MERCI
Paul Adrian (et Mme), Jean-Louis Agard, Bernard Albarède, Jean Bergail, Dominique Denis, Jean-Michel Fauré, Gilles Favier, Gérard Florand,
Jean-Pierre Jerva, Pierre Lartigue, Jacques Madrennes, Arlette Poinstaud, Marie-Sany Poujol, François Rozès, Christine et Jean-Claude Smati, Lucette Turroques, Robert
Vasseur.
Un merci tout particulier à Maurice Récolin.
La majeure partie des documents retraçant la carrière de Jeannette Mac-Donald se trouve au musée du cirque d'Albi, créé et animé par Bernard Albarède.
Jeannette (5 ans) et Sophie, à la Foire du Trône. (Photo DR)
Les lionnes et lions Apollo, Bellone, Blanchette, Clarence, Angelina, Duranton, Rachel,
Nina, Rosa, Zouina, Tarass, Ulysse, Prince, Royal, Ramsès, Brutus, Pacha ;
La tigresse Uhlah ;
Les singes Boubou, Titou, Nénette, Roméo, Juliette, Napoléon, Joséphine, Mimi, Bibi, Cino ;
La truie Lily ;
Le loup de Sibérie Samson ;
Le mouton Blanchette ;
La panthère Sheila ;
Le léopard Shanghai ;
Le poney Pascal ;
Les chèvres Cricri, Isabelle, Jeannette,
Le bouc Jojo ;
Les chattes et les chats Négus, Grisette, Gigi, Anémone ;
Les chiennes et chiens Rex, Lady, Baby, Horace, Négresse, Peter, Airsus, Iréna, Midi, Mercredi, Parking, Bienvenu, Trouvé, Whisky, Ralph, Pipo, Pompon, Chow-chow, Pupuce, Socrate, Rachel, Sarah,
Mireille, Gaby, Mario, Welcome, Tino, Paulhac, Gitan, Félicie, Neige, Belange, Juliette, Youcky, Pacha, Dagobert, Jim, Petite, Moïsa, Sonia, Jonas, Négraud, Dick, Mirza, Patricia...
ont la douleur de vous faire part du décès de Jeanne, Louise, France Corfdir, dite Jeannette Mac-Donald, survenu le 1er mai 1999 à Grenade.
Sans famille.
Jeannette Mac-Donald s'est éteinte paisiblement le 1er mai 1999, deux jours avant son 81e anniversaire.
Dans son dossier à la maison de retraite, y-avait-il noté, à la rubrique "Personne à prévenir" : personne ?
Lors de ses obsèques religieuses, le jeudi 6 mai 1999, en l'église de Bessières, nous n'étions pas très nombreux.
Si Jeannette Mac-Donald ne repose pas au "carré des indigents" ou dans quelque fosse commune, c'est grâce à un homme : Jean Bergail.
Son geste a une beauté et une noblesse rares : il a proposé d'accueillir la
dépouille de Jeannette dans son caveau familial, au cimetière de Bessières, où repose déjà sa mère, et l'abbé Basséguy, frère de la grand-mère de Jean, qui fut curé de Buzet.
Sur la sépulture, une plaque "A notre amie regrettée" rappelle par l'image le souvenir de "Jeanne Corfdir (Le graveur a écrit "Cofdir") dite Jeannette Mac Donald 1918 - 1999". C'est une
photo, une photo qui reste dehors à l'air libre et qui traverse les saisons, et qu'on ne voit que dans les cimetières, là où il n'y a que des gens irremplaçables.
Le caveau de la famille Bergail - Basséguy, au cimetière de Bessières où repose Jeannette Mac-Donald. (Photo JF)
La plaque-souvenir, sur la caveau. (Photo JF)
Les arbres se souviennent.
Parfois, il m'arrive de ramener mes pas sur ce que fut le zoo de Jeannette. La nature a repris le dessus. C'est un bois qui ressemble à un autre bois. Pourtant, je revois la
configuration des lieux. La mémoire est immatérielle.
