14 décembre 2009 1 14 /12 /décembre /2009 16:56

Raymond Fabre,
sa vigne, son oeuvre

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 "La Dépêche du Midi" Edition Nord-Est. 3 mars 1994.


Après lui, il n'y aura presque plus de vigne ni de vigneron à Buzet. Raymond Fabre garde le secret de ses bonnes feuilles, cépages et carnets à souches.
Portrait en pied du dernier des récoltants.

Passés les saints de glace (Saint-Servais (ou Gervais !), Saint-Mamert et Saint-Pancrace, vénérés au mois de mai), Raymond poussera un ouf de soulagement : les gelées tardives ne mettront pas à mal ses vignes. Pour l'essentiel, il ne restera plus qu'à tenir prête la parade à toute velléité symptomatique : l'oïdium, le black-rot, l'effervescence dorée, un insecte qui suce la sève, et le mildiou, cette maladie qui ressemble au juron que l'on pousse quand on la voit. Vers 1870, on a dû aussi en pousser pas mal. Le phylloxéra faisait des ravages ; c'est de cette époque que date l'introduction en France de plants américains, plus résistants aux pucerons.
Possessive, la vigne l'est. Elle réclame des prévenances de tous les instants. Son thème est porteur, fédérateur ; sa symbolique forte. On l'a souvent vue dessinée dans les manuels scolaires, chapeautant les paragraphes des leçons, représentées en images changeantes, blanches, vertes, bleues, rousses, au gré des quatre saisons.
Raymond embrasse l'air d'un geste auguste : "Il en reste 90 ares ici et 30 là-bas." D'un côté, la ceinture argentée du ruisseau Palmola, de l'autre un poirier tordu et sans âge sont les gardiens attentifs mais impuissants d'un monde qui s'en va. "Autrefois, il y en avait trois ou quatre fois plus." Au hameau des Luquets, la pétarade de la "pétrolette" a souvent emporté Raymond jusques en ses terres. Il est vrai qu'elles réclament des assiduités et des soins réguliers. Il évoque le temps où il se mit en tête de mettre en terre des greffons : c'était juste après le rigoureux hiver 1956.

Vous soufrez ?

"Vous soufrez ? Non, je sulfate." Le mot est de l'humoriste Michel Vivoux. Il s'applique aussi à celui qui vinifie lui-même. Son père, Paul, escaladait les marches du chai et les degrés de la cave, parfois jusqu'à douze, tandis que sa femme, Jeanne, avisée que des gens s'étaient taillés en vigne, confectionnait de succulentes croquettes pour restaurer, à midi, les agapes des grappes.
C'étaient les vendanges. C'étaient les vendanges après la taille et les trois traitements systémiques de printemps. Quelques grappes muscates, perlées de la rosée de Vendémiaire, se laissaient oublier par des distraits, se voulant promises à une grive musicienne ou une tourte. Et les muscats, en habits de gala, rougissaient et suaient sous le pelotage obscène des vendangeuses castratrices.
Raymond se souvient et a gardé sa passion. Pense-t-il aux Dames-Jeannes et aux bouteilles de plastique made in CEE en tête des gondoles dans les supermarchés ? Abonné au "Chasseur Français", comme l'était déjà son père, il s'informe de l'air du temps et de la gamme des nouveaux brabants. Fin février de cette année 1994, il taille les pampres pour que mûrissent les jolies baies et que grappillent ses petits-enfants. Il faut en profiter. Ses vignes sont promises, à plus ou moins longue échéance, à l'arrachage. Pour s'en souvenir, il ne restera pas grand chose sinon que de collecter des vignes en vignettes gommées, en rangées millimétrées, dans les albums des vieux métiers.

JF

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"La main savante de Raymond Fabre". Buzet-sur-Tarn. Février 1994. Photo JF.

Lorsque j'ai appelé Marie-Hélène, la fille de Raymond Fabre, qui venait de mourir, le 27 janvier 2007, pour lui présenter mes condoléances, elle m'a parlé de l'album de famille qui s'ouvrait sur ce papier de "La Dépêche".
Il ne reste plus que trois ou quatre rangées de vigne... pour la survie de quelques grives. Quand je bois du vin rosé, le soir à "Flunch", et que je lis "contient des sulfites", j'ai envie de crier : "Mildiou !"

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11 décembre 2009 5 11 /12 /décembre /2009 15:49

La semaine de Suzanne,
maîtresse d'école


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"La Dépêche du Midi" Edition Nord-Est. 6 mars 2003.

