Flyer "Compagnie Victoria Régia"
LE BAISER DE LA VEUVE
:
TOURNANTE ET
RETOURNANTE
"Partout où l’on joue une
de mes pièces, j’ai une maison" aime dire Israël Horovitz, dramaturge américain le plus joué en
France (dixit "Wikipédia"). Qu’il sache qu’à Toulouse, Yvon Victor, de la Compagnie "Victoria Régia", vient de lui ériger un coquet pavillon, et que ses locataires sont bien sous tous
rapports. Au concours d’architectes, il accède avec mention "très bien".
J’ai eu la chance de croiser le jovial visage d’Yvon Victor plusieurs fois au théâtre de Poche, et l’honneur de déjeuner à la même table qu’Israël Horovitz, que je tiens comme une réincarnation de Beckett. C’était en 1998, au festival de théâtre de Chatillon-sur-Chalaronne, où mon "parrain" de théâtre Jean-Paul Alègre m’avait invité. D’Horovitz, j’avais lu et apprécié "Le Premier", "Didascalies" et surtout "Le baiser de la veuve" placée dans mon "panthéon personnel" comme étant une de ces pièces à atmosphère affectionnées, quelque part entre un Jack Kerouac "sur la route" et une peinture de "Hopper", "La station service", par exemple.
Tout ceci était amplement suffisant pour me faire asseoir face à la scène de la "Cave Poésie René Gouzenne", afin de tenir le quatrième mur de la maison Horovitz, à Massachusets-sur-Garonne et apprécier ce que fait du veuvage la comédienne Marine Collet, dans le triangle conflictuel où son auteur l’a placée. Aux angles isocèles, Grégory Felzines et Jean Gary. Alias Betty Stark, Bob dit "Le Bélier" et "Georges" dit "La Crevette".
Un critique sans sève pourrait dire de la pièce "Le baiser de la veuve" version Yvon Victor que, s’il existait une cérémonie de remise des tomates en caoutchouc, elle ne serait pas "nominée".
On le saura de suite : d’abord, la mise en scène est astucieuse. Ensuite, le texte est respecté. Enfin, le jeu d’acteur, réussi, est physiquement intellectuel ou intellectuellement physique, si l’on sait que cette sombre histoire convoque les thèmes de la mémoire, de la rivalité, des rapports de force et de la vengeance. Il est question de mort et de petite mort.
Nous sommes dans l’Amérique profonde, dans un atelier de recyclage de papier où bossent, luttent et chahutent "Le Bélier" et "La Crevette". Betty Starck revient "au pays". Un article dans la presse le dit. Bob et Georges en sont tout émoustillés. Bob prétend qu’elle lui a donné rancard. Georges ronge son frein.
Elle est jolie, elle sent bon, elle réfléchit ; elle a réussi sa vie ("Elle a fait 2 fois le tour du monde" ; "Elle fait de la critique. Elle donne des notes.") ; elle porte des bas noirs et des bottes noires à talons biseautés qui claquent. Ca compte.
Ils sentent la sueur, la graisse de leur presse à papier ; ils ont des pompes trouées et des "Marcel" de débardeurs auréolés de cambouis, un langage de faux marlous et quand ils s’expriment, c’est souvent avec leurs poings.
Trois fois elle dira : "Absolument" ; dix fois, ils diront : "Ca me la coupe".
Au départ, elle n’est pas venue pour se venger : elle est simplement venue au chevet de son frère aveugle, agonisant.
Ils se souviennent et ils évoquent. Et ils rêvent de "posséder poétiquement" cette femme devenue et restée belle, malgré son veuvage et surtout malgré le trauma, qui refait surface, dans le marigot des souvenances. "Devenue et restée" parce qu’ils l’ont connue avant. Sur les mêmes bancs du lycée. Et même que, oui, c’est bien clair maintenant, même que, le soir de la fête de fin d’année scolaire, après boire, ils ont abusé d’elle, sur la plage, tous tant qu’ils étaient."Le Bélier, la Crevette et les autres..." Et même qu’en cherchant bien, ils se souviennent de tout. "C’était qui le premier ?". "C’était qui qui maintenait les cuisses écartées ?".
Alors Betty va changer de registre. La femme-objet, la femme-jouet va se muer en femme-missile. Elle va ouvrir tout grand son corsage et agiter ses petits seins comme des grenades. La veuve noire deviendra succube. Il y aura guerre et dommages collatéraux chez les civils...
Je décerne des lauriers personnels à Marine Collet -qui rejoint "l’abattage" d’une Sylvie Maury- tout en subtilité et en nuances, belle et belle en voix, et je ne lui dirais pas non si elle me propose de "chausser" le rôle de "la botteresse" dans ma pièce "L’Employé aux écritures", dont le texte est lisible sur ce blog.
Joël Fauré
"Le baiser de la veuve" d’Israël Horovitz est publié chez "Editions Théâtrales"
Marine Collet. Photo Patrick Moll.
Dans les rues de Chatillon-sur-Chalaronne, de gauche à droite : Jean-Paul
Alègre, Danièle Dumas (Rédactrice en Chef de "L'Avant-Scène Théâtre") et Israël Horovitz. 1998. Photo JF.