1 septembre 2008
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20:03
Il faut croire que les créateurs publicitaires se sont fait passer le mot. Toujours est-il que la botte italienne les a inspirés.
Pour une marque d'apéritif et une compagnie aérienne, le "talon" du chèque se monte à combien ?
"Il y avait de
grandes affiches : des filles posaient..."
L'employé aux écritures. (Joël Fauré)
Raoul Jefe
1 septembre 2008
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Graphisme Philippe C.
A Philippe C.,
un homme "azerty" qui en vaut deux.
Il a maintes fois été mon compagnon de route dans d'hasardeuses aventures (Pardon pour les nombreuses "prises" à Europe 2) ;
il a su, lorsque je le "martyrisais" à "mettre au propre", sur ses appareils modernes, mes ténébreux écrits, en percer, comme en témoigne le graphisme ci-dessus, l'hermétisme.
Merci à toi, Philippe.
L'employé aux écritures : A ceux qui m'ont sapé le moral, je dirai qu'ils l'ont fait avec des bottes bien encombrantes, très difficiles
à porter. Je suis gêné aux pointures.
(Il se déplace et vient se placer sur une dalle noire.)
Un jour, j'ai lu une annonce singulière : "Chat botté recherche d'autres chats à fouetter." Suis-je un chat ? De quelle race ?
(Il se déplace et vient se positionner sur une autre dalle noire.)
J'ai fait un rêve : toute une nuit, je m'étais laissé enfermer dans une manufacture de bottes qui dépassent le genou. Ca sentait le cuir à plein poumons et la colle
à plein nez. (Il se touche le nez.) Il y avait de grandes affiches : des filles posaient pour un chausseur. Qui était à vendre ? Les filles ou les chaussures ? Les chaussures. Les filles
l'étaient déjà. Vendues. Des carnets de commande, à souches et à talons l'attestaient. Il y avait aussi des échantillons de cuir, du cuir dont ont fait les bottes, piqué, plongé, chevelu, pleine
fleur, plein souci.
(Il se déplace et vient se positionner sur une autre dalle noire.)
Je me suis rendu dans la capitale de ce pays. Porte des Bottes. Il y avait des filles qui ressemblaient à des réverbères. Elles ont baissé la culotte mais elles ont hissé les bottes. Ca revient
au même. C'est du pareil au même. C'est la même chose.
(Il se déplace et vient se positionner sur une autre dalle noire.)
Simplement... Seulement... Caresser une botte... Rien qu'une...
(Le fournisseur de pneus des autocaristes se déplace à son tour, et vient se positionner sur une dalle blanche.)
(A suivre.)
Raoul Jefe
31 août 2008
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19:32
L'employé aux écritures : En y mettant un peu de bonne volonté... Ce n'est pas le moment de devenir à votre tour nostalgique
d'un parquet de faïence. Voyez un peu la place que ça prend... (Il désigne le texte du nostalgique des années soixante-dix.)
Sans compter qu'il faut faire appel aux autres pour se
souvenir de tout. Je vais finir ce texte devant vous. Redonnez-moi le ton.
(Il lui tend un feuillet.)
La permanente de fonction (Lisant.) : "Tentative de reconstitution du climat d'un samedi soir dans les années soixante-dix. C'était une massive
bâtisse où se tenait jadis le négoce des grains. Au fronton, une moulure représentait un angelot souriant sur une gerbe de blé et un faisceau de paille. Deux énormes oeils-de-boeuf exorbités,
deux ronds béants, qui devaient servir de puits de jour, avaient été bouchés à la hâte. C'est dommage : deux rosaces y auraient été les bienvenues. Bouché aussi ce qui devait être l'accès aux
charrettes. Maintenant, deux ventaux vitrés dans une armature de fer noir s'ouvraient sur un petit parvis au dessous d'une marquise désargentée. C'était devenu un dancing. Dès "cette" heure, des
filles rejoignaient des garçons. On sortait des 203 et des Renault 8 Gordini. On avait pris des filles, tout au bout des chemins d'herbe de leurs fermes, leurs fermes intentions. On les
ramènerait après leur avoir fait danser des danses américaines. On mâchait du chewing-gum à la chlorophylle en écoutant des chansons..."
