Avec "Le lien", aujourd'hui trouvable
en poche chez "J'ai lu", Katia Lamara, sous le pseudonyme de Vanessa Duriès a franchi le mur du son SM. Sa trajectoire de météorite s'est brutalement arrêtée dans un
accident de la route, le 13 décembre 1993. Elle avait 21 ans.
Ce qu'elle fut m'a troublé. J'ai souhaité en savoir plus. Sans voyeurisme déplacé.
Rencontre sans fard avec sa mère, et entretien, avec réponses simples et sincères.
JF : Madame Lamara, je vous remercie d'avoir accepté de me recevoir pour me parler de Katia. Vous avez accepté sans difficultés. Vous avez pris du recul
?
EL : On ne fait jamais le deuil.
JF : Quel regard portez-vous maintenant sur votre fille ?
EL : Elle vit toujours en moi.
JF : Comment avez-vous eu connaissance de sa sexualité différente ? C'est uniquement la découverte du "cahier noir", comme elle l'écrit ?
EL : Elle en parlait librement avec moi.
JF : D'après-vous qu'est-ce qui a incité Katia a choisir cette sexualité ?
EL : Par amour pour un homme.
JF : Sur le choix de son pseudonyme "Vanessa Duriès", quelle est votre explication ?
EL : Elle aimait bien Vanessa Paradis. Pour le nom, elle a pris le bottin. Le premier de la liste était Duriès.
JF : Comment avez-vous vécu la médiatisation de Katia ? Regardiez-vous les émissions auxquelles elle participait ?
EL : Je n'ai vu qu'une seule émission.
JF : Katia affirme qu'elle a coupé les ponts avec sa famille. Qu'en est-il vraiment ?
EL : Pas avec moi.
JF : Katia voulait-elle vraiment mettre un terme à ses relations SM ?
EL : Oui. Elle voulait écrire des nouvelles. Et puis, c'était les enfants qui l'intéressaient.
JF : A Toulouse, l'affaire Alègre a braqué les projecteurs de l'actualité sur les pratiques SM. Qu'en avez-vous pensé ?
EL : Je l'ai suivie. Je ne me suis pas trop penchée dessus.
JF : Lorsqu'on vous dit que Katia est devenue une "icône" du milieu SM, que répondez-vous ?
EL : Ca me désole. Elle mérite mieux que ça.
JF : Dans quelle circonstances avez-vous appris la mort de Katia ?
EL : On a reconnu la Mercedes au sigle... C'est tout vous dire...
JF : Vous m'avez dit au téléphone : "Je ne peux pas vous dire où est enterrée Katia". Que craignez-vous ? Des actions plus ou moins malsaines sur sa tombe ?
EL : Oui. Elle a d'abord été placée au dépositoire du cimetière de Laugnac. Elle est maintenant enterrée dans mon village natal.
JF : Aujourd'hui, votre avis sur le SM a-t-il changé ?
EL : Mon regard n'a pas changé. La liberté est universelle.
Propos recueillis en avril 2007
A retrouver sur Wikipédia : une rapide biographie de Vanessa Duriès et une critique du livre par Aurora.
L'homme : Vous ne pensez pas que nous avons été médiocres ?
La femme : On nous l'aurait fait savoir.
L'homme : Il faut absolument faire savoir qu'on ne nous l'a pas fait savoir. Il faut convoquer les mass-média, la presse, écrite, parlée, vomie... Où est la fine équipe ?
La femme : La belle !
L'homme : Elle s'est fait la belle ?
La femme : La "belle" équipe !
L'homme : Ah oui, la belle équipe. Où est la belle équipe ?
La femme : Et qu'allez-vous leur dire pour les intéresser ? De quoi allez-vous parler ? D'un suicide, d'un accident, d'un enterrement ou d'une maladie ?
L'homme : Je leur réciterai des bouts de phrases retenus ici ou là.
La femme : On va vous demander des chiffres.
