougies ; de gros chariots orangés et joufflus se sont mis en tête de broyer sans pitié le fruit de la treille... Face B
: la vigne n'a pas toujours eu bonne presse ; nombreuses sont celles qui furent arrachées pour rentrer en conformité avec les normes ; les "comportes" qu'on porte se sont renfrognées dans une
encoignure de cave sombre, refoulées près du fouloir, au bénéfice de conteneurs plus modernes et maniables. Et, finalement, aux sacro-saints noms de la mécanisation et des réformes, contenants et
contenus se sont passé des services des "balançoires". Si elles font toujours le pied de grue, elles n'ignorent pas qu'il est bien révolu le temps où l'office était servi à l'huile de coude.
Que vont-elles devenir ? Faudra-t-il les déboulonner ? C'est à la mode... Leurs sveltes silhouettes se découpent dans l'air, mais pour combien de temps encore ? Avant qu'on ne s'avise de les
détruire, peut-être faut-il s'enquérir de les protéger ? Symboles de patrimoine, jalons-étapes de rallyes touristiques, quel artiste, un pinceau favorable à la main, saura les remettre en valeur
? En attendant, pour meubler leur oisiveté, elles collectionnent les points de rouille.
Certains jours pourtant, quand le soleil des arrières-saisons vient caresser du regard les vieilles servantes de Bacchus, celles-ci se teintent d'une certaine couleur : sépia. Comme les images
d'autrefois.
JF
"La
balançoire" de Bacchus. Buzet-sur-Tarn. Février 1992. Photo JF.
NDA : "C'est la photo que je n'ai pu réaliser "à temps" pour illustrer le papier de "La Dépêche"...
Carte Postale "Les petits métiers de chez nous" Le fouleur de raisins. Collection "As de Coeur"
Photo archives familiales JF.
NDA : Il s'agit de mes deux frères jumeaux, de 12 ans mes aînés.
(Le tracteur est décrit dans "Le Livre de mon père" publié sur les pages de ce blog.)
"L'excès d'alcool est dangereux etc.."
Les "balançoires" de Bacchus,
tout du moins celles présentées ici, sont toujours en place, mais ne se bercent plus d'illusions... Quoique...
Le tracteur est à la ferraille...
Le fouloir à raisin, non pas celui figurant sur la carte postale, mais le "vrai" que j'ai reçu en héritage, je souhaite, avec d'autres objets agricoles (joug, râteau à fourrage, etc...) le léguer
à un éventuel/futur musée à Buzet...