Seule la petite bâtisse de la caisse à été conservée. Sur le guichet, il semble qu'il y ait écrit :
"Le spectacle est annulé. Circulez, y'a rien à voir".
Il est pourtant d'infimes détails qui restent, à qui sait les voir. Telles ces
deux cicatrices sur le tronc d'un chêne, qui se remettent d'une cravate de chien trop serrée ; tels ces deux essieux de roulottes, curieusement disposés en croix potencée ; telle la boîte
aux lettres, restée accrochée près du portail (Une adresse permanente ?), comme celle en sentinelle près de la tombe du poète Antonio Machado ; tel ce crâne de vache, comme on en voit dans les
westerns...
Pour le reste, tout le reste, il faudrait creuser un tout petit peu...
En tous cas, au nom de l'histoire extraordinaire que ce sol porte, il ne faudrait pas en faire n'importe quoi...
HORS-SAISON
Ce livre n'est pas un livre sur Jeannette Mac-Donald.
Jeannette Mac-Donald n'a jamais existé.
Jeannette Mac-Donald est un personnage de fiction.
Comment ? Vous prétendez l'avoir connue ? Vous avez rêvé, Madame. Vous avez rêvé, Monsieur.
"La vie est un songe" a dit Calderon.
Place au cirque !
Le cirque Pinder, qui reste, en France, l'un des rares établissements itinérants à perpétuer la tradition, fait étape à Toulouse, du 4 au 14 mars 1999.
Le siècle qui se termine a vu apparaître l'émergence du "nouveau cirque", que les puristes conspuent. Ils n'imaginent pas un cirque sans la mystérieuse magie qui les a touchés : la route, la
place, les camions rutilants, le chapiteau de "la ville d'un jour", les pinces piquées dans le goudron pour maintenir la toile, les cordages, les affiches, les filles longues comme des lianes,
sans un soupçon de graisse, toute en sensualité, et les bêtes, bien sûr... Les chevaux, avec qui tout a commencé... les éléphants, avec qui tout s'est poursuivi, les singes et les fauves...
Aujourd'hui, un orang-outan, espèce menacée, qui agite un mouchoir attise moins l'intérêt qu'un monstre cloné, génétiquement modifié, sous le glacis d'un écran d'ordinateur.
Une législation draconienne interdit aux cirques de transporter des animaux qui ne participent pas au spectacle. Dans certains pays, les numéros d'animaux sont purement et simplement proscrits. A
intervalles réguliers, une publication, un parlementaire, un quidam autoproclamé "Président de l'association pour le libre piratage vidéo de "La Planète des Singes" se demande si un animal se
demande ce qu'il en pense, s'il pense, s'il réfléchit, s'il pleure, s'il rit...
Et les débats deviennent des combats d'hommes déguisés en coqs...
Ma pauvre Jeanneton, tu as bien fait "de te ranger des voitures"...
Donc, le cirque Pinder est installé à Toulouse. Il a été racheté à Jean Richard, qui connaissait des difficultés de trésorerie, en 1984, par Gilbert Edelstein. L'homme, monolithique, fort de ses
états de services militaires, préside aux destinées du "Géant Européen" avec une main de fer. Il ne fait aucune concession, lui qui possédait celle de la confiserie et du bar chez JR !
Il prétend que le cirque est "d'abord une entreprise de transport, ensuite une entreprise de "levage", et ensuite seulement une entreprise de spectacle." Ses prises de position lui
vaudront quelques inimitiés. On lui reproche, contrairement à Jean Richard, de considérer les artistes comme du bétail.
Or, il se trouve qu'il porte une grande admiration à Jeannette
Mac-Donald. Déjà, en 1987, alors qu'elle se trouvait en détresse, on se souvient qu'il l'avait secourue financièrement.
Gilbert Edelstein travaille en famille. Son épouse le seconde dans la gestion, sa fille Sophie se couche en piste sous le ventre des éléphants (et songe à créer un numéro de grandes
illusions) ; son fils, Frédéric, passionné par les fauves, est un dompteur déjà remarqué.
