29 septembre 2008 1 29 /09 /septembre /2008 19:34

L'illusionniste : Vous voyez, elle est guérie. Monsieur le marchand de parapluies, cher partenaire, cher public, cher ami, en vertu des pouvoirs qui m'ont été conférés, j'ai l'immense privilège et la grande joie sans mélange de vous annoncer que sommes tous les trois guéris. Et libres ! Libres de quitter nos placards respectifs pour afficher le nôtre, joli placard que nous pourrons coller sur les arêtes mêmes de ces murs (Il désigne le mur de l'agence) pour les draper de certitude. Nous pouvons signer notre contrat moral et publier les bans de baleines et de dauphins. Alllez ! De l'initiative ! Je propose que nos placards-affiches soient ainsi conçus : (Avec sa main tendue, il "dessine" furtivement les lettres qui composeront l'affiche.) Tout en haut, votre nom de mécène, en lettres bleu ciel ombrées de gris perle... Juste en dessous : "Présente" superbe et déterminé... Tout en bas, un petit parapluie joliment stylisé avec la marque écrite à côté en cursive de la couleur que vous voudrez...

L'ex-horloger : Et au juste milieu ?

L'illusionniste : Et au juste milieu... Au juste milieu... Une photo... Une photo... Chaleureuse sous le papier glacé. Nous sourions au photographe. Mademoiselle surtout, malgré la pluie qui tombe. Heureusement, il y a le parapluie ! Et puis, il y a notre nom en lettres d'eau et de feu. Mais pas sous le menton, cette fois, non... Entre la commissure de nos lèvres et le bas des ailes de nos nez, une terre commune à cultiver où il y a juste assez de place pour écrire : "Manolo et partenaire." Petits bonheurs de caractères qui nous pendent au nez et qui nous mettent l'eau à la bouche... Une affiche juste assez mièvre pour ne pas paraître trop prétentieuse, et juste assez efficace pour être sincère. Qu'en pensez-vous ?

Mademoiselle : Je ne pense rien... Il fait si bon... La pluie... La nuit... Et le jour qui se lève... Et il est "neuve" heure...

L'illusionniste : Déjà ! Allons, monsieur l'avant-courrier (Il s'adresse à l'ex-horloger) en route ! Passez devant nous pour annoncer la bonne nouvelle...Vous vous rendez compte : il est déjà "neuve" heure...

(L'ex-horloger se dirige vers la coulisse.
Mademoiselle et l'illusionniste lui emboîtent le pas.
C'est à ce moment-là qu'on voit le rideau de l'agence se lever et celui de scène... se baisser.)

FIN

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28 septembre 2008 7 28 /09 /septembre /2008 19:32

L'illusionniste : Maintenant, maintenant, vous avez fait pour moi qui vous aime tout autant ce que personne n'a jamais pu faire jusqu'ici : me comprendre et m'accepter pour ce que je suis, et non pour le bouffon que je véhicule depuis tant d'années. Et surtout me le faire savoir après m'avoir ôté le masque. Je ne suis qu'un pauvre type. Voilà l'expression que vous souhaitiez m'entendre dire ? Eh bien, voilà qui est fait. Je n'ai pas dans mon ramage que des répliques toutes faites, des bouts de phrases empruntés ici et là, des proverbes et des adages déformés, des locutions ampoulées  destinées à éblouir. Je peux aussi dire : "Je ne suis qu'un pauvre type". Comme je peux aussi dire : "Je vous aime". Les mots sont à tout le monde ; la valeur de ce qu'ils représentent non. Avant, je n'avais pas le droit de dire : "Je vous aime" : je n'aurai pas été crédible. Je ne pouvais que réciter méthodiquement l'équivoque vocabulaire de l'amour...

Mademoiselle : Bravo ! L'école de tolérance et d'humilité vous couronne de ses premiers lauriers ! Vous êtes redevenu le grand Manolo des grands soirs. Seuls les talents modestes sont grands. Deux parapluies valent plus que dix-huit naïades !