L'homme : Je hais les chiffres. Mais je leur donnerai ceux du taux d'emprunt de mon pré, de l'abandon d'intérêt et du report d'échéance, plus quelques combinaisons, codes et
numéros. Je leur dirai que que je connais une très belle comédienne, mi ange, mi démon, entre le vice et la vertu ; ses mesures, sa stature, son amplitude, son altitude, son envergure ; je
les alerterai sur le thème du carnaval. Ils feront avec.
La femme : Quel est le thème du carnaval ?
L'homme : La peine de mort.
La femme : Il se dit que dans ce pays la justice est mal rendue. Est-il vrai ? Qu'en est-il ?
L'homme : Vous ne voulez pas que nous parlions d'autre chose ? Je leur dirai aussi que je sais lire.
La femme : Et que vous lisez quoi ? La vie des saints ? La vie des stars ? La vie des bêtes ?
L'homme : La vie des saints stars un peu bêtes. Et vous, maintenant que vous savez écrire, où allez-vous faire courir votre plume ?
La femme : Dans "La voix du Castrat" devenue "La voix de son maître".
L'homme : Vous avez compris bien des choses. Je suis le roi des cons. Je suis un triste sire concis. Bref... Alors, vous voulez un morceau noble : la sotte-l'y-laisse.
La femme : Je crois que l'on n'a pas besoin de la belle équipe pour tenir les 36 chandelles que je vous dois. On peut très bien se passer d'elle. Vous vous êtes tirés à quatre
épingles tirées du jeu des sept familles complètes. Gardez tout ça pour vous.
L'homme : Ca sent ici le cuir et là une odeur de ménage. Ca pourra faire bon ménage ?
La femme : On peut faire un bout d'essai. Regardez le fiacre ! Allez, fouette cocher !
L'homme : Je me souviens d'une prière, mais je ne sais plus qui l'a écrite :
"Ma lucidité, ma chair à vif
Ma fait cruellement souffrir.
Qu'on me donne le confort de l'âme
Et la quiétude de l'esprit.
Pitié.
J'implore le pardon des fautes
Que j'aurais dû commettre.
Pauvre scribe éreinté de coups.
Je me grise de mots, de vin, de viande.
Je veux être joufflu et pompeux ;
Gras et verbeux ; insolite.
Je ne veux pas rester comme les autres.
Qu'on me fouette à vif, au sang.
Que mes pleurs et douleurs soient au moins motivés.
Qu'on fasse mienne la ferveur du Christ.
L'ardente prière jaculatoire
Juste après l'introït.
Que je puisse aimer sans frein
La vie, les gens, le monde.
Que ma bouche soit riche
De la soif enfin apaisée de ses lèvres.
Et ma tête sereine."
(Un temps.)
La femme : Il faut finir.
L'homme : En queue de poisson, happy end, à la Molière, en fin ouverte, à toutes fins utiles, sauf bonne fin ?
La femme : Eh !
L'homme : On va biaiser, vous êtes d'accord ?
(Regard d'une grande intensité.)
La femme : Je suis d'accord.
FIN
La femme (Elle lève les yeux au ciel.) : Un séraphin passe.
L'homme : Un séraphin est passé.
La femme : Vous croyez aux miracles ?
L'homme : Oui, aux miracles et aux métamorphoses, et aux miracles suivis de métamophoses.
(L'homme se dirige vers la fenêtre.)
La femme : Où allez-vous ?
L'homme : Pisser dans un violon.
La femme : Ah, oui, nous l'avions un peu oublié. Il est toujours là ?
L'homme : Toujours. D'autres oiseaux sont venus aux nouvelles près des liquettes : un corbeau, un martinet, un albatros et une chanterelle. On va nous taxer de faire guimauve,
mais tant pis. L'albatros en cage ne l'est plus. Il est passé du 36e dessous au 7e ciel sans passer par le plancher des vaches. Ca vaut mieux comme ça pour tout le monde. Il a déplié ses ailes.
Il me rappelle ce que disait mon père : "Tu es trop intelligent pour rester ici et trop bête pour aller ailleurs." Le corbeau a jeté ses plumes d'oie ; le martinet claque, cingle mais c'est pour
la bonne cause, et la chanterelle...