J'enlève Jeannette aux griffes de son mouroir grenadin. J'emmène au cirque où elle est attendue, une enfant de la balle qui va avoir 81 ans dans deux mois.
L'accueil chez Pinder est royal. Il ne manque que le tapis rouge. Jeannette a préparé un cadeau pour le jeune Frédéric : une photo de la grande époque "Amar", où on la voit aux côtés de Zavatta
et de Michel Simon.
Frédéric, qui présente alors un numéro de 11 tigres, est rayonnant, empli d'une émotion, d'une admiration bien visible. Un grand sourire s'allume sur le visage de Jeannette, pas insensible d'être
aux côtés de ce beau jeune homme vigoureux.
Jeannette, qui ne dompte plus que des animaux synthétiques et quelques douleurs articulaires est heureuse du cadeau reçu en retour : une photo dédicacée du plus jeune dompteur de France à la
plus ancienne. C'est une photo de liberté. On y voit Frédéric et un magnifique tigre du Bengale courir pieds et pattes dans pattes et pieds, ensemble, de front, sur une plage, dans l'écume d'un
bord de mer...
La plus ancienne et le plus jeune dompteur de France :
Jeannette Mac-Donald et Frédéric Edelstein, au cirque Pinder, à Toulouse, en mars 1999. (Photo JF)
Sous le signe du feu
"La caravane de Jeannette a brûlé. Elle est vivante !"
Un film, la vie de Jeannette. Un film vous dis-je...
Il y a, dans les films, des séquences qu'il ne faut surtout pas chercher à comprendre.
Un matin, la caméra fait un zoom sur la caravane de Jeannette réduite en cendres. On parvient à découvrir deux cadavres calcinés de petits chiens. Jeannette, qui avance des explications
brouillées, s'en est miraculeusement bien tirée...
Jeannette, un sacré numéro !
"La Dépêche du Midi" du samedi 27 décembre 1997 informe ses lecteurs, sous la plume d'Elfie Dessort : "En août, un incendie ravage une des caravanes du "Zoo de Buzet",
en pleine forêt. Jeannette Mac Donald, 79 ans, échappe de justesse à l'incendie. Jeannette est relogée au Pastourel, à Bessières.
"La Dépêche du Midi" - 27 décembre 1997
"Le Pastourel" est un foyer-logement pour personnes âgées comme il en fleurit dans notre pays depuis que l'espérance de vie s'est
rallongée.
Ainsi contrainte et forcée, Jeannette Mac-Donald, fille du vent et des étoiles,
enfant de la balle, redevient Jeanne, Louise, France Corfdir, 2180593...sur la liste de présence d'une maison de retraite, d'un hospice, d'un asile, "chez les petits vieux", entre quatre murs...
où les seuls animaux tolérés sont en peluche.
Sous le signe du feu.
Le règlement, c'est le règlement. Au "Pastourel", les animaux ne sont pas admis. La mort dans l'âme, Jeannette s'est résignée à vivre quand même sans ses
bêtes. Par contre, c'est trop lui demander de ne pas fumer. Elle brave les interdits. La direction tolère, eu égard de la personnalité exceptionnelle de la résidente. Imaginez un peu
"Elephant Man" recueilli à l'hôpital de Londres par le docteur Treves, le tout filmé par David Lynch !
Mais passées les bornes, il n'y a plus de limite. Jeannette balaie de la main les remontrances et s'allume une autre Gauloise.
Elle n'est certainement pas raisonnable, mais est-il possible de raisonner des êtres extrêmes, d'excès, de ceux qui constituent les ménestrels, les fous du roi ou de l'état, chantant, dansant, disant, faisant, et dont nous avons tellement besoin parce que leur démesure nous fait sourire, rire, nous émouvoir, pleurer ?
Jeannette est de cette trempe : indomptable, unique, artiste.