L'employé aux écritures (Lisant.) : "C'était la fête et sur l'air d'"Adieu jolie Candy", les slows voyaient se frotter les pantalons pattes d'éléphant à
des ballerines couleur de souris."
Il faut redonner au samedi soir sa valeur de symbole : celui de l'accroche-coeur et du tape-cil.
(Machinalement, la permanente de fonction retourne le feuillet qu'elle tient toujours à la main.)
La permanente de fonction : Elles sont surprenantes, les vignettes en couleur que vous avez collées là. Et ce ne sont pas des images pieuses : les saintes des montagnes
ne portaient que des sabots...
(Confus, l'employé aux écritures arrache le "document" des mains de son interlocutrice.)
L'employé aux écritures : ...
(La permenente de fonction s'en va.
L'employé aux écritures regarde le feuillet.
Le pose. Le reprend.
Le froisse rageusement et le jette au loin.
Puis il se ravise, se lève, et, à pas comptés, s'approche du feuillet réduit en boulette.
Il le ramassse, le défroisse et le hume longuement.
Il lance des regards autour de lui.
Et se dirige au fond de la scène, dos au public.
Il ne faut pas attendre bien longtemps avant qu'on s'imagine ce qu'il est en train de faire : il se masturbe.
Lumière braquée sur "autre chose" que lui.
Musique : "Le vol du bourdon" de Rimski-Korsakov.
La musique s'achève.
Entre le fournisseur de pneus des autocaristes.
Confusion.
L'employé aux écritures se rend "présentable" mais ne se retourne pas.)
(A suivre.)
Raoul Jefe
30 août 2008
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19:26
L'employé aux écritures : Ne me dites rien. J'ai beaucoup de choses à vous dire. Pour les cubes, on peut se passer
d'explications. Pour le perroquet, il est parfaitement boulé comme vous pouvez le constater. Pour le fournisseur de pneus des autocaristes, nous sommes sur une bonne voie de garage. Pour le
téléphone, il est toujours en dérangement. Rien que du très normal. Pour le nostalgique des années soixante-dix, je pense tenir une chute. Pour la ligne jaune, c'est une autre histoire... Comment
dire ? Je ne sais pas dire... Disons que... Disons que quelqu'un est venu ici, s'est recommandé du service "décollements et recollages". J'ai fermé les yeux. Quand je les ai rouverts, je n'ai pu
que constater, impuissant, le changement subit et subi du revêtement du sol. Voyez : ces dalles blanches qui alternent avec ces dalles noires. Etonnant damier. Il faut surtout prendre garde à ne
pas marcher sur les blanches. Ca laisse des traces. Oui, la marge de manoeuvre se réduit comme une peau de chagrin. Prenez cette nouvelle comme vous voudrez ; moi, je ne m'y suis pas encore
fait.
La permanente de fonction : Il y a longtemps que vous n'avez pas pris l'air ?
L'employé aux écritures : Ca va bientôt faire trente-cinq ans. Vous avez des nouvelles de dehors ? Ca se passe aussi mal qu'ici ?
La permanente de fonction : Actuellement, on parle beaucoup de ce type qui a le nez à la place du sexe et le sexe à la place du nez. Il a des problèmes. Il vient de
s'enrhumer.
L'employé aux écritures : ...
(La permanente de fonction va balayer les cubes.
Elle regarde où elle marche.)
La permanente de fonction (Balayant.) : Il faut dire qu'avec le temps qu'il fait... Il pleut sans retenue. Si vous saviez dans quel état est la
chaussée.
L'employé aux écritures : La chaussée... Vous avez vu la chaussée ? Et elle l'était vraiment ?
La permanente de fonction : Hier encore, elle était pleine de confettis. Et aujourd'hui, ça déborde. Elle en a jusque là. C'est tout juste si on peut la traverser.
(L'employé aux écritures revient s'asseoir.
Il prend en mains le stylo.)
L'employé aux écritures : Quelle heure est-il ?
La permanente de fonction : Il est "cette" heure.
(Elle regarde le sol.)
Tout de même "décollages et recollements"...
L'employé aux écritures : "Décollements et recollages" !