(Le testeur d'haleine revient, porteur d'une bouteille qu'il donne à l'homme.)
Le testeur d'haleine : Voici pour vous une relique de l'adoubement. Une bouteille. Je l'ai trouvée sur le chemin qui va à la fête. Elle faisait borne. C'est drôle, hein ? Vous
m'excuserez si je ne trinque pas avec vous ; il m'arrive de trembler quand le verre est trop plein. Santé quand même. Révérence. Je suis votre serviteur.
(Il s'en va.)
L'homme : Monsieur le testeur d'haleine ?
Le testeur d'haleine : ...
L'homme : Merci.
(Le testeur d'haleine sourit et s'en va.)
Une bouteille.
La femme : C'est quoi ? J'ai peur que ce soit imbuvable.
L'homme : Une bouteille...
(Il lit sur l'étiquette.)
Bouteille. Serrez le bouchon selon la force de votre poignet. Nous sommes bien avancés. Par contre, j'ai tout lu d'une traite, cul sec ! Il y a longtemps que
ça ne m'était pas arrivé. Je voudrais vous faire remarquer que je peux lire de nouveau. Peut-être saurez-vous écrire ?
(Il arrache l'étiquette de la bouteille et la donne à la femme.)
Prenez de quoi écrire.
(Elle se saisit d'un stylo.)
Adverbe d'intensité.
La femme : Tellement.
L'homme : Qualificatif.
La femme : Naufragés.
L'homme : Pronom.
La femme : Que.
L'homme : Déterminant.
La femme : La.
L'homme : Substantif.
La femme : Mort.
L'homme : Verbe.
La femme : Paraît.
L'homme : Adjectif.
La femme : Blanche.
L'homme : "Tellement naufragés que la mort paraît blanche". C'est Jacques Brel qui a écrit ça. Naturellement, vous ne pouviez pas le savoir, la mort n'est à personne.
(L'homme et la femme s'assoient et se recueillent.
Une chanson se laisse entendre : "Les désespérés" de Jacques Brel.)
(A suivre.)
Le testeur d'haleine : Pourquoi n'êtes-vous pas venus à la petite sauterie, au petit
pot-aux-roses organisé à l'occasion des rois que l'on donne dans l'autre aile d'ici là-bas ? J'ai pu examiner tout le monde d'un seul coup d'oeil à vue de nez. Tout le monde avait bouche bée
devant les petits fours et le mousseux.
L'homme : C'est que je ne suis pas très groupiste. Je ne suis pas invitable. Je m'y tiens très mal, à table... Et puis je me méfie des pots, des rots, des mets, des pets. Les
rots après les mets et les pets avant les pots.
La femme : Moi, je n'aime pas les rendez-vous convenus, pas plus que je n'aime plus que lui les tables quand il faut s'y mettre pour manger, multiplier ou diviser. Trop de
visages masqués et pas de loup. Et puis, c'est très révélateur la manière dont on mange : toute notre pauvre condition s'échappe. Il ne faut surtout pas essayer de biaiser. Chassez le naturel :
il revient au galop !
L'homme : Et peut-on quand même savoir qui a été sacré roi à cette auguste assemblée ? Il y avait du monde au moins ?
Le testeur d'haleine : Quelques femmes en pressoir, en sautoir, en éteignoir et en dressoir, et quelques hommes en couronne. Mais rassurez-vous, l'inventeur de la poudre, lui non
plus n'est pas venu. Il a adopté la politique du trône vide. C'est dommage, il y avait une femme qui n'était venue que pour lui. Il avait de l'entregent ; elle avait de l'entrejamble : ils se
seraient bien entendus. Il n'est pas venu car il n'est pas d'accord avec une citation dans l'air du temps : "La vie, c'est comme de l'eau : si vous mollissez la main, vous la gardez ; si vous la
raidissez, vous la perdez."