Et un artiste est artiste jusqu'au bout. Quoi qu'il arrive. Devos, Martin et leurs AVC ; Brel et son cancer ; Annie Girardot et son Alzheimer. Les exploits de Jeannette Mac-Donald seront d'un autre ordre ; les exploits ou les frasques ou les lubies, mais c'est du pareil au même...
Jeannette oubliera sa cigarette et mettra le feu au matelas. Jeannette fuguera, se rendra au supermarché du coin et enfourchera le premier vélo qu'elle trouvera sous la main. Elle veut retourner dans les bois, quoi de plus normal ? A-t-elle vu le zoo entièrement rasé, hormis la petite bâtisse qui servait de caisse, dont le guichet fermé semble laisser sous-entendre : "Le spectacle est annulé. Circulez, y'a rien à voir !" ?
Interrogée sur sa fugue, sur le vélo "emprunté", Jeannette répondra avec un aplomb désarmant : "Eh ben, quoi ? J'en avais besoin de ce vélo..."
La direction du "Pastourel" ne l'entend pas de cette oreille. Elle évoque un risque d'incendie, et ne veut pas mettre en danger ses résidents. La dame aux lions et au tempérament de feu est priée d'aller d'aller faire son cirque ailleurs.
En 1998, elle est admise à la maison de retraite "Saint-Jacques" de Grenade-sur-Garonne.
Grenade, ça fait plus espagnol, ça fait plus
international...
A la maison de retraite de Grenade -une bourgade près de Toulouse célèbre pour sa plus grande et ancienne halle de France -ses bois ont été coupés en 1293-,
Jeannette perd encore quelques étoiles... L'établissement est vétuste ; dès l'entrée, on est saisi par une forte odeur composée de miasmes et de relents divers qui fait assurément regretter
l'ambiance olfactive du zoo.
Mais peu importe : avec un peu d'imagination, en se pinçant le nez, en fermant les yeux, Jeannette peut refaire le voyage à l'envers : l'Espagne, l'Andalousie, les jardins de l'Alhambra, les souvenirs mauresques...
"Quien no ha visto Granada no ha visto nada" . (Qui n'a pas vu Grenade n'a rien vu.)
Grenade et Grenade. Jeanette et Jeannette...
A Grenade, Jeannette joue les divas : elle se maquille, se laque les ongles, met du rouge à lèvres ; elle porte des pantalons à fleurs. Son esprit est resté vif. Elle a gardé toute son autonomie. Elle côtoie un ancien clown, qui a aussi été "homme-canon". Avec son amie Béatrice, qui passe la prendre, elle joue les filles de l'air parce qu'elle a très envie de savourer des huîtres...
Jeannette Mac-Donald, à la Maison de Retraite "Saint-Jacques" de Grenade-sur-Garonne.
Si on allait au cirque ?
Pour distraire un peu Jeannette de ses petits soucis, je lui propose de l'emmener au cirque d'Arlette Grüss. Arlette Grüss est la descendante d'une célèbre
dynastie. C'est la fille aînée du grand maître écuyer Alexis Grüss sénior. Elle est née en 1930. Elle a été ballerine de l'air sous le nom d'"Hélène de Vernon", puis "Miss Arlette" et ses
panthères. Elle a créé son propre cirque en 1986. C'est l'un des plus beaux et des plus courus qui sillonnent la France.
Arlette et Jeannette s'apprécient vraiment. Ca se sent. Ca se voit.
A Toulouse, malgré qu'elle "traîne un peu la patte", la directrice sort de sa caravane et vient saluer Jeannette avec effusion. Cette dernière n'est pas, non plus, au sommet de sa forme.
Michel Palmer, le "Monsieur Loyal" du spectacle, est visiblement touché de la rencontrer ; il semble n'avoir d'yeux que pour elle. Reçue avec tous les honneurs, toutes les prévenances, Jeannette
se montre aussi capricieuse qu'une enfant gâtée. Bien installée dans les loges, en plein spectacle, elle veut allumer une cigarette ; je réussis à l'en dissuader. Elle insiste. Elle veut sortir.