L'illusionniste : Quand ils sont utilisés à bon escient ! Je viens de me rendre compte que nous faisions une très mauvaise utilisation de notre partenaire officiel, le parapluie. Votre frimousse est toute mouillée... Ah ! Sauf ici, un endroit charmant au demeurant, entre la commissure de vos lèvres et le bas des ailes de votre nez : une terre de personne, inexplorée, un no man's land : il y a juste la place d'y poser un baiser...

(Il joint le geste à la parole.
Quelques minutes s'écoulent et on voit l'ex-horloger retourner sur scène.
Constatant qu'on ne l'a pas entendu arriver, il se racle un peu la gorge.
Aucune réaction ne s'ensuit.
Il feint de toussoter...)

L'ex-horloger : La nuit est fraîche, vous ne trouvez pas ?

(L'illusionniste et mademoiselle remontent bruquement le parapluie au dessus de leurs têtes.)

L'illusionniste : Oui, mais elle est à la fois si douce, et si parfumée que nous avons voulu comme vous nous rapprocher des baleines pour les voir nager sur le dos et leur caresser un peu le ventre. Alors, et vous, vous en avez vu beaucoup ?

L'ex-horloger : Je n'en ai vu aucune mais j'en ai promis beaucoup. J'ai donc fourni des parapluies à la moitié des âmes de cette ville, sans compter celles des villes voisines qui s'étaient aventurées ici et qui avaient peur des coups d'épee de Damoclès dans l'eau. Résulat : un carnet de commandes qui déborde et un stylo-bille à sec !

L'illusionniste : Félicitations ! Vous avez déjà acquis la notion du taux de remplissage et des vases communicants. Durant votre absence, nous aussi, nous avons oeuvré pour aplanir les différences d'hier. Il faut dire qu'elle s'est ouverte toute grande...

L'ex-horloger : Qui "elle" ? L'agence ?

L'illusionniste : Non, mademoiselle... Qu'elle a eu assez de tact pour me tendre un miroir dans lequel je me suis vu sans fard. Et comme elle avait enlevé ses bottes, j'ai enlevé mes gants. L'atmosphère, la nuit, la pluie se sont conjuguées pour nous aider. Et puis un invité de marque est venu s'abriter avec nous. Comment s'appelle-t-il déjà ? Ah oui !... L'amour... Avec des dauphins : la tendresse, la compréhension... J'en avais beaucoup manqué et j'ai dû être blessant sans leur appui, même avec vous, monsieur. Mais vous êtes bon et perméable au pardon : vous saurez ne pas m'en vouloir pour ces erreurs de jeunesse. Vous vous souviendrez que nous avons été de vieux compagnons de lutte et de gloire. Vous saurez ne pas rester de marbre comme cette plaque (Il désigne la plaque de l'agence) qui nous a plaqués, et nous a empêchés, un instant, de vivre debout. Vou saurez, le cas échéant, affronter les meurtrissures qu'elle nous a exposées. Vous saurez ne pas faire comme elle...

L'ex-horloger : Qui "elle" ? Mademoiselle ?

L'illusionniste : Non, l'agence. Mademoiselle est guérie. Nous allons nous en assurer : quel est pour vous, mademoiselle, le plus joli mot de la langue française ?

Mademoiselle : Si.

(A suivre.)

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27 septembre 2008 6 27 /09 /septembre /2008 20:37
Photo H.B.

Lors des répétitions '"Agence"
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27 septembre 2008 6 27 /09 /septembre /2008 19:38

Mademoiselle : Pardonnez-moi cette naïveté : il n'y a donc personne dans votre vie ?