La permanente de fonction : "Décollements et recollages" sont bien contrariants de ne pas nous avoir consultés. C'est peu harmonieux avec le reste, tout ça. Moi, j'aurais bien vu
là tout autre chose. Ce qui est fait est fait. On s'adaptera.
(A suivre.)
Raoul Jefe
29 août 2008
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19:53
DEUXIEME ACTE
La même grande pièce qu'au premier acte.
Le perroquet, dûment boulé, dénué de tout effet vestimentaire.
La cabine téléphonique.
La table, encombrée de trois boîtes de chaussures et du jeu de cubes.
L'employé aux écritures est attablé et joue avec ledit jeu.
Il construit un petit mur.
L'employé aux écritures : Je ne sais plus à quel moment les choses se sont décalées. Je sais seulement à quel moment elles ont basculé.
(De ses deux mains, il maintient solidement les bases du petit mur afin que celui-ci ne s'écroule pas.
Malgré tout, il balaye rageusement les cubes, qui tombent à terre, en fracas.
Il ouvre une boîte à chaussures et en sort une liasse d'images.)
Cabotinage. Ribote. Barboter. Caillebotis. Botanique. Botero. Raboter. Débotté. Saboté. Rat botté. Barbotant. Botswana. Bottin. Beau temps sur la majeure partie de la Botte. "Serrez les
dents" m'a dit le docteur. Serrez les coudes. Serrez les poings. Serrez les fesses. Je me suis ratatiné. Je suis né cloué sur une croix en forme de paire de bottes. En fait, c'était pas une
croix, c'était une paire de bottes. J'adore ce qui me terrorise. Oui, c'est ce qu'a dit le docteur : "Vous adorez ce qui vous terrorise."
(Il regarde une image.)
Avoir du foin dans ses bottes. Proposer la botte. Pousser la botte. A propos de bottes. Bottes secrètes... Remarquez que j'ai rencontré bien pire que moi. J'ai
rencontré un type qui a le nez à la place du sexe et le sexe à la place du nez. Je vous ferai grâce des désagréments qu'il connaît. Il n'est pas sorti de l'auberge espagnole.
(Silence.)
Les bottes... Ses bottes... Elles avaient le velours et le piquant du bourdon. Ses bottes étaient à ses jambes ce que les écrins sont aux bijoux, ce que les cocons sont aux
chrysalides. C'étaient des caryatides qui soutenaient une vasque. C'était...
(Il se saisit d'une grosse liasse d'images qu'il fait glisser entre ses doigts.)
Je ne peux pas m'empêcher de penser à type qui a le nez à la place du sexe et le sexe à la place du
nez.
(Il se touche le nez.
Il regarde de nouveau la liasse d'images, puis la range dans l'une des boîtes.
La ressort, la regarde encore.
Même jeu compulsif.
Il semble avoir du mal à s'en séparer, un peu comme si les images restaient collées à ses doigts.)
Maudits soient les objets qui nous gouvernent !...
(La permanente de fonction s'approche, pelle et balai en mains.
Elle pose plusieurs regards étonnés sur ce qui l'entoure : d'abord le sol, ensuite les cubes, enfin sur l'employé aux écritures. Ce dernier la regarde aussi.
Court silence.)
(Plus bas: ) Maudits soient ces objets qui nous gouvernent.
(Il se lève et s'approche de la permente de fonction.
Il semble regarder où il met les pieds.)
(A suivre.)
Raoul Jefe
28 août 2008
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"1e PROJET"
(Isabelle et Nicole N.)
"Ce projet est insuffisant. (...) Néanmoins, je te l'envoie. (...) Nous sommes sûrement très loin de ta pièce et de tes souhaits. Amitiés"
N.
"Grand et chaleureux merci à vous deux. Avec mon bon souvenir."
Joël
Raoul Jefe
28 août 2008
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19:28
L'employé aux écritures : C'est que... Je vous trouve bien prompt à tout anatomiser, monsieur le fournisseur de pneus des
autocaristes, accessoirement autocariste. Allons à l'essentiel : vous l'avez rencontré où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?
Le fournisseur de pneus des autocaristes : Là. A l'instant. En revenant. Parce que.
L'employé aux écritures : Vous êtes-vous assuré qu'elle n'était pas montée dans l'autobus ?
Le fournisseur de pneus des autocaristes : Lequel ?