Joël Fauré, auteur de plusieurs pièces de théâtre dont on connaît la plume boulimique sans le moindre esprit de "sergent major", nous propose le portrait de Suzanne Labranque, maîtresse d'école à Buzet-sur-Tarn, il y a 40 ans. Il aborde cet exercice avec angoisse :
Je n'ai aucun droit à l'erreur ; je n'ai que le droit d'être le premier de la classe.
Joël Fauré nous révèle que Suzanne est née le 5 février 1930 à Toulouse.
"Il est interdit de donner l'âge d'une femme sauf d'une maîtresse d'école pour qui la lettre et le chiffre sont les fondations du savoir...
L'alphabet me séduit, me fait la cour et j'en remercie le démiurge inspiré qui l'a inventé. Le chiffre n'en est qu'un contrepoids que je me raisonne, aujourd'hui, à qualifier d'utile.
De la classe unique du hameau des Luquets au groupe scolaire, en passant par l'école mixte, Suzanne a allié la rigueur à l'humanité. J'ai capturé ces petits fragments de temps. Tous les matins que Dieu et Diable faisaient, Suzanne passait entre nous, un tampon encreur d'une main, une petite vignette de bois dans l'autre et elle faisait naître sur nos cahiers du jour des frises de fruits et de fleurs à colorier selon le goût, l'humeur et sans doute aussi la couche sociale plus que l'acéré de l'ébonite. Mais les petits enfants de Buzet, pétris comme de la bonne farine patriotique, fils de fils d'une des dernières grandes guerres, étaient le plus souvent issus de meules de champs de blé : Josette était bonne en tout ; Bruno se faisait tirer les cheveux ; Véronique tentait sans succès d'expliquer comment on fait les enfants, et moi, j'avais peur de manquer le car et d'oublier la casquette que j'avais sur la tête.
Les bottes de Suzanne, le feutre rouge qu'elle utilisait en marge, le regard vif sont collés à ma peau. J'ai gardé mes cahiers d'écolier ; ils sont ensanglantés d'annotations. Le "tableau synoptique de mon travail" restutitue son écriture racée. Il recèle des "Trop souvent absent" et "Avec beaucoup d'indulgence, Joël passe en 6ème" qui me tendent un miroir implacable.
Suzanne a tout fait pour me faire aimer les choses de la vie.
Son capital intellectuel est inestimable et n'est pas côté en bourse. Je lui suis plus redevable qu'à mon banquier. Je déclare ici solennellement mon cahier de récitations mieux investi de pouvoir que ma carte professionnelle, et des types comme comme Verlaine, Gauthier, Apollinaire à qui elle m'a présenté, beaucoup plus fréquentables que d'aucuns dont je tairai le nom.
Les compositions et les leçons de choses naturelles -la chenille au bombyx du mûrier ou ver à soie se transforme en papillon nocturne aux ailes duveteuses-, les conjugaisons, les tables en bois (cirées en juin) et de multiplication (sues mais tardivement), la morale, l'instruction civique n'ont pas tari les réservoirs et les pépinières de la pensée mais les ont approchés de la plénitude.
Depuis que j'ai quitté l'école où je ne voulais pas aller, je ne cesse de rêver que je veux y retourner !
En mon nom et au nom de tous ceux que vous avez eus comme élèves, je vous remercie, Madame !

JF

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"Pages d'écritures de l'élève Joël Fauré avec les appréciations de Suzanne Labranque."
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10 décembre 2009 4 10 /12 /décembre /2009 15:43

En sortant de l'école

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"La Dépêche du Midi" Edition Nord-Est. 6 février 1996.

