« LIAISON DANGEREUSE » :
LA LIGNE DE CRETE DU DESIR
Le jeu social est un jeu érotique.
Dans leurs fauteuils crapaud, la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont sont repus. Ils ont alterné l'ennui et la jouissance. Triste animal post coïtem.
Au sol, gisent de longues cravaches la mèche à peine attiédie ; sur une crédence, crâne un crâne, sans aucun doute celui de Sade dont le mordant se reflète dans un élégant jeu de miroirs.
La belle trouvaille de Benoît Bourbon, d’Alter & Co, est d'avoir mixé en subtiles saillies les textes de Choderlos de
Laclos et de Müller avec une pointe de liant personnel, le tout apprêté avec des relents sadiens.
De l'aristocratie du siècle des lumières à nos jours, rien n'a vraiment changé en anatomie : aussi embrasser ce texte culte du libertinage et de l'appel des sens n'a posé aucune difficulté, pas plus que de l'habiller d'un dress code contemporain.
Et sur le plateau, ces accordailles fonctionnent habilement.
Alors, les aristos jouent aux réacs et aux anars. Ce qui casse le protocole consensuel des petits marquis passéistes et conservateurs de la prudi-pudibonderie.
Les étreintes, les vigoureuses secousses, les pulsions et les élans réfrénés qui agitent l'espace – un donjon médiéval ou un bunker, mais aussi un sous-toit à Libreville tant la thématique est universelle – ne desservent pas un texte soutenu, riche et musclé. Et évocateur. « La douleur est comme la honte : brève. » « L'enfer a trois portes. Qui en néglige une ne respecte pas la Sainte Trinité ».
L’habit ne fait pas le moine, mais il aide entrer au couvent. Les costumes de ces "liaisons" disent donc, en marqueurs sociaux, mieux que les mains qui sont aussi "les putes de l’âme", avec signe ostentatoire à faire s’arracher la perruque aux parlementaires, disent donc le schisme avec l’hypocrisie ambiante.
Les jeux de rôles, le théâtre dans le théâtre, le simulacre sont mis en abyme dans ce désir voluptueusement charnel. Merteuil et Valmont brouillent les genres, faussent les pistes, se cherchent des proies. Ces deux cinglés, dans le sens de l’incarnation, ne nous renvoient-ils pas notre image et notre désir de possession, de transgression ?
Divine tragi-comédie que ces liaisons où lutine Janus, le gardien à deux têtes qui surveille les entrées et les sorties de l’Enfer, sous la supervision hiérarchique d’Eros et de Thanatos.
Un dernier mot sur le jeu des acteurs. Benoît Bourbon est la réplique même du grand Pierre Molinier (1), dont on ne cesse de (re)découvrir l’oeuvre.
Quant à Sylvie Enaud, elle éclate littéralement, et s’impose comme une comédienne instinctive, très douée et promise à de grands rôles.
Joël Fauré
Ce blog "A propos de bottes" ne serait plus "A propos de bottes" s’il taisait le réveil fétichiste qu’imprime les superbes hautes bottes que Sylvie Enaud a su enfiler, tactiles et sensuelles, sans susciter de commentaires graveleux du genre : "Tu retournes dans les égouts ?"ou"C’est de quel côté, Pigalle ?". Au reste, les fidèles lecteurs qui auront lu sur ce même écran "A propos de bottes ou l’histoire d’un fétichiste" ne seront pas surpris si nous disons qu’il n’est pas interdit de pressentir Sylvie Enaud dans le rôle idoine.
(1) "Mes jambes si vous saviez, quelle fumée" Mise en scène de Bruno Geslin. Théâtre de la Bastille, Paris.
Revoir la pièce :
Courant 2011, au Théâtre de Poche de Toulouse
10, rue El Alamein