Nous sortons. Nous nous réinstallons. Maintenant, elle prétend qu'elle a très faim. Je lui demande de patienter. Bien sûr, elle me rabroue, elle gigote, elle veut de nouveau sortir. Nous sortons.
On lui apporte un énorme sandwich...
La santé physique et mentale de Jeannette se détériore-t-elle ? Voit-elle, elle si active, l'aile de la vieillesse venir l'effleurer ? Pour marcher maintenant, elle s'aide d'une canne.
Se retourne-t-elle vers sa jeunesse ? "Tu sais, me dit-elle, cette nuit, j'ai encore rêvé de Monsieur Schérif. Je suis sûr qu'il est passé devant le zoo sans
s'arrêter."
Caravane.
Dans la première caravane qu'a occupée Jeannette à Buzet, alors que Smati avait bricolé une télévision à batterie, pendant que nous regardions un film, Jeannette se faisait des nouilles à la
poêle, qu'elle aimait bien grillées, et terminait son repas par une tartine de camembert trempée dans du café.
"Je suis née dans une roulotte, j'ai été élevée avec des petits lions... A mon âge, je me vois mal reprendre la route... Et je déçue... Je suis déçue des gens du voyage... Et tu vois, je
repense à Monsieur Mustapha Amar. C'est du jour où il a eu de l'argent qu'on est venu pour ainsi dire lui lécher les bottes ; mais, s'il était resté le petit mitigé français-arabe qu'il était, ça
ne se serait pas passé comme ça..."
Jeannette est amère. Il ne faudrait pas beaucoup la pousser pour qu'elle joue "Tatie Danielle", ou qu'elle s'assimile à Janet Frame dans "Un ange à ma table", qui, dans la scène finale, rejoint une caravane contre laquelle prend appui une mobylette...
Mais le rêve africain ou américain va achopper sur le petit hôpital de Lavaur, gros bourg du Tarn, seulement célèbre parce que cité à deux reprises dans "La vie mode d'emploi" de Georges Pérec.
Jeannette, qui n'a jamais été malade, supporte mal cette étape qui
n'était pas prévue sur l'itinéraire. Et, pour la première fois, elle flanche, ou se laisse flancher.
Et peu importe si c'est le coeur, le foie ; si ce sont les poumons, les reins ou les articulations, l'estomac, le côlon, les artères ou la tête, alouette, qui sont en compétition pour savoir
qui cédera le premier.
"Comédienne ! Sarah Bernhardt !" avait coutume de dire Jeannette à propos d'une bête joueuse, d'une chienne qui feignait le drame pour avoir une caresse.
En a-t-elle rajouté quand sa santé défaillante la condamnait à ne
plus pouvoir réaliser les deux rêves de sa vie : "faire claquer le fouet comme un homme et siffler dans ses doigts". (1)
A l'hopital de Lavaur, devant ses forces amoindries, Jeannette est placée sous tutelle.
Rétablie, elle regagne sa caravane dans les bois.
(1) "Les fauves et leurs secrets", Jim Frey. "Presses de la Cité"
Jeannette Mac-Donald. Le visage est-il un livre ouvert ? (Photo
DR)
L'abbé Pierre se souvient
de Jeannette Mac-Donald
Dans de bonnes conditions.
Il faut croire que les instances administratives n'ont pas abandonné l'idée que
" les seuls animaux qui n'auraient pas été dispersés seraient des animaux domestiques, dont la dispersion s'effectue dans de bonnes conditions et est en voie
d'achèvement."
"La Dépêche du Midi", dans son
édition du 22 janvier 1996, écrit : "La fin du zoo de Jeannette ? Depuis 23 ans qu'elle a choisi de demeurer, dans des conditions de confort précaires,
dans un coin de la forêt de Buzet, les bessièrains et tant d'autres habitants des communes avoisinantes, connaissent bien la frêle stature et le visage parcouru de rides de Jeannette Mac
Donald.