U
n souvenir ramène à la mémoire d'un garçonnet quelque chose de très beau et de grandiose : sa vie d'écolier et sa bonne vieille école.
Mais dire les sensations anciennes, les réminiscences, sans utiliser les mots du thème : le cuir du cartable, la craie du tableau, etc... relève d'un exercice de haute volée.
Or, l'école de Buzet, ses tuiles, ses briques, son fénestrage en veulent tout autrement et imposent encore une dictée. Il ne serait pas légitime de s'y soustraire.
Les divisions à virgule et l'ardeur imbécile que mettait le garçonnet à ne pas savoir les résoudre ; les tables de multiplication auxquelles il ne sut jamais s'accouder l'ont à jamais condamné à être quelqu'un qui ne compte pas.
Par contre, il se souvient des jolies phrases élaborées par Odette et Edouard Bled, éponymes de ce livre-culte qui a élevé bien des élèves. Depuis, le "Bled" est paumé. Tout comme les manuels de lecture au motif écossais rouge ou vert, seuls détails rescapés de la transe. Malgré tout, des mots et des formules s'imprimaient dans son cortex d'enfant primaire et sauvage. Il savait qu'il le resterait.
De la salle de classe, des jours de long cours subsistent quelques images et quelques cartes-maîtresses. Une maîtresse, ça marque. Une maîtresse, ça laisse des traces.
Sur le bureau, il y avait des serre-livres. C'étaient des biches ou des éléphants. Non, des biches. Porte-cartes murales et porte-plumes, tampons encreurs, jouets-tracteurs en plastique, et vous, les biches, dans quelle brocante dormez-vous ? Et au moins, dormez-vous ? Et vous, le "Bled" paumé que vainement recherche le garçonnet ?
La casquette qu'on lui faisait déjà porter vissée sur le crâne, il se hasardait dans la cour, du bac à sable au dépôt de charbon, de la rigole rouge charriant des emballages de "La Pie qui chante" au muret protégeant les bicycelettes. Posée là, une grosse vasque que le petit garçon a toujours vue vide de sens et de primevères. Il y avait aussi une grosse racine d'acacia. Ou de marronnier. Non, c'était un acacia dont une racine avait mangé le goudron et qui servait de promontoire, d'estrade et d'île déserte.
Plus loin sur l'esplanade, les feuilles d'automne conjuguaient les verbes des poètes : tomber, tournoyer, tourbillonner au présent de l'indicatif à la forme active (Voir Bled). Et ces mêmes bonnes feuilles envoyées par ces mêmes poètes généreux de vent, parlaient comme jamais elles n'auraient dû cesser de le faire.
"Voilà les feuilles sans sève qui tombent sur le gazon. / Voilà le vent qui s'élève et gémit dans le vallon." (Lamartine)
"Les fruits tombant sans qu'on les cueille / Le vent et la forêt qui pleurent / Toutes leurs larmes en automne, feuille à feuille. (Guillaume Apollinaire)
"Et j'ai cueilli, en passant / A l'automne qui dort / le bouquet des trois feuilles d'or" (Henri de Régnier)

Saint-Vincent-de-Paul-Gauguin

Sous les armoiries de la ville (une buse essorant d'or, bécquetant une branche sur une terrasse de sinople), Monsieur Vincent-de-Paul est saintement resté dans sa niche. Sur son coeur, il porte un petit enfant. De sa main dextre, il caresse une tête blonde ou brune qui s'est, de toute façon, un peu fêlée. Il se dit que c'est ici qu'il a trempé ses lèvres pour la toute première fois dans le calice du vin de messe, ensuite bu jusqu'à la lie. Précepteur, il enseignait les bonnes manières. De toute cette histoire, le garçonnet n'a retenu que quelques bribes mais il affirme à qui veut l'entendre qu'un jour, la statue du saint lui a lancé un clin d'oeil.
Puis l'école a cessé d'être. Des locaux plus vastes et fonctionnels ont vu le jour de l'autre côté du village. Puis l'école est devenue vieille. Elle a donné ses murs, imprégnés de l'odeur des compositions silencieuses, que se partagent un médecin généraliste, le "Club des Cheveux d'Argent" et un bar-restaurant qui porte le nom de Paul Gauguin. Le temps passe. Le garçonnet est toujours à la recherhe du"Bled" paumé.

JF

 
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L'ancienne école (mixte) de Buzet", côté "Rue". Photo Pietro Ferralis.

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L'ancienne école (mixte) de Buzet, côté "Cour". Photo Pietro Ferralis.

"Mon cher Joël,
J'ai été très émue par le courrier que tu m'as adressé. Mes élèves, tu le devines, ont tenu une grande place dans mon métier de maîtresse d'école et j'ai gardé d'eux de très bons souvenirs.
Je souhaite que tu puisses te réaliser pleinement dans la voie que tu as choisie. (...)
Reçois, mon cher Joël, mon très affectueux souvenir.
PS : Je suis satisfaite que tu te souviennes du "BLED" si souvent oublié ou même inconnu..."

Telle est la lettre que m'a écrit ma maîtresse d'école, peu de temps après la publication du papier de "La Dépêche"... Très émouvant... Un hommage plus appuyé et plus personnel aurait reflété la gratitude que je lui porte...
"Mais... demain... Oui, peut-être que demain..." 

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"La Dépêche du Midi", 4 septembre 1991. (Entaché d'une magistrale faute d'orthographe !)
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9 décembre 2009 3 09 /12 /décembre /2009 16:45

Les murs ont de la mémoire

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"La Dépêche du Midi" Edition Nord-Est. 2 octobre 1992.

Plusieurs générations de buzétoises et buzétois ont vu leurs libations influencées par des réclames apposées à même leurs murs. Panneaux aux lettres peintes bien carrées. Ici et là, on en retrouve encore, un peu pâles et défraîchis, mais tellement témoins de leur époque.