L'illusionniste : Dans ma vie, il n'y a eu que des femmes-mirages, des femmes-fusées, des femmes-satellites, des femmes-canons, toutes radieuses, resplendissantes, que je faisais apparaître dans un halo de lumière bleutée, dans leur costume de serge, dentelle, cuir et ocelot, bottées jusqu'aux cuisses, gantées jusqu'aux coudes, alourdies de bijoux, et qui, en coulisses, quittaient leurs clinquantes parures et retrouvaient leurs pantalons de jean et leurs maris respectifs. Voilà ce qu'ont été les femmes de ma vie : celles des autres et celles pour tous. Celles qui ont compté sans donner et celles pour qui j'ai donné sans compter. Mais voici donc la vie au service d'une cause humanitaire : l'amour. Et vous le personnifiez comme si vous aviez toujours tenu le rôle tenu secret. Et il n'est pas de composition ! Et là, ce n'est pas de l'illusion, c'est de la magie : laissons-là opérer.

Mademoiselle : Alors, vraiment, vous m'accepteriez comme opératrice dans vos spectacles ?

L'illusionniste : Oui... Oui... Je vous veux pour ceux de la ville comme pour ceux de la scène. Vous me ferez passer les anneaux, un à un, uniques et solitaires. Je les ferai tinter, l'un contre l'autre pour éprouver leur solidité et les imbriquerai l'un dans l'autre sous le regard étonné de l'assistance. C'est un très vieux tour d'adresse qui marche toujours, les anneaux...

Mademoiselle : Je suis venue ici, à cette adresse qu'on m'avait confiée, dont vous avez refusé la compétence, et j'en découvre une autre, tout aussi réputée.

L'illusionniste : Je dois vous dire que j'en ai douté quelques instants... Vous et l'horloger étiez si... sincères, et si... nécessiteux... J'ai le devoir de vous avouer que je n'étais plus sûr de rien, pas même des services proposés par cette agence. J'ai bien tenté de faire le fanfaron, le polichinelle détenteur de ses faux secrets, mais la parade commençait à s'essoufler...

Mademoiselle : J'y ai moi aussi perdu mon latin, et j'ai cru, un instant, à une plaisanterie de mauvais goût : ne m'aurait-on pas expédiée ici par jeu, pour amuser la galerie ? Nous ne le saurons peut-être jamais. Moi, j'ai trouvé ce que j'y étais venu chercher, et sans même pousser cette porte qui nous a fait jouer un huis-clos... en plein air et sous la pluie !

L'illusionniste : Il a permis une relation de cause humanitaire à effet immédiat : des baleines pour notre nouvel ami commerçant, une rencontre qu'il faudra vouloir constructive pour vous, et pour votre serviteur...

Mademoiselle : ... le retour de votre public qui vous avait déserté parce que vous n'étiez plus à sa portée. Vous venez seulement de retrouver la vue, Manolo. Vos yeux étaient à dix centimètres de vos orbites : vous ne pouviez voir que des reliefs, des faux-semblants, des faux-fuyants, des images en trompe-l'oeil, oeil que vous rinciez avec des éclaboussures d'eau croupie. Vous avez privilégié le paraître sur l'être et personne ne vous a suivi. Pire : on vous a laissé tomber. Emule d'Houdini contrarié. Ce que vous pensiez être une longueur d'avance n'était en fait qu'un net recul au hit-parade de la popularité. Vous aviez de belles formules, mais mieux vaut être un bien parlant qu'un beau parleur. Vous l'avez appris avec nous, comme nous, grâce à cette école de patience (Elle désigne l'agence). Oh, bien sûr, vous avez rongé votre frein, sur les mêmes rangs qu'un modeste horloger et une mendiante d'affection, en tentant bien de nous haranguer du haut de votre suprématie de carton-pâte. Il aura suffi d'un peu de pluie... Un peu de pluie seulement pour faire fondre les décors et vous laver les yeux. L'apparat est devenu dérisoire ; la simplicité a retrouvé tout son éclat. Je vous aime... Manolo... Très fort.... Je vous aime maintenant...

(A suivre.)