Il est bien loin le temps où ce que l'on a pris coutume d'appeler le zoo de Buzet n'héberge plus d'animaux sauvages, mais Jeannette est toujours là, s'abritant dans une caravane, sans eau
courante ni électricité, dévouant sa vie au bien-être des animaux (des chiens essentiellement) qu'elle recueille, soit parce qu'on les lui apporte directement, soit parce qu'ils errent,
abandonnés, aux abords de la forêt.
Il y a quelques jours encore, l'ancien zoo donnait asile à cinquante et un chiens "correctement nourris, précise Mme Mac Donald, grâce à l'aide que m'apporte quotidiennement tout un réseau
d'amis."
Aujourd'hui, la maîtresse des lieux contemple tristement les neuf dixièmes des niches vides : on lui a pris "ses enfants".
En effet, sur décision de la direction départementale des services vétérinaires, des employés des services vétérinaires sont venus saisir quarante-trois animaux." (...) Maintenant, lorsque son
regard se pose sur une niche vide, c'est un coup d'aiguille dans le coeur de Jeannette Mac Donald. "C'est vrai que j'avais beaucoup trop de chiens, mais la faute à qui ?" Les choses auraient pu
se passer différemment, dans le dialogue et la concertation, c'est triste d'en arriver là...
Un cadeau de l'abbé Pierre pour Jeannette Mac-Donald.
C'est le titre que choisit "La Dépêche du Midi" du 4 avril 1996, pour évoquer en quelque sorte un "retour d'ascenseur"... Et d'écrire :
"Le sourire est revenu pour Jeannette Mac-Donald. Sourire perdu depuis que ses chiens, amis et famille peuplant sa solitude, lui ont été pris.
Quel bonheur ce fut pour elle de recevoir ce cadeau de l'abbé Pierre : une
couverture, patchwork de carrés de laine, cousus par les compagnons d'Emmaüs, retraités à Esteville, auprès de l'abbé Pierre. Mais aussi un livre dédicacé de sa main "Le Testament", avec
une photo, dédicacée elle aussi.
L'abbé Pierre, Jeannnette Mac Donald l'a connu pendant le terrible hiver 1954. Elle avait pris ses quartiers d'hiver à Aubervilliers, avec sa ménagerie, ses cages, ses animaux, ses caravanes.
L'abbé Pierre, passant par là, lui demande s'il y en a à vendre. Il en a besoin pour ses "sans logis" qui souffrent tant cer hiver-là.
Jeannette Mac Donald ne vend pas. Mais offre deux caravanes pour ceux que l'on nommerait aujourd'hui SDF !"
Invité par l'école de Buzet-sur-Tarn, en 1993, Jeannette Mac-Donald se prête au jeu des
questions/réponses et signe des autographes. Attentifs, souriants, intenses, complices, les regards en disent long. Parmi les enfants, un fidèle parmi les fidèles :
Jules Pons. (Photo PD)
Cas d'école
Quand il se passe tout et rien.
A Rennes, j'ai obtenu un modeste certificat d'aptitude au métier d'employé aux écritures.
Je suis entré de justesse en tant que tel au ministère de la justice. Là encore, comme le cirque, ce n'est pas moi qui ai choisi le droit, c'est le droit qui m'a choisi. Au bon vouloir des
déclarations de "vacance" du concours d'emplois réservés.
Le zoo est fermé. Jeannette approche de ses quatre fois vingt ans. Jeannette est toujours un électron libre. C'est très bien tant qu'on a la santé. La santé conditionne tout. Le téléphone a été
installé. On ne sait jamais...
Au gré de ses envies, Jeannette déplace sa caravane à travers le parc ; c'est une manière comme une autre de ne pas rester sédentaire.
En 1993, une grande exposition d'affiches est proposée à Buzet. Jeannette est invitée par l'école du village. Les enfants, donnés blasés, sont subjugués par cette fameuse
mystérieuse ; les maîtresses sont ravies. La dompteuse retrouve sa superbe, se prête au jeu des questions/réponses, signe des autographes.