C'est bien simple : on ne peut manquer d'y tomber les yeux dessus, même si on les veut rivés sur le macadam qui conduit à Toulouse. Sur la "Grand'Route" 88, à hauteur de la station de chemin de fer de Roquesérière, tout un pan de mur étale, comme le ferait une jolie fille avant d'aller danser, une ample jupe bleue au motif illustré : "Dubonnet, vin tonique au quinquina". Auto (presque)-stoppeuse qui fait miroiter ses charmes entre deux platanes. Même le conducteur pressé mais soucieux pour une demi-douzaine de points est aguiché et ne résiste pas. "Un ballon de Dubonnet ? C'est pas de refus". Et tant pis si, guère plus loin, la maréchaussée en présente un autre, à gonfler comme une outre pour savoir si elle est pleine ou si elle ne contient que de l'eau. "Que voulez-vous, le panneau était si attachant de désuétude..."
Dans le village, tout près de l'ancien passage à niveau, une autre muraille, tout aussi avinée, ressert une tournée. Cette fois-ci, c'est "Byrrh", un vin non moins tonique qui s'apprête à couler sous la dalle d'évacuation des eaux de pluie. Les couleurs, délavées, ont perdu de leur éclat, mais le message passe toujours.
Seules l'époque et la conception ont changé. L'époque : celle où la pub ne cassait pas les films à la télévision, pas plus qu'elle ne cassait la baraque sur laquelle elle se plaquait. La conception : de celle de la peinture des frères Ripolin aux néons clignotants et passant par les reliefs et les phosphorescences.
Faut-il en éprouver du regret, de la nostalgie, du passéisme ? Sans doute un peu. Où sont les enseignes des bottes Baudou, à Bessières ; les plaques à l'émail jaune d'oeuf où l'on pouvait lire : "La Dépêche informe vite et bien" ; les caisses vertes de Castrol que la petite Fabiola, aux Rouquiès, transformait en maisons de poupées, et Jean Mineur détrôné par la sculpturale Myriam qui promettait sur ses affiches de se produire dans un appareil que tout le monde réclamait réduit à sa plus simple expression.

Les murs ont des caractères

"Dubonnet, Byrrh..." Qu'on n'aille pas s'imaginer que les vieilles publicités buzétoises n'incitent qu'aux beuveries alcoolisées ou ne desservent l'éthylomètre.
Aux premiers pas de l'esplanade, qui conduit sagement aux berges du Tarn, et sous le regard bienveillant de Saint Vincent de Paul, un autre breuvage, qui n'a pas pris ombrage de ses liquides concurrents, vient apporter un démenti de circonstance : "Yoyo, le seul chocolat cuit", bien qu'il voit ses vertus s'estomper sous l'effet des outrages du temps ; "Yoyo", dans son cadre sobre, a arrondi les angles et s'illustre encore sur la façade qui lui sert de support. A inscrire sur vos tablettes avant que les inscriptions n'aient complètement fondu. Pour l'instant encore, elles rappellent le "temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaïtre" (Bonjour Aznavour).
A Buzet, où les choses vont lentement, près d'une de ces réclames, ne manquent qu'une traction avant ou une arondelle pour se retrouver dans le décor d'un film de Marcel Carné.
Les  verrées (de vin) et les billes (de chocolat) ne sont pas restées accrochées aux lèvres de ces morceaux de mémoire, surprises au plus près par l'objectif de Philippe Covès. Elles alimentent les rencontres des autochtones qui vont chercher leur vin et leur chocolat au supermarché tout proche, celui-là même qui vante ses mérites sur de rutilants panneaux publicitaires... à deux pas de "Yoyo", le seul chocolat que Myriam n'aura jamais cru.

JF

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"Yoyo est le seul chocolat cuit".  Publicité peinte à Buzet-sur-Tarn.
Bientôt un palimpseste ?  Photo Philippe Covès.


Délicieusement surannées, les réclames peintes ont-elles, à l'époque, suscité les mêmes réactions que les panneaux "4 par 3" qui peuplent aujourd'hui nos villes ? A en croire les recherches, elles fascinent encore et font l'objet d'ouvrages ("Anciennes publicités murales". Textes et photos Marc Combier. Préface de Pierre Bonte. Editions Ouest-France), de sites internet...
A Buzet, le vaste "Dubonnet" n'est plus visible de la route, occulté qu'il est par une haie de sapinettes ; "Byrrh" est envahi par le grimpant d'un feuillage... Quant à "Yoyo", il nourrit une haine recuite contre les Parques... S'apprête-t-il à devenir un palimpseste ?