L'employé aux écritures : Le vôtre.
Le fournisseur de pneus des autocaristes : Je ne voyais plus mon autobus quand je l'ai vue.
L'employé aux écritures : Il faut absolument la retrouver.
Le fournisseur de pneus des autocaristes : C'est si important que ça ?
L'employé aux écritures : Vous n'auriez pas un stylo sur vous ?
(Le fournisseur de pneus des autocaristes sort un stylo de sa poche intérieure et le tend à l'employé aux écritures.)
Le fournisseur de pneus des autocaristes (Didactique et pédagogue.) : La mine est ici. Vous n'aurez qu'à le tenir comme ça (Geste du pouce
et de l'index.) si vous voulez le voir fonctionner.
L'employé aux écritures : De toute façon, si elle veut écrire, il faudra qu'elle remette ses bottes. Et sans ça, (Il désigne le retire-bottes.) elle ne pourra pas les
enlever. Elle reviendra. Forcément, elle reviendra. Quel temps fait-il dehors ?
Le fournisseur de pneus des autocaristes : Il pleut... des confettis.
L'employé aux écritures : C'est ce qui me vaut le plaisir -au bas mot- de votre retour ?
Le fournisseur de pneus des autocaristes : J'ai encore besoin d'un mot, fut-il bas, ou d'un silence de vous, pour faire avancer la situation et mon autobus. Je suis si indécis,
si...
L'employé aux écritures : Je suis effectivement chargé d'avoir des idées. Mais je n'en ai plus qu'une. Fixe. Monsieur, si vous voulez rouler, il faudra bien vous faire à celle de
vous acheter une conduite. Et puis, je vais vous faire un aveu : les gros cubes m'ont toujours beaucoup impressionné.
(Regardant le sol, il prend conscience qu'il a "franchi la ligne jaune".
Il entraîne vivement le fournisseur de pneus des autocaristes ; le force à se déplacer "du bon côté".)
Le fournisseur de pneus des autocaristes : J'ai encore besoin...
L'employé aux écritures : Oui, je sais. J'imagine. Un autobus, ça prend de la place dans une tête, surtout quand on ne pense qu'à ça... Il faudra vous faire à l'idée de vous
acheter une conduite.
(Il semble percevoir un bruit.)
Chut, écoutez...
Le fournisseur de pneus des autocaristes : ...
L'employé aux écritures : Ecoutez...
Le fournisseur de pneus des autocaristes : Il y en a qui se conduisent mal ?
L'employé aux écritures : Ecoutez ! Vous n'entendez rien ? Un bruissement de bottes...
(A suivre.)
Raoul Jefe
27 août 2008
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L'employé aux écritures : Madame la porteuse de bottes, Madame la Botteresse, Madame la Cuissardesse, vous allez enfin me
permettre de réaliser mon rêve le plus inavouable : caresser les longues bottes, placébo oui-je-sais de la douce peau des femmes que je n'ai jamais, par ignorance, pu approcher.
(L'employé aux écritures tend ses mains à la recherche des bottes :
il ne palpe rien d'autre que de l'air.
Dérouté, il rouvre les yeux pour constater qu'il n'y a plus personne et plus RIEN.)
Elle est pourtant venue. Elle s'est approchée ; elle m'a même parlé. C'est un début. A moins que ce ne soit un rêve ? Me laissera-t-elle un jour caresser ses bottes ? Je ne veux plus
vivre que pour ça. Tant pis si on dit : "L'employé aux écritures est effectivement chargé d'avoir des idées. Mais il n'en a plus qu'une. Une idée fixe."
(Il se lève et court en tous sens,
comme un dératé.
Il se retrouve de l'autre côté de la ligne jaune,
près du retire-bottes.)
Ah ! Supporter l'insupportable angoisse ! L'angoisse qui ne vous lâche pas d'une semelle. Être à mi-parcours d'une vie et souffrir encore autant que j'ai souffert ? Non, merci !
Ah ! Pouvoir extraire l'oiseau maudit de la cage thoracique. Terrasser le phénix mauvais ! Le réduire en cendres pour de bon ! Redonner ce cuir à celles et ceux à qui il appartient d'abord : aux
bêtes, aux veaux, aux vaches...
(Il se saisit du retire-bottes qu'il hume longuement.)