Au milieu des enfants, il y en a de plus grands, les amis de la première heure : Bibiane Mangion, la secrétaire de mairie "aux idées justes et larges", Jules Pons, qui partait aux
abattoirs avec sa deux chevaux et revenait avec trois boeufs, et Jean Bergail.
Jean Bergail.
Jean a vu Jeannette dans les années 50 à Toulouse, au cirque Amar. Il croit se souvenir que le cirque était installé à la "Prairie des Filtres". Il est sûr que Jeannette portait sa
lionne Blanchette sur les épaules.
Il a souvent dépanné
Jeannette.
Bonne bouille, le coeur sur la main, maintenant en retraite de la menuiserie, il ne rate jamais une occasion d'aller voir un cirque de passage. Savez-vous avec qui il aime y aller ? Mais oui,
bien sûr...
"On a vu Grüss, on a vu Zavatta, on a vu Bouglione, dit-il, l'oeil malicieux. Chez Bouglione, on avait payé la place, et, sous le chapiteau, Jeannette a rencontré le directeur. La tournée était pour lui. Au cours
du spectacle, le "Monsieur Loyal" a dit : "Ce soir, sous notre chapiteau, une grande dame du cirque nous fait l'honneur de sa présence : Jeannette Mac-Donald."
Les animaux meurent peu à peu, petit à petit. De vieillesse, de mort naturelle. Lorsque Jeannette perd son dernier lion, elle est effondrée. Elle sait qu'elle n'en aura pas un autre.
Jeannette Mac-Donald deviendrait presque une "Madame-tout-le-monde" s'il n'y avait pas tous ces chiens.
Des images saisissantes
L'univers, le caractère, la situation, le personnage de Jeannette Mac-Donald ont tout pour séduire un créateur. Gilles Favier, jeune photographe, a su entrer dans l'intimité de la
dompteuse, au moment où elle se méfiait le plus de ceux qui voulaient donner un reflet de sa vie. Il a pu faire des images saisissantes. Aujourd'hui, Gilles Favier est un photographe réputé, qui
travaille a l'agence VU. Trente ans après sa première rencontre avec Jeannette, il se souvient. Il se souvient de "son sale caractère. Elle a été dure à apprivoiser. Elle avait été très
échaudée par des gens qui lui avaient fait du mal. Je retiens, dit-il, l'absurde de certaines situations. Un jour, un jeune lion s'était échappé dans les bois. J'ai rameuté des copains
et avec des bâtons, nous sommes partis à sa recherche. Nous l'avons retrouvé et ramené dans une 2 chevaux."
Avec Gilles, Jeannette est mise en confiance. Accepté, pénétré
dans son antre, il a pu figer sur la pellicule des scènes hors du commun.
Gilles reconnaît que ses travaux sur Jeannette l'ont servi, tant sur le plan humain que sur le plan professionnel.
Lorsqu'il présente ses planches à la rédaction du journal "Libération", qui est l'un des premiers organes de presse à innover, en publiant des photos sous un angle inattendu, l'équipe
est "soufflée".
"Libé" n'hésite pas à publier dans son cahier central pas moins de quatre pages sur "Jeannette et ses animaux".
Les photos, en "pleine page", signées Gilles Favier
montrent Jeannette, un couteau à la main, s'apprêtant à dépecer un veau ; une hache à la main, débitant des quartiers de viande ; un seau à la main, faisant boire une chèvre ; un biberon à la
main, donnant a tétée à un lionceau ; les mains à plat sur une couverture où repose un lion mort ; une cigarette à la main ; et comme dans la chanson de Barbara, "L'Aigle Noir" : Dans ma
main, il a glissé son cou" (1), caressant une oie blanche...
"Buzet, écrit Michel Lepinay dans le texte qui accompagne le portflio, est une petite commune de la Haute-Garonne. Pour trouver le zoo à la morte-saison, il faut être du coin. Tous
les bois se ressemblent et celui qui l'abrite ne se distingue pas des autres... (...) Puis il évoque les tournées, la gloire, le drame en Algérie. Et il conclut son papier par une phrase
sans appel de Jeannette : "Vous savez, s'il ne vient pas de monde cet été, je ne m'en sortirai pas. Vous savez, je préfère crever de faim que de manger une de mes poules. Si je n'ai plus
d'animaux, je me fous en l'air."