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26 septembre 2008 5 26 /09 /septembre /2008 19:53

L'illusionniste : Voici les premiers clients qui vous attendent pour prendre commande. Les effets ne se font pas attendre : ne les faites pas attendre non plus. Et revenez vite nous dire comment se présentent vos prévisions de vente, très prévisibles celles-là. N'oubliez pas que vous êtes mon prtenaire officiel !

L'horloger : J'y cours et je reviens du même pas vous donner les premières estimations sur la fréquence de migration des baleines...

(Il se dirige vers la coulisse.)

L'illusionniste : Attendez... Prenez donc la précaution de vous munir d'un stylo-bille sinon vous risquez d'être très désappointé ; j'en sais quelque chose. C'est simple : cette fois, il suffit de se baisser comme le fit Charles Quint quand il rammasa le pinceau de Titien...

(L'horloger se baisse, ramasse un stylo-bille et se dirige vers la coulisse.

L'illusionniste prend l'initiative de tenir le parapluie ; dans son euphorie, il entoure "machinalement" la taille de mademoiselle.)

Pourquoi vos yeux sont-ils devenus si brillants ? Ah, oui ! Après le cachet, c'est l'heure de vos gouttes... Laissez... Laissez entrer quelques gouttes, fussent-elles de pluie, dans vos yeux. Ils sont si jolis, ainsi...

Mademoiselle : C'est que... Il n'y a pas que des gouttes de pluie...

L'illusionniste : Alors, laissez-les se confondre avec les autres...

(Ils échangent un regard.
L'illusionniste balaie une mèche mouillée sur le front de mademoiselle.)

C'est étrange... Je vous parlais et je ne vous voyais pas. Je viens juste de vous apercevoir. Il y a pourtant longtemps que nous nous connaissons... Vous vous souvenez de notre première rencontre ?

Mademoiselle : C'était ici-même et tout avait très mal commencé...

L'illusionniste : Oui, mais il y a le temps et sa belle patine...

Mademoiselle : A propos, quelle heure est-il ?

L'illusionniste : "Neuve" heure.

Mademoiselle : Il est toujours "neuve" heure alors ?

L'illusionniste : C'est la nouveauté qui apporte parfois la certitude.

Mademoiselle : Alors, j'ai enfin compris : il me manque quelques "neuves" heures à quelques jours anciens pour avoir pris autant de retard.

L'illusionniste : Il ne tient qu'à vous de le rattraper.

Mademoiselle : Je...

L'illusionniste : Oui, c'est un excellent début.

Mademoiselle : Vous...

L'illusionniste (Tendrement) : Moi aussi..

(Ils abaissent le parapluie face au public pour faire écran.
On les voit seulement s'enlacer.)

(A suivre.)

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25 septembre 2008 4 25 /09 /septembre /2008 18:53

L'illusionniste : Très bien. Voulez-vous à présent refermer cette poubelle ? Ah ! Voici que la pluie nous surprend en pleins préparatifs. Voici donc l'art au service d'une cause humanitaire : c'est devenu courant. Quelle est l'urgence ? S'abriter. Pourquoi ? Parce que nous attendons, dehors, sous la pluie. De quoi avons-nous besoin ? De parapluies. Monsieur (Il désigne l'horloger) n'en a pas encore en rayon ? Qu'à cela ne tienne. Comptez sur moi, comptez avec moi : un, deux, trois !
(Il frappe avec le plat de sa main sur le couvercle de la poubelle, le retire, plonge son bras à l'intérieur, en sort un premier parapluie qu'il tend à l'horloger, puis un second avec lequel il s'abrite.)
Et voilà ! Nous sommes trois mais les concepteurs du tour n'ont prévu que deux parapluies. Mais peu importe, celui-ci saura nous accueillir, mademoiselle, et vous et moi.
(Il invite mademoiselle à s'approcher et à s'abriter sous le parapluie, ce qu'elle accepte.