L'homme : Il a raison de ne pas être d'accord. Vous êtes un sage, monsieur le testeur d'haleine. Saurez-vous me dire comment on doit serrer la main des gens pour les saluer et
prendre congé ? Nous n'accordons pas assez d'importance à ça. Mes pauvres poignets ont reçu trop de clous et sans leur force, j'ai l'impression de tendre une queue de poisson.
Le testeur d'haleine : Et bien, ne cherchez pas à tricher. Qu'est-ce que ça veut dire une poignée de main bien franche ? Que quelqu'un essaye de faire pression ? Je ne crois pas.
Ceux qui ont le coeur sur la main savent comment il faut serrer. Joindre la parole au geste n'est plus qu'un jeu de société amusant. Il se peut dire : "Il n'est de bonne compagnie qui ne se
quitte.", "On met les voiles, les bouts ; allez, on y va, on décolle ; je vous laisse. Ravi de vous avoir rencontré. C'est entendu. Cher amis, bonjour et à demain si vous le voulez bien ; à lundi
si le coeur vous en dit. Merci infiniment. Au revoir et à bientôt." Bilan pratique : voici une main tendue.
(Il tend la main.
Notre homme la serre et dit : "Ravi de vous avoir rencontré.")
Pour les dames, c'est différent. Une poignée de main sans chevalière fait un peu cavalier seul. On peut dire : "Mes
hommages, madame. Je suis votre obligé, votre avaliste, votre débiteur. Madame, je suis votre serviteur. Révérence." On peut humblement effleurer de ses lèvres le dos de leur main. Ou bien
encore faire claquer sa lippe sur les joues rebondies en enserrant de ses bras les frêles épaules du tout petit pauvre sexe faible. Bilan pratique.
(Il tend ses bras vers la femme et l'embrasse copieusement.)
Au plaisir, monsieur.
(Il lui serre la main.)
Mes hommages, madame.
(Il l'embrasse copieusement.
Se ravisant :) Vous m'avez été sympathique ; ne bougez pas, ne changez pas. Je vais vous chercher quelques reflets et reliefs de la fête. Là-bas. Fève, petit-four, boudoir, galette ou
bouteille. Ce qu'il restera. Je reviens de ce pas.
(A suivre.)
L'homme : Je n'ai aucun mérite. Ca vient tout seul. Je vous répète que tout est dans le
dictionnaire.
La femme (Elle se saisit du dictionnaire et le consulte. Elle lit :) Chanterelle : nom féminin. Corde la plus aiguë d'un instrument à cordes et à manches. Appuyer sur la
chanterelle : insister sur le point sensible, essentiel. Oiseau que l'on enferme dans une cage pour qu'il attire par son chant les oiseaux de son espèce.
(Ménager un silence.)
Une voix de la coulisse : C'est inadmissible ! Admettez-le.
(L'homme et la femme se retournent.)
La femme : Ah, encore un litige au bureau des admissions. Un homme a l'air d'être en colère.
L'homme : Il a l'air d'entre deux airs : celui d'être en colère et celui de ne pas avoir inventé la poudre.
La femme : Oui, c'est vrai, il a l'air de ne pas avoir inventé la poudre.
L'homme : Pour changer un peu, si on attendait Devos ?
La femme : Vous pensez qu'il viendrait si on lui disait qu'il y a ici pour lui un vrai faux-nez ?
L'homme : Voici quelqu'un. Je crois que c'est le testeur d'haleine.
Le testeur d'haleine : Madame, monsieur. Permettez-moi de vous cueillir à froid, au débotté. Je vous examine ensemble ?
L'homme : Nous n'avons rien à nous cracher.
(La femme et l'homme se mettent debout, l'un derrière l'autre.
La femme ouvre grand la bouche ; le testeur d'haleine y penche son nez.
Appréciation professionnelle.)
Le testeur d'haleine : Rappelez-moi votre âge.
La femme : 30 ans, 9 mois et 12 minutes.
Le testeur d'haleine : Que faites-vous la nuit ?
La femme : L'halète.
Le testeur d'haleine : C'est bon, vous pouvez disposer.
(Elle va s'asseoir.
A son tour, l'homme découvre ses mâchoires et ouvre grand sa bouche.