S'il pouvait parler, celui-là, il me dirait où elle a l'habitude de traîner ses guêtres.
(Il place le retire-bottes sous le menton et tente de se "retirer" la tête.
Le fournisseur de pneus des autocaristes revient et regarde avec étonnement cette scène singulière.
L'employé aux écritures s'aperçoit de sa présence et, sans se démonter, suspend ses "tentatives".)
Le fournisseur de pneus des autocaristes : C'est drôle, je viens de croiser une femme qui portait des bottes là où habituellement on porte des gants. Dans cette même
logique, je comprends mieux qu'on puisse confondre un menton avec un talon. J'avais bien cru remarquer, tout à l'heure, que vous l'aviez en galoche, le menton...
L'employé aux écritures : C'est que...
Le fournisseur de pneus des autocaristes : C'est que ?...
(A suivre.)
Raoul Jefe
27 août 2008
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"DEDICACE AU SOLEIL", Eau-forte d'Arthur de Gravillon (1865)
(La botteresse retire ses bottes qu'elle agite au-dessus d'elle : il en tombe une pluie de confettis.")
"L'employé aux écritures" (Joël Fauré)
Raoul Jefe
26 août 2008
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19:22
L'employé aux écritures : Au musée Saint-je-m'y-perds, je vais souvent caresser les bottes de plâtre -très réussies- d'un
capitaine d'infanterie. Il en impose. Chapeau au statuaire qui a moulé cette figure en pied. Bottes immortelles qui ne se crottent plus que de quelques pets d'insectes, quelques chiures de
mouches. Vous avez vos jambes de plâtre dans la chair, mon capitaine. L'ennemi est là, le moral est bon, les troupes sont fraîches. C'est pas le moment de flancher. Vous n'avez pas que des
spartiates à vos pieds. Hep, vous, là, dame botteresse, guerrière d'opérette, d'où vous en venez-vous ?
(La femme aux bottes qui dépassent le genou revient sur scène.
Elle a des confettis dans les cheveux.
Elle porte un retire-bottes.
Elle va se placer de l'autre côté de la ligne jaune, dépose l'objet, et se met en situation de se déchausser.
L'employé aux écritures poursuit sa tirade, sans la voir, la main retenue plaquée sur ses yeux.
Vous êtes exténuée d'avoir si bien dansé au carnaval. Vous en avez plein les bottes.
(La botteresse retire ses bottes qu'elle agite au-dessus d'elle ; il en tombe une pluie de confettis.)
Vous êtes si chaude que vos bas grésillent. Ca sent la sueur et le musc. Des gouttelettes font du trapèze volant entre vos doigts de pied. Mais vos ronds-de-jambes n'y feront rien. Je n'entrerai
pas dans la bataille. La ligne Imaginot remplit son office.
(La botteresse entre dans la cabine téléphonique, les bras chargés de ses bottes ;
la manoeuvre entravée, elle compose un numéro.
Visiblement, le téléphone ne fonctionne pas.)
Combien pour ces bottes dans la vitrine ? Que préférez-vous lécher ? Des bottes ou des vitrines ? Sondage réalisé entre le premier et le trente et un mais pour le compte du journal "Les
mille bottes du mille-pattes".
(La botteresse sort de la cabine et se dirige vers l'employé aux écritures.
Elle se penche sur lui, de telle sorte que les bottes sont sous son nez.)
La botteresse : Monsieur...
(L'employé aux écritures retire sa main, voit les bottes et ne voit que ça.
Il sursaute.)
La botteresse : Je vous ai fait bondir ?
L'employé aux écritures : Non, vous me faites abonder.
La botteresse : Vous êtes sage comme une image.
L'employé aux écritures : Et quelle image !
La botteresse : Le téléphone est en dérangement. Vous n'auriez pas un stylo ?
L'employé aux écritures : Je n'en ai plus, désolé. On ne m'en donne plus. De nos jours, on n'écrit plus ; on se téléphone ou on pianote. On ne donne plus de stylos aux employés
aux écritures. C'est trop subversif. Moi, je ferme souvent les yeux.
(Il plaque de nouveau sa main sur ses yeux.
La botteresse s'éclipse discrètement.)
(A suivre.)
Raoul Jefe