Un groupe de passants arrive alors en applaudissant et en scandant : "Bravo, Manolo !"
Chacun s'abrite avec des moyens de fortune : l'un avec un sac en plastique ; un deuxième a remonté sa veste sur la tête ; il y a même la passante cynique qui s'abrite sous son journal. Quelqu'un dit : "Un autographe, Manolo, s'il vous plaît.")

Vous n'avez toujours pas de quoi écrire ? Rassurez-vous : voici donc l'art au service d'une cause humanitaire : c'est devenu courant. Quelle est l'urgence ? Ecrire. Pourquoi ? Pour faire plaisir au public. De quoi avons-nous besoin ? De stylos-billes. Comptez sur moi. Comptez avec moi : un, deux, trois !
(Il frappe avec le plat de sa main sur le couvercle de la poubelle, le retire, plonge son bras à l'intérieur et fait jaillir des dizaines de stylos-billes et de crayons de couleurs.)
Et voilà ! Il ne fallait qu'un seul stylo-bille mais les concepteurs du tour en ont prévu des dizaines. Voyez au passage comment la vie est faite !
(Il signe des autographes sur les papiers qu'on lui tend, pendant que mademoiselle tient le parapluie.)
Et n'oubliez pas : mon spectacle est parrainé par une marque de parapluies dont monsieur (Il désigne l'horloger) est le représentant. Je vous le recommande personnellement. Accordez-lui toute votre confiance.

(Le groupe de passants se retire.)

Heureux instants. J'ai retrouvé le goût du spectacle et j'ai regagné l'estime du public. Et par ricochet dans l'eau, j'ai posé la première pierre de votre nouvelle boutique, monsieur l'ex-horloger. Désormais, il suffira d'un peu de pluie pour vous renflouer. Un peu de pluie seulement. Un peu de pluie fera luire les rues tout en les parfumant ; en argentera non seulement les angles mais aussi votre compte en banque. Cela vous suffira-t-il ?

L'horloger : Beaucoup plus amplement que je ne l'aurais souhaité. Je ne sais comment vous remercier...

L'illusionniste : Ne me remerciez pas.

(On entend une voix de la coulisse : "Monsieur, nous voudrions acheter des parapluies.")

(A suivre.)


 Photo Phil. C.

"Il ne fallait qu'un seul stylo-bille mais les concepteurs du tour en ont prévu des dizaines..."
(Agence)


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23 septembre 2008 2 23 /09 /septembre /2008 19:01

L'illusionniste : Alors, il ne reste qu'une certitude : le salut est dans l'attente. Il va pleuvoir et nous essuierons un échec si nous avons peur de nous mouiller. A moins que... (Il jette un regard sur la palissade.) Monsieur l'horloger, vous êtes toujours partant pour jouer au marchand de parapluies et taquiner la baleine ?

L'horloger : Il n'y a pas de meilleure opportunité.

L'illusionniste : Et vous, mademoiselle, vous voulez bien être mon assistante si je vou propose un bout d'essai dans un bon numéro ?

Mademoiselle : Ma foi, j'ai déjà donné de la voix pour votre promotion. Si nous faisons avancer la situation, je veux bien, s'il n'y a pas de danger, vous tenir votre chapeau.

L'illusionniste : Alors, je veux bien reprendre du service pour la bonne cause. Vous voyez, tout comme moi, cette grande poubelle tout près de la palissade ?

Mademoiselle : Je la vois.

L'illusionniste : Voulez-vous avoir l'obligeance de l'approcher ici ?

(Mademoiselle se dirige vers la poubelle, s'en saisit et la ramène près de l'illusionniste.)

Si vous voulez bien l'ouvrir...

(Elle retire le couvercle de la poubelle.)

Qu'y-a-t-il à l'intérieur ?

Mademoiselle : Seuls quelques lambeaux de papier froissé...