Même jeu du testeur d'haleine.)
Quel âge avez-vous ?
L'homme : 30 ans, 9 mois, 12 minutes et 30 secondes.
Le testeur d'haleine : Que faites-vous la nuit ?
L'homme : J'halète.
Le testeur d'haleine : Voici vos bons de sortie.
(Il les leur donne.)
L'homme : Puis-je vous demander qui était cet homme, rageant au bureau des admissions tout à l'heure ?
Le testeur d'haleine : C'est l'inventeur de la poudre. Il prétendait avoir vu dans le jardin un grand violon avec du linge qui sèche dessus. Tout s'est arrangé : j'ai fini par
l'admettre : il y a bien un grand violon avec du linge qui sèche dessus. Qu'y-a-t-il, cher ami ? Vous grelottez ? Vous avez mauvaise conscience ?
L'homme : Je préfère avoir mauvaise bouche que mauvaise conscience. J'ai mauvaise bouche.
(A suivre.)
L'homme : Vous avez peur de vieillir ?
La femme : ...
L'homme : Avez-vous pensé à la chute de ce qu'auront été vos premiers cheveux blancs ; à vos premières taches, vos premières rides ; à vos joues tombantes, votre bouche puante ;
avez-vous pensé à votre ratatinement ?
La femme : Iconoclaste !
L'homme : Ca vous effraie ?
La femme : Oui, quelque part.
L'homme : Quelque part. Vous aussi, vous sacrifiez à la mode un relief du langage que l'on brandit comme un bouclier de Brénnus. Quelque part... (Parodiant :) Oh,
mais vous savez, ma chère, il est vraiment séduisant quelque part ! Si quelque part est devenu un lieu commun, alors, où va-t-on ?
La femme : Quelque part !
(Ils éclatent d'un grand rire complice.)
Nous avons échangé quelques images, quelques vues de basse-cour : qu'importe le cours des agnelets et des porcelets ! Sauriez-vous formuler un projet sincère ?
L'homme : Je voudrais ouvrir une boîte.
La femme : Vous savez où ça mène ?!
L'homme : Une boîte dans laquelle il se pourrait qu'on entende de la musique douce et où on pourrait tenter d'esquisser des danses lentes.
La femme : Ca se défend.
L'homme : Vous n'avez pas vu mon journal ? Je l'avais tout à l'heure, non ?
La femme : Chez vous, un objet sans valeur trop gardé, vite perdu et c'est tout un drame. Attendez...
(Elle se lève et s'aperçoit qu'elle est assise sur le journal.
Elle le tend à l'homme, concave et froissé.)
Je suis confuse. Je ne l'avais pas vu. C'est le journal dans lequel vous écrivez, je crois ?
L'homme : Oui, j'écris, c'est beaucoup dire... J'écris au compte-gouttes. Je m'occupe de la rubrique des éléphants écrasés. Leurs cimetières sont plein de gens
irremplaçables.
(Il n'a pas pris le journal tendu ;
la femme y penche son regard.)
Mais c'est vous ! On parle de vous ! Une accroche à la une. Chapeau bas !
(Elle lit :) Qu'est-ce qui cachait l'homme à la chanterelle ? A plus de 30 ans, il découvre qu'une anomalie l'empêchait de parler d'amour. Devenu névrosé, fétichiste et mégalo sauvage,
il s'aperçoit, après un long aveuglement, qu'il possède le sens des mots et un style. Portrait d'un dramaturge négligent. Lire page 30.
(Admirative :) Chapeau bas !
(A suivre.)
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Brèves :
BREL ETAIT LA
C'était hier. A quelques cinquante kilomètres où Brel vint chanter en 1962. Brel serait venu, là, dans le village de mon enfance... Brel disait à Jojo :
"On met un micro et une sono dans le coffre de la DS et on y va." Oui, Brel, serait venu.
Mais hier, salle Ticky Holgado à Bessières, il y était un peu quand même. La salle était pleine comme un oeuf, et sur la scène, il y avait "des jeunes qui ne le
connaissaient pas et des vieilles qui ne le connaissaient plus"... Enfin, pas tout à fait.