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8 décembre 2009 2 08 /12 /décembre /2009 16:51

Quand les poids
étaient publics
"La Dépêche du Midi". Edition Nord-Est. 14 février 1995

N'était la route qui s'étrangle un peu, ici, entre deux grosses arêtes de murs, la traversée de Buzet ne soulèverait aucun problème ni grain de poussière. A l'opposé, le ruban goudronné s'échappe, plus droit sorti surpiqué d'une mercerie nouvelle, vers le département du Tarn. Là, les usagers attentifs ne manquent pas d'y remarquer, couronnant l'esplanade, un édifice de belle facture, au cachet imprimé dans l'histoire. Il faut dire que, dès 1881, il était "de bonne tonne", à Buzet comme en chaque bourg, de s'équiper d'un poids public. On s'enquerrait déjà de quantifier les produits et dérivés agricoles, destinés au négoce. La bâtisse, plus longue que large, moins décrépite malgré son âge que bien d'affreux gratte-ciels, mérite bien quelques notes circonstanciées.

Le cahier des "charges"

La première pierre de taille de Puycelsi fut donc posée voici un jeune siècle. Puis, on utilisa du bois de chêne et de peuplier pour les croisillons des colombages, ainsi que des moulures ouvragées de la corniche. L'ouvrage, ceint en son pignon d'une frise de rois lions, ne demanda plus qu'à être chapeauté d'un toit.
Et il le fut, surmonté d'un épi bouleté, toujours visible aujourd'hui. Le pavillon pont à bascule était hissé. Et c'est alors seulement que les usines de la Mulatière, près de Lyon, installèrent le mécanisme de pesage, fidèle aux prescriptions de 1794, année du changement de poids et de l'étalonnage.
Sur la bascule plate-forme, se succédèrent des formes qui ne l'étaient pas : du maïs mûri au soleil de juillet au blé gonflé par quelque orage, des "gros gras grains d'orge" austères aux stères de bois...
Tout bien pesé, il fallut aussi s'informer du bulletin de santé de la gent animale, avant de l'envoyer chez le boucher. Le constructeur flanqua la bâtisse d'un "enclos par nécessité" comme une enveloppe du Ministère de la Justice pour la pesée des cochons. De nos jours, d'autres cochons y ont uriné, par peur ou par bêtise, et ont rouillé les barreaux subsistants.
En quels lieux et sous quels pouces dorment les cahiers des charges et les livres secrètes d'antan ? Poids des choses, des vivants et des ans. Le pavillon pont à bascule de Buzet : y seront annexés, par ordre d'inscription dans l'espace, une cabine téléphonique, un abribus et un urinoir. C'est dire si l'endroit est stratégique.
On ne pèse plus comme avant. Avec les maladies à la mode, il n'y a plus que les amoureux qui maigrissent sur les poids publics, poids publics, poids publics...

JF


Le pavillon pont à bascule de Buzet-sur-Tarn, après rénovation. Photo Pietro Ferralis.

J'ai été très malheureux de ne pas avoir "sous la main" une photo pour illustrer mon "papier".
J'ai été très heureux quand j'ai vu, peu de temps après la parution dudit papier, les maçons rénover l'édifice, pour en faire un véritable petit bijou...
L'alternance...

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7 décembre 2009 1 07 /12 /décembre /2009 17:37

Au "biffé" de la gare

"La Dépêche du Midi" Edition Nord-Est. 17 août 1995

Etait-il possible qu'un tel lieu fut naguère bondé par les gens d'ici désireux d'aller ailleurs ? Un tel lieu : la gare du chemin de fer, aujourd'hui "station debout pénible", puisque désaffectée. Elle fut belle, pourtant, et elle le reste. Le charme désuet des vieilles filles qui coiffent Sainte-Catherine. Elle est restée là parce qu'elle n'a pas voulu voir qu'on a enlevé les rails l'an dernier [NDA : 1994], que la ligne dont elle était un point n'était plus exploitée que par les ragondins et les chiendents. La marquise dentelée abrite un quai désert ; les gonds de l'entrepôt-gigogne semblent à jamais scellés sur des valises oubliées, si loin du coeur et, malgré tout, sous les yeux, ou encore de lourds ballots, reliques de transactions de fourrage, de petits pois ou de haricots.
Quand bien même les motrices rouleront à une allure de plus en plus vive, rien n'empêchera les nostalgiques de la vapeur d'évoquer les locos hurlant, soufflant jusqu'au marché de Montauban d'où il se ramenait, dit-on, de savoureuses morilles. (Gare aux morilles !)
Du ras du mur, de la plaque indiquant l'altitude -110,16 m au dessus de la mer- au chien-assis tout en haut sur le toit ; du puits joliment "margellisé" au petit chalet d'aisance, la gare, ensemble architectural, est fidèle au moule voulu par la compagnie ferrugineuse. Toutes les gares de province se ressemblent -hélas ! Tout ou presque tout est sériel- mais en dépit de cette uniformité, chacune garde son identité.