(Elle retire les lambeaux, les défroisse : ce sont les morceaux arrachés des affiches de l'illusionniste. On peut y lire en lettres majuscules : MANOLO. Elle les dépose à plat sur le banc public.)

L'illusionniste : Elle est bien vide à présent ?

Mademoiselle : On ne peut plus vide.

L'illusionniste : Très bien. Faites le constater à notre charmant et discret public qui n'est pas venu en quantité, mais en qualité ce soir. (Il désigne l'horloger.)

(Mademoiselle montre la poubelle vide à l'horloger ; celui-ci opine du chef.)


L'horloger : Oui. Elle est bien vide.

(A suivre.)
Photo Phil. C.

"- Qu'y-a-t-il à l'intérieur ?
- Seuls quelques lambeaux de papier froissé..."
(Agence)

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22 septembre 2008 1 22 /09 /septembre /2008 18:18

Mademoiselle : Chapeau ! Vous avez été parfait devant les sarcasmes de cette péronnelle.

L'illusionniste : Vous n'avez pas été mal non plus dans votre rôle de composition improvisé.

L'horloger : Cette passante ressemblait à une mouette rieuse sur un saule pleureur. C'est étonnant l'énergie que les gens déploient quand ils veulent être blessants. Et pourtant, nous l'avons peut-être laissé partir un peu trop vite... Elle nous aurait dit, elle, puisqu'elle a usé ce banc de sa robe, celle pour qui elle a eu du mal à constater le vol ; ellle nous aurait dit ce qu'elle attendait de cette agence.

L'illusionniste : Elle n'en attendait sans doute rien. Elle s'est simplement installée là, devant sa grille, avec le souci plus ancré de la boucler que de voir s'ouvrir l'autre, celle qui lui faisait face. Hélas, elle a échoué.

L'horloger : Elle a échoué là où nous avons réussi : "déroba", ce passé simple qui lui fut si difficile. Si elle a échoué là où nous avons réussi, elle peut sans doute réussir là où nous échouons et nous donner les clefs de cette agence. Il faut absolument la rappeler.

(Il court sur les traces de la passante tout en criant : "Madame, attendez, madame...", mais l'illusionniste le rappelle.)

L'illusionniste : Non !

L'horloger : Non ?

L'illusionniste : Non. Elle est redevenue UNE passante : une incompétente...

L'horloger : Il faudrait souhaiter qu'elle revienne.

L'illusionniste : Ah ! Alors là, si elle revient...

L'horloger : Si elle revient ?

L'illusionniste : Si elle revient, je crains qu'elle ne se souvienne qu'avec de grandes difficultés de son propre passé, aussi simple fut-il... Quand on sait comment elle maîtrise celui des autres...

L'horloger : Elle a parlé, me semble-t-il, de ce "fanal oublié" pour qualifier l'agence...

L'illusionniste : Justement : oublié. Ce "fanal oublié". Elle était à deux doigts de parodier le vers de Brel : "Avec un ciel si gris qu'un fanal s'est pendu". Ce fanal n'est pas oublié ; bien au contraire, nous nous intéressons beaucoup à lui...

Mademoiselle : Elle est partie, la mouette rieuse. Il ne reste plus qu'à échafauder des suppositions en se basant sur son profil. D'abord, elle paraissait trop indolente pour venir quémander du travail ; ce n'est donc pas une agence pour l'emploi. Son porte-monnaie était bien trop joufflu ; ce n'est pas une banque non plus....

L'illusionniste : Oui, mais elle voulait qu'on l'appelle "madame"... Alors ? (Il se tourne vers Mademoiselle.)

Mademoiselle : Alors ? (Elle se tourne vers l'horloger.)

L'horloger : Alors ? (Il se tourne vers l'illusionniste.)

(A suivre.)

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21 septembre 2008 7 21 /09 /septembre /2008 20:30
Conception graphique : Phil. C.