On m'avait demandé de choisir et de lire trois textes et de parsemer le spectacle de bouts de vie breliens.
Emu. Devant ces petites craquantes dansant sur "Bruxelles" et lorsque leur professeur est venu me dire : "Elles ne
connaissaient pas du tout Brel. Elles l'on découvert et ont pris beaucoup de plaisir à l'interpréter."
Surpris, lorsque les chorales entonnèrent un vivifiant "Au
printemps".
Séduit lors du récital de Jean-Luc Tardat, à la voix chaude et aux accents nougaresques, "contaminé" par Brel à l'écoute de "Mon père disait".
Subjugué par Marie-Ange Lavoie qui porte bien son nom et qui se donne dans une déchirante version tout en crescendo de "Quand on n'a que l'amour". (Et qui,
soit dit en passant, les coulisses regagnées, porte fort bien les cuissardes...)
Oui, Brel serait venu.
JF
2e ACTE
Le hall d'un hôpital vert et blanc.
Tout vert dehors, tout blanc dedans.
Nous retrouvons là la femme et l'homme du premier acte. Assis. Devant eux, un jeu de société s'étale sur une table basse. Un dictionnaire aussi.
Eléments du décor : un bureau des admissions, un tableautin au sujet imprécis ; une large baie laisse pénétrer
la lumière du jour.
A l'aide de pions, l'homme compose un mot qu'il dépose ensuite
sur un plateau quadrillé et multicolore.
L'homme : Corbeau.
La femme : L'oiseau ?
L'homme : Non, la pièce en saillie qui supporte les poutres. Depuis peu, je me passionne pour l'architecture. Je découvre la matière.
La femme : C'est conséquent ?
L'homme : Très.
(Un temps.)
Vous permettez que je vous raconte un souvenir d'enfance ? Je vous ramène à la campagne. Pouvez-vous me dire où sont-ils et ce que sont devenus Guy et Suzon, Jeanne et Raymond ? Ils venaient de
la ville pour passer les dimanches en s'étonnant. J'aimais les voir aller dans les haies cueillir des prunelles pour élaborer des liqueurs. D'une ferme lointaine, par delà les prairies
paqueretisées, des pintandes criaillaient...
(La femme l'interrompt et place un mot sur le plateau de jeu.)
La femme : Martinet.
L'homme : L'instrument ?
La femme : Non, l'oiseau. Vous, on peut dire que vous êtes un ortolancinant. Dites-moi, maintenant qu'on s'est traité de tous les noms d'oiseaux rares, vous pouvez me dire, si
vous vous en souvenez, comment nous avons atterri ici dans cet hôpital vert et blanc ?
L'homme : Pour vous, j'ai cherché à savoir ce qu'il y avait dans les murs d'une agence, ce qui s'y passait, et, comme un aveuglement cessait soudain, je suis tombé et je vous ai
entraîné dans ma chute.
La femme : Ca y est ! Je me souviens... La chanterelle ! L'agence, le linge... Tout ça ne tient qu'à un fil. (Elle se lève d'un bond et regarde par les carreaux de la
baie.) Tout est bien là. Votre linge ! Votre linge sale ne l'est plus. Il est lavé, épinglé sur la corde la plus sensible d'un grand violon. Tout ça ne tient qu'à un fil. La chanterelle.
(Elle revient s'asseoir.) Vous avez le visage des mauvais jours.
L'homme : J'aurais préféré un violon plus petit. Un stradivarius. Celui-ci se voit trop. Il encombre le jardin et l'entrée. Il n'est pas assez vert. Il y en a qui ne voient que
lui. N'en parlons plus. Sans contredit et de surcroît...
La femme : Vous ne pouvez pas aérer ce que vous dites. (Le parodiant :) Sans contredit et de surcroît... Que de précautions allez-vous prendre... De quoi vouliez-vous me
parler, sans contredit et de surcroît ?