Nouvel entrain ?

Que va devenir l'ancienne gare de Buzet maintenant qu'elle n'a de gare que le nom et quelques lieux communs pour une maison commune ? Qui lui redonnera l'entrain dont elle est dépourvue ?

Il faudrait abolir doucement les distances, l'espace et le temps dont elle tint compte et qu'elle respecta. "Adieu, voyages lents" a dit le poète. La gare est là : il lui reste de beaux jours pour prouver qu'elle ne s'en laissera pas aussi facilement conter par les ragondins et les chiendents.

 

JF


La "gare" de Buzet-sur-Tarn. 2008. Photo JF.

La "gare" de Buzet est toujours "dans son jus". Murs et charpentes sont, semble-t-il en bon état. Elle est devenue propriété de la municipalité. Toutes les possibilités sont offertes. Toutes les voies sont ouvertes... Reste à faire un sondage auprès des ragondins ?

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4 décembre 2009 5 04 /12 /décembre /2009 16:18

Que vont devenir
les "balançoires" de Bacchus ?


"La Dépêche du Midi" Edition Nord-Est. 26 octobre 1991.

Vendanges. En marge du labeur propre à la saison, regard porté sur ces étranges machines abandonnées, plantées à un jet de grain de raisin des vignobles, sur la route des vins, entre Gaillac et Fronton !

Au détour d'un chemin vicinal, elles s'érigent sur leurs stèles bétonnées, les pieds dévorés par la flore envahissante, la tête toujours à l'air libre, mais les membres coincés, raidis...
Potences sévères ? Girouettes improbables ? Hunes d'hypothétiques voiliers engloutis ? Non. Ces anciens robots agricoles étaient encore voués, il n'y a guère, au culte des fastes de Bacchus, divin du vin et de la vigne. En ce temps-là, par un sourire d'octobre, après avoir mûri sa décision, il coloriait les pampres en tablier, non sans avoir au préalable graissé la patte de ses "balançoires". Ses "balançoires" : amples mobiles arrimés sur un quai de chargement (et de déchargement !). C'est là qu'était amené le raisin fraîchement coupé, conditionné en "comportes". Pour faciliter la manutention de ces gros récipients de bois cerclé, les vignerons avaient planté, au milieu de leurs vignes, cet appareil de levage, fort utile pour la circonstance. Et ils en usaient, au nom du docte breuvage qui se préparait là déjà un peu, avec les minuties du prêtre qui oint du Saint-Chrême le nouveau-venu.
Le raisin, doucement bercé, était ainsi, sur ce dock à marée basse, affrété sur remorques et camions pour des destinations secrètes : alcôves, caves et cuves où il aurait à bien "travailler" avant de devenir le nectar que l'on connaît.

D'arrache-pied

Aujourd'hui, les "balançoires" se posent en victimes, comme des rengaines rétros supplantées par des airs à la mode... Entre "Poussez,
  poussez l'escarpolette..." et "Pousse ton fût de là", le disque a changé... Face A : la machine à vendanger a pointé son museau et sa haute stature qui enjambe sans pudeur les souches rougies ; de gros chariots orangés et joufflus se sont mis en tête de broyer sans pitié le fruit de la treille... Face B : la vigne n'a pas toujours eu bonne presse ; nombreuses sont celles qui furent arrachées pour rentrer en conformité avec les normes ; les "comportes" qu'on porte se sont renfrognées dans une encoignure de cave sombre, refoulées près du fouloir, au bénéfice de conteneurs plus modernes et maniables. Et, finalement, aux sacro-saints noms de la mécanisation et des réformes, contenants et contenus se sont passé des services des "balançoires". Si elles font toujours le pied de grue, elles n'ignorent pas qu'il est bien révolu le temps où l'office était servi à l'huile de coude.
Que vont-elles devenir ? Faudra-t-il les déboulonner ? C'est à la mode... Leurs sveltes silhouettes se découpent dans l'air, mais pour combien de temps encore ? Avant qu'on ne s'avise de les détruire, peut-être faut-il s'enquérir de les protéger ? Symboles de patrimoine, jalons-étapes de rallyes touristiques, quel artiste, un pinceau favorable à la main, saura les remettre en valeur ? En attendant, pour meubler leur oisiveté, elles collectionnent les points de rouille.
Certains jours pourtant, quand le soleil des arrières-saisons vient caresser du regard les vieilles servantes de Bacchus, celles-ci se teintent d'une certaine couleur : sépia. Comme les images d'autrefois.