Oui, Jeannette est une "bonne cliente" pour les médias. Pour les faiseurs d'images et de sons... A quelques exceptions près...
Qu'est devenu ce photographe, dépressif et dépité car Jeannette refusait une interview, et qui m'avait écrit : "Jeannette a tort de ne pas vous confier ses anciennes photos" ?
Quel beau documentaire aurait pu réaliser ce
doumentariste qui trouvait le parcours de Jeannette "cohérent", mais qui se heurtait, malgré son insistance, au refus obstiné du sujet !
(1) Bien que, en l'occurrence, et malgré démentis et avis brouillés et divergents, il s'agisse là de l'allégorie du viol de Barbara par son
père.
Page une du Cahier central "Jeannette et ses animaux". "Libération" du 29 janvier 1982.
"Sans mes bêtes,
moi, je me flingue."
"Sans mes bêtes, moi, je me flingue."
Jeannette n'a jamais cessé de répéter cette phrase.
Ne pleure pas, Jeannette.
Jeannette n'est pas rancunière. Elle n'en veut pas à Brigitte Bardot, "qu'elle a beaucoup aimée, au cinéma". Et Brigitte Bardot n'en veut pas à Jeannette Mac-Donald !
"La Dépêche du Midi", que le duel entre les deux
pétroleuses a passionné, donne la parole à ses lecteurs. Bien sûr, il y a les "pour " et les "contre".
"Je ne comprends pas qui peut avoir intérêt a défendre Mme Mac-Donald, cela n'a rien d'un zoo... Ce n'est pas parce que Mme Mac Donald a eu son heure de gloire qu'on doit lui permettre
de garder des fauves (et des chiens) dans de telles conditions. Ce sont les animaux qui font les frais de sa nostalgie d'une autre époque. (...) Son comportement, loin de susciter mon admiration,
représente à mes yeux, celui d'une malade qui cherche à se donner une raison de vivre. Ce n'est pas cela aimer les bêtes..." écrit une lectrice du Tarn.
La copie d'un télégramme dit : "Courage, Jeannette. Je connais Brigitte, elle a parlé à la suite de bavardages venimeux, croyant les bêtes en danger. Elle réparera, j'en suis sûre..."
Patricia Failhères, amie de Jeannette est réaliste : si elle reconnaît que les animaux ne vivent pas dans des conditions d'hygiène idéales, elle souligne les rapports affectifs très étroits -et
réciproques- entre l'ancienne dompteuse du cirque Amar et eux.
Enfin, Maurice a pris sa plume pour écrire une longue lettre à Brigitte Bardot : "Connaissant, Madame, votre bon coeur et la netteté de vos jugements en bien des domaines, nous sommes persuadés que vous avez été mal informée. (...) Je puis vous assurer que Jeannette est loin d'être ce que vous pensez d'elle. C'est une personne au grand coeur ne vivant que pour ses bêtes. (...) Elle exécute seule, quotidiennement, un travail que peu de gens auraient la volonté de faire. (...) Nous vous invitons à venir constater par vous même que les renseignements qui vous ont été fournis ont été grossièrement amplifiés pour certains et complètement "inventés" pour d'autres..." (1)
Brigitte Bardot n'est jamais venue à Buzet ; par contre, elle a
fait étape à Toulouse, en décembre 1987 pour une opération "Vingt chiens à offrir". Interrogée par "La Dépêche du Midi" sur "l'affaire" qui l'opposait à Jeannette, elle a
déclaré : "Il arrive souvent que des gens ont de bons sentiments, malheureusement, ils manquent de moyens pour aller jusqu'au bout de leur bonté." (2)
(1) "La Dépêche du Midi", 26 mars 1987.
(2) "La Dépêche du Midi", 14 décembre 1987