L'homme : Je voulais vous parler de ce tableautin qui me fascine. (Il désigne le tableautin.) Cette jeune fille m'émeut avec son agnelet dans les bras. Et cette
clairière...
La femme : Ce n'est pas une petite fille, c'est un petit garçon. Ce n'est pas un agnelet, c'est un porcelet. Ce n'est pas une clairière, c'est un sous-bous sous-verre.
L'homme : C'est une petite fille !
La femme : Un petit garçon !
L'homme : Un agnelet !
La femme : Un porcelet !
L'homme : Une clairière !
La femme : Un sous-bois !
L'homme : On s'empourpre... On s'échauffe... On halète...
(A suivre.)
(L'homme reprend ses mouvements de tête vers l'arrière.
La femme revient vers lui.)
La femme (Intriguée.) : C'est quoi ces petits rituels magiques ?
L'homme : N'y faites pas cas. Ce sont des hennissements d'âne bâté qui réclame du son. En vérite, je m'assure que j'ai bien fermé la porte de chez moi.
La femme : Vous êtes du coin ? Vous sortiez de chez vous ? Vous êtes de ce quartier ? Et vous vous plaisez ici ?
L'homme : Oui. Oui. Oui. Non.
La femme : Pourquoi ?
L'homme : Parce que cette rue est nulle et non avenue. Je suis au 13. On devine un peu la façade. Là où on voit cette enseigne en encorbellement. (La femme se
rapproche. Il donne des indications de l'index.) J'occupe l'arrière-boutique d'une agence.
La femme : Une agence de quoi ?
L'homme : Je n'ai jamais très bien su.
La femme : Mais enfin, vous n'avez jamais cherché à savoir ?
L'homme : Je ne fais que la traverser. Il y a des portes et des boîtes mais tout est sous clef.
La femme : Vous devriez chercher à savoir.
L'homme : Il faut des codes, sésames, passe-droits, sauf-conduits, passeports et portes, laissez-passer et pisser, chasses-gardées, pattes blanches, emplacements réservés et
prioritaires, certificats de complaisances, régimes de faveurs, cartons et entrées, licences, patentes, dérogations et dérogations spéciales. Une seule fois, j'ai eu la curiosité d'inventorier le
contenu d'une boîte qui était restée entrouverte. Il y avait un échantillon de cuir, un tampon-dateur accusant la date du 31 mai 1986, un bandeau d'expédition du quotidien "Ouest-France", des
pétales de rose, un plan de Rennes, un plan de Bruxelles, un plan de Paris et les résultats d'une prise de sang annotés et interprétés. Et c'est alors que je me suis rendu compte que cette boîte
m'appartenait et que je l'avais laissé traîner par mégarde hors de chez moi. On aurait pu me confondre et me confondre avec celles et ceux de l'agence. De plus... Attention, un fiacre insiste
pour passer...
(A ce moment-là, on entend une musique. C'est "Le galop de la Gioconda" de Ponchielli.
Durant l'émission de cette musique, pourtant entraînante et enjouée, la femme et l'homme écoutent, interdits, stupéfaits, statufiés.)
La femme (Elle désigne le récepteur-radio.) : Ou bien vous ne l'avez pas bien éteint ou bien c'est la grande musique qui s'autodiffuse parce
qu'un conditionnement commence à opérer.
L'homme : Le fiacre n'insistait pas pour passer. Nous devrions décomposer tous nos mouvements pour éviter d'en faire de faux. Il faudrait aussi surveiller son langage. C'est dur.
Cette musique ne vient pas de là. (Il désigne le récepteur-radio.) Mais de là. (Il pointe un index vers un point indéfini en coulisse.) Lovée, il suffit de trois fois rien pour
qu'elle égrène ses notes. Ce n'est pas désagréable. Puisse-t-elle éveiller en rappel les choses de la vie ? L'entendions-nous déjà quand, petits, on nous mâchait le monde en bouillies et en
purées ? Oui, j'ai bien dit en rappel, quand on était petit. Au coeur des nuits orange et bleues par endroits, dans la maison en plein champ, près des arbres, dans la douceur moelleuse du lit,
quand on entendait chanter le vent en trilles dans le corridor et bruire la pluie en trémolos sur les tuiles qui allaient nous tomber dessus ; n'était-ce pas elle qui, petite musique de chambre,
caressait les lobes et les narines, disant "Bonsoir" ou "Dormez bien, faites de beaux rêves", "Toutes les puces dans ton lit et la plus grosse dans ta poche" ; elle qui effaçait les regards et
éparpillait les pensées ?