JF

"La balançoire" de Bacchus. Buzet-sur-Tarn. Février 1992. Photo JF.
NDA : "C'est la photo que je n'ai pu réaliser "à temps" pour illustrer le papier de "La Dépêche"...


Carte Postale "Les petits métiers de chez nous" Le fouleur de raisins. Collection "As de Coeur"

Photo archives familiales JF.
NDA : Il s'agit de mes deux frères jumeaux, de 12 ans mes aînés.
(Le tracteur est décrit dans "Le Livre de mon père" publié sur les pages de ce blog.)



"L'excès d'alcool est dangereux etc.."
Les "balançoires" de Bacchus, tout du moins celles présentées ici, sont toujours en place, mais ne se bercent plus d'illusions... Quoique...
Le tracteur est à la ferraille...
Le fouloir à raisin, non pas celui figurant sur la carte postale, mais le "vrai" que j'ai reçu en héritage, je souhaite, avec d'autres objets agricoles (joug, râteau à fourrage, etc...) le léguer à un éventuel/futur musée à Buzet...

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3 décembre 2009 4 03 /12 /décembre /2009 17:40

L'être et lavoir



"La Dépêche du Midi" Edition Nord-Est. 29 avril 1992


V
ous aussi, vous l'aviez reluqué, le lavoir, aux Luquets, près de Buzet ? Et vous, vous y laviez comment ? Vous l'avez toujours, le lavoir, aux Luquets ? Et vous y lavez toujours ?...

Simone a acheté sa première machine à laver en 1969 ou 1970. Au nom de l'incalculable nombre de lessives qui, depuis, se sont succédé, sa mémoire est imprécise. En revanche, elle n'a pas oublié le temps où le seul tambour qui roulait, c'était celui du garde-champêtre. Le temps où les machines à laver avaient un toit, quatre murs et n'étaient pas "à côté de leurs pompes". Ne les avaient pas encore mises en "tôle". Avec Marthe, Félicie et Noëlie, on lavait son linge sale "en voisines", tout en bas de la placette qui ondule un peu, courbe l'échine et s'incline devant la croix des Rogations. Le lavoir municipal est toujours posé là, jouxtant le ruisseau, l'école, le dépôt d'ordures et l'édicule que n'aurait pas renié Vespasien.
Ici se sont dénoués sans mélange des torchons et des serviettes. Ici l'on a tordu et battu bien des draps qui n'avaient pas été sages. Puis on les a suspendus tout près, dans les prés, tels des rideaux de théâtre, parfumant l'air frémissant, rectangles blancs qui invitaient encore à ne pas les respecter...
Ici se sont évanouies la crasse, la sueur et la confiture qui n'avaient pas appris à se médiatiser. Seul l'épicier itinérant Fossat, dans son fourgon jaune citron pressé et sur ses étagères encombrées, vantait les mérites d'un paquet de lessive-miracle d'où Philomène extrayait, entre le pouce et l'index, ces merveilleux cadeaux qui vous garantissaient la poudre aux yeux.
Et toujours au lavoir, en ce parlement tombé en quenouille, les lavandières, bien loin de leur Portugal, commentaient les évènements du hameau : le sacrifice du cochon, les vendanges, les moissons, les Rameaux, l'acquisition du "Massey-Ferguson"... et un raton-laveur !
Que sont leurs dires devenus ? Se sont envolés dans les bulles de savon ? Peut-on les retrouver dans les vignettes coloriées des illustrés "Fripounet" ?

Othello

 

Le dimanche, quand les habits étaient propres, on les mettait. Le dimanche, des gens de la ville venaient. En cols blancs et souliers pointus. Ils restaient manger. Au dessert, ils allumaient leurs pipes et ils racontaient des histoires : "Quand Schubert a voulu faire l'"Ave Maria", Shakespeare a fait "Othello" !"

C'était à peine augurer sur les temps modernes : la vieille pompe à chapelet, privée de mains fidèles, a été priée de ne plus pomper ni l'eau ni l'air de personne.

Le seul argent qu'il allait falloir blanchir, c'était celui, moussant et sponsorisé par Pinay, destiné à l'achat d'un lave-linge.

Et c'est alors que les maisons se sont pourvues de cubes sages, alignés comme à confesse, d'où il semblait qu'on pouvait voir la mer et ses eaux mouvantes, à travers leurs hublots de navire quittant le mouillage.

Pour véhiculer le message, il aura fallu qu'une brave paysanne, solide carrure, accrédite d'un répercutant "C'est ben vrai, ça !" une attraction-vedette qui allait forcément mériter toute votre confiance.

 

JF

Le lavoir du hameau des Luquets. 1991. Photo JF.