"Je suis le grand Manolo..."
"Les affiches arrachées, c'est vous ?
Les affiches arrachées sous le menton. C'est là qu'il y avait mon nom."
Joël Fauré (Agence)
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21 septembre 2008 7 21 /09 /septembre /2008 19:41

La passante : Pardon, messieurs-dame, vous n'avez pas vu un journal traîner par ici ? J'ai dû l'oublier sur ce banc tout-à-l'heure.

L'illusionniste : Tout-à-l'heure ?

La passante : Oui, tout-à-l'heure... Mais... Vous n'êtes pas le grand Manolo, l'illusionniste ?

L'illusionniste : Pour vous servir, mademoiselle...

La passante : Madame.

L'illusionniste : Pour vous servir, madame. Tenez, voici votre journal. Les pliures ont un peu souffert car nous l'avons beaucoup trituré, mais il n'a pas beaucoup jauni : nous l'avons même un peu blanchi de notre patience...

La passante : Si je m'attendais à vous retrouver ici, artiste des rues battant la semelle dans le ruisseau. Je vous ai beaucoup admiré dans la parodie de "Ben Hur" et dans "Héraclès et ses tigresses indomptables". Quel panache ! Quelle maestria vous aviez alors.

L'illusionniste : Et mon dernier numéro ? Vous n'avez pas vu mon dernier numéro ? "La naissance des dix-huit naïades" ?

La passante : Non, je l'avoue.

Mademoiselle : Vous n'avez pas vu son dernier numéro ? Ah, madame ! D'un chapeau-claque, il faisait apparaître des elfes et des ondines aux berges d'une rivière de diamants qu'Alcyon effleurait de son aile. Pour célébrer sur les fonts baptismaux la naissance de dix-huit naïdes, l'échanson des dieux venait servir le philtre qui transformait les larmes en or pur. Assistaient aussi aux cérémonies soixante-douze douzaines de sylphides callipyges soumises et rangées, un demi-quarteron de rosières vêtues comme à carême-prenant, un banc de sirènes fétrillantes et argentées qui apprenaient la valse à des albatros empruntés, soixante-quinze mille déesses cosmopolites glissées dans de hautes bottes de cuir bleu, et des myriades de figurants dociles, priant avec ferveur, à genoux aux pieds d'Omphale triomphante. Il faisait descendre le serpent du caducée, sortir l'hydre de l'Herne et tous les loups de Paris.

La passante : Et voici ce que vous êtes devenu : vous avez remonté une troupe et vous battez le pavé ?

L'illusionnsiste : (Désabusé.) J'apprends à monsieur à élever des baleines et j'emploie mademoiselle que je paie au cachet pour me faire valoir. Faire ça ou peigner la girafe... La girafe ne voulait plus qu'on la peigne : elle voulait en plus qu'on la laque ! Vous voyez d'ici le tableau ?

La passante : Eh bien, je vous souhaite bon courage ! La concurrence est impitoyable. Vous devriez vous mettre en pleine lumière au lieu de végéter sous la lueur blafarde de ce fanal oublié. Tenez, pour la nourriture des baleines...

(Elle ouvre son porte-monnaie et lui tend une pièce, puis elle tourne les talons et s'en va, son journal sous le bras.
L'illusionniste la rappelle.)

L'illusionniste : Madame ? (La passante se retourne.) Puisque vous aimez tant les mots croisés : en sept lettres : fit montre d'ironie. Ne cherchez pas. Vous n'excellez pas dans les passés simples. Pour ce qui est du trois vertical qui vous a battu à plate couture dans le journal, c'est "déroba". Nous ne l'avons pas noté car nous manquons cruellement de stylo-bille. Ne nous remerciez pas et hâtez plutôt le pas si vous ne voulez pas essuyer l'orage. Ou si vous ne voulez pas qu'on dise de vous : "Elle essuya l'orage" ou bien encore : "Elle eut à essuyer l'orage".

(A suivre.)

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