La femme : Vous faites des périphrases pour faire des périphrases. Vous parlez trop. Vous êtes trop naïf.
L'homme : Pourquoi ?
La femme : Pour trois raisons : d'abord, ensuite et enfin.
L'homme : Vous aussi vous parlez trop. Vous êtes insolente.
La femme : Pourquoi ?
L'homme : Pour quatre raisons : d'abord, ensuite, toujours et enfin.(Tout ce qui suit est dit en débit rapide.) Dans un coin de la cour intérieure, un escalier
à vis dessert l'habitation et se prolonge dans le sous-sol. Sa porte, à linteau appareillé, n'est que de la fin du XVe siècle, ce qui dénote les remaniements de l'édifice à cette date.
L'intérieur a d'ailleurs subi à plusieurs reprises des travaux qui l'ont en partie modernisé. La chanterelle. Robe de mariée. Charcuterie. Délice d'occitanie. Chaud et Froid. Saumon sauce
champagne. Magret de canard sauce Poivre Vert. Jardinière de légumes. Plateau de fromages. Omelette Norvégienne. Pyramide du Bonheur. Café. Eau de vie d'Ange. Vins de Gaillac. Champagne. La
chanterelle. L'adhésion n'est effective que lorsque le demandeur a satisfait à la production de l'ensemble des renseignements et pièces à fournir. Le défaut d'une seule pièce ou d'une signature
ne peut que retarder le traitement du dossier. La chanterelle.
La femme : Ah ça !
L'homme : Parfait en ville, le pantalon zippé côte en gabardine souple 65 % polyester, 35 % viscose. Une coupe sobre et élégante. Ceinture droite à passants. Plis et poches
passepoilés devant. Glissière et bouton côté. Pince dos. Bas non terminé 16 cm. Beige 964.6057. Gris 964.6035. Marine 964.6043. 36, 38, 40 : 199 francs. 42, 44, 46 : 219 francs. La chanterelle.
Zone A : Caen, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon, Montpellier, Nancy-Metz, Nantes, Rennes et Toulouse. Zone B : Aix-Marseille, Amiens, Besançon, Dijon, Lille, Limoges, Nice, Orléans-Tours,
Poitiers, Reims, Rouen et Strasbourg. Zone C : Bordeaux, Créteil, Paris et Versailles. La chanterelle. Sept fois six font quarante-deux. Sept fois sept font quarante-neuf. Sept fois huit font
cinquante-six. Sept fois neuf font soixante-trois. La chanterelle. Au moment de mettre sous presse, le bruit se répand qu'Elvin Bale aurait succombé à ses blessures. Il nous a cependant été
impossible d'obtenir confirmation de cette triste nouvelle et nous voulons encore espérer qu'elle est fausse.
La femme : Ah ça !
L'homme : Jeudi dernier, le gouvernement avait déjà annoncé un bond de 2,2 % en décembre des commandes de biens durables sur l'année ; le PIB a progressé de 2,6 %. La
chanterelle. Abiamo recevito la tuo cartolina siamo malto contenti che ti trovi bene e speriamo che ci duri fino che tu puoi avere un impiego che patresti assumerlo ti auguriamo caragio e salute
buon preseguimiento per noi e sempre uguale. La chanterelle. Le mois dernier, une navrante erreur technique a substitué à la bonne grille "Flèches-Express" une copie erronée destinée à être
détruite puisqu'elle comportait une grossière faute d'orthographe, "impressionnisme" écrit avec un seul "n". Nous vous prions d'excuser cette regrettable bévue.
La femme : Ah ça !
(A suivre.)