Le dépôt d'ordures a disparu. L'édicule "que n'aurait pas renié Vespasien" a été détruit.
Un autre a été construit.
Le lavoir des Luquets a été transformé en salle de réunion. Il paraît qu'un certain raton-laveur en éprouve de la nostalgie...

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2 décembre 2009 3 02 /12 /décembre /2009 16:33

L'âme du hameau

"Qu'ils soient d'ici ou de n'importe quel parage
Moi j'aime bien les gens qui sont de quelque part
Et portent dans leur coeur une ville ou un village
Où ils pourraient trouver leur chemin dans le noir."
Jacques Bebronckart (Adélaïde)

L'enfance, toujours et encore, que je convoque ici, souvent. Peut-être l'aviez-vous détecté ? J'en garde une douce / tendre / suave / cruelle nostalgie / mélancolie. "Madame nostalgie / Pardonne-moi si j'en ai marre / De tes dentelles grises et noires / Il fait trop triste par ici." chante Serge Reggiani. Mais mon grand ami Jacques Brel, que j'ai très bien connu, rétorque : "On n'en finit pas de courir après les rêves qu'on avait quand on était petit. Je m'inventais un "Far-West".
Permettez-moi de vous désigner du doigt le mien.

La Dépêche du Midi. Edition Nord-Est. 4 août 2004.

P
rofitant de l'été et de la disponibilité de quelque espace dans les rubriques, Joël Fauré ne résiste pas à l'envie de partager ses souvenirs du hameau des Luquets cher à son enfance.
"Les Luquets" : cinquante "feux" à tout casser et deux ou trois familles dont les enfants se sont mariés entre eux. Du charme discret de la campagne, le garçonnet que je fus se souvient de deux ou trois "Madeleine", d'un marronnier, d'un ruisseau d'eau claire qui la traverse, de quelques vieilles pierres.
En fait, le ruisseau d'eau claire ne traverse pas : il longe, il lèche le mur de la vieille école, cube parfait, il coule sous un petit pont, fait du coude au lavoir avec qui il n'a jamais mêlé ses eaux.
Je compte un pigeonnier ; je retiens deux étables, plusieurs jardins. Je ne voudrais pas que ces jardins de curés deviennent des jardins de banlieue.
C'est Raymond Fabre qui parle le mieux des "Luquets". (...) Il nous éclaire sur l'origine du lieu : en occitan, un luquet est une allumette, un lumignon, un petit bout de chandelle, la petite flamme d'une veilleuse (lampe alimentée avec du pétrole dont la flamme n'est pas protégée par un verre) (1)
"Les Luquets" est le hameau de Buzet le plus proche de la forêt de la forêt où le bois est disponible à volonté pour allumer les luquets.
Mais le garçonnet se souvient d'avantage de son copain d'enfance Eric Barbe. Les jeux, les ris et les découvertes, tout est là, intact. La croix des Rogations, la motte fortifiée appelée aussi tumulus, et la boîte aux lettres jaune mais aussi la cabine téléphonique en dur dont la clef était confiée à ceux qui voulaient vraiment téléphoner : tels étaient les reliefs qui unissaient hier et aujourd'hui. L'exotisme n'était apporté que par acheminement postal des filatures du Nord ; le sel et le sucre par l'épicier itinérant.
Le sapin du Grand-Nord, offert par Pif-Gadget, mis en terre en 1975 est aujourd'hui le reflet végétal de quadragénaires
[NDA : bientôt quinquas !]nostalgiques.
Vinrent la brune et jolie Fatima et le sympathique Manuel, la bonne Maria et le farceur Belmiro : l'Europe déjà !
Le château de Laurentie garde ses secrets dans son parc où le garçonnet croit avoir aperçu une ombre fantastique un jour. Son grand-père aurait prêté main-forte lors de la construction : il tient ça de son père.
Autour, dans le vert, le hameau est paisible. Quand le vert rejoint le bleu ; quand la nuit a des envies d'orange, vers les feux de la Saint-Jean, tout s'allume bien vite : il suffit de sortir les "luquets".

(1) Source : Bulletin Municipal de Buzet-sur-Tarn. 1997.

JF


Vue aérienne du hameau des Luquets, commune de Buzet-sur-Tarn. Photo Pietro Ferralis.

La mairie de Buzet-sur-Tarn vient de se doter d'un site internet de belle facture, riche et dense, qui signe sur la "Toile" la forte identité de ce village.
A visiter :
www.mairie-buzet-sur-tarn.fr/web/181-acta.php

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:08


"Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles, à certaines heures pâles de la nuit,  (..)  avec des problèmes d'homme, simplement des problèmes de mélancolie."
(Léo Ferré "Richard" (A Richard Marsan)
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