1 mai 2008 4 01 /05 /mai /2008 12:06
L'experte en tôle : Mesdames, messieurs, la basse-cour.
(Avec l'ancien garçon de ferme, elle descend de voiture.) Et voilà, nous sommes revenus sans encombre au point de départ. Degré zéro de conduite. La ferme est toujours aussi vieille, la route inutile et à rebitumer. Et pourtant, on est venu ici pendant notre absence. On a un peu défriché le pré carré. Il y a des pelles et des râteaux. Il y a des pressés. L'avant-courrier des tournées AIDA ? Les terrifiants hommes orange ? Ils le portaient sur leurs visages. Moi, à leur place, je me cacherais dans une boîte d'allumettes...

L'ancien garçon de ferme : Une grande ou une petite ?

L'experte en tôle : Ils n'ont pas perdu de temps les moines défricheurs... Et regardez ! Les gros camions joufflus, là-bas... Qu'ils me laissent au moins le temps de rédiger mon rapport... Je vous laisse défendre l'espace. Vous leur direz, s'ils s'approchent trop, que nous allons le libérer bientôt. Je voudrais un endroit calme pour écrire. (Elle désigne la ferme.) Vous croyez que je peux ?

L'ancien garçon de ferme : Tenez ! La clef. Faites-vous un peu de place sur la table de la cuisine...

(Exit l'experte en tôle.
L'ancien garçon de ferme reste un instant pensif.
Puis il retire l'un des cubes qui soutient la voiture et le lance sur le plateau, comme s'il s'agissait d'un dé.
Il s'assoit dessus.)

(A suivre.)

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30 avril 2008 3 30 /04 /avril /2008 15:48

(L'ancien garçon de ferme et l'experte en tôle s'adossent à la voiture.)

L'experte en tôle : "Mi ville sainte - mi ville d'eau". "Passage obligé". "Mignon petit hameau". "La capitale où est né ce chanteur que beaucoup aiment"...

L'ancien garçon de ferme : Il y a un lien ?

L'experte en tôle : J'ai ma petite idée...
(Elle déplie le plan ; éprouve quelques difficultés à le replier : c'est courant.
Elle déplie la page de journal et la parcourt des yeux.
Elle inspecte la lettre.
Elle sort un calepin et prend des notes.
L'ancien garçon de ferme sort de sa poche un modèle réduit de voiture, reproduction de l'original.)

L'ancien garçon de ferme : Teuf ! Teuf ! Je suis un imposteur. Je vous ai dit que j'avais peur ; ce n'est pas vrai. Je n'ai pas peur : j'ai très peur. A cause d'elle. (Il désigne la voiture.) A cinquante, c'est le volant qui tremble. A cent, ce sont les vitres. A cent cinquante, c'est moi. Et pourtant, il ne reste plus beaucoup de temps. Vous montez ? Vite ! (L'experte en tôle et l'ancien garçon de ferme remontent dans la voiture.) Je crois maintenant être sûr de savoir à qui elle est. Je retrouve un peu la mémoire. Avec elle, nous avons eu un accident. Nous étions un accident. Je suis presque mort. Elle ! Elle ! Elle voulait toujours tout conduire, alors qu'elle n'y voyait plus rien. Et moi, j'étais toujours avec Elle... Je l'ai suivie à "Mi ville sainte- mi ville d'eau", j'ai connu "Passage obligé" et "Mignon petit hameau". Et aussi "La capitale où est né ce chanteur que beaucoup aiment"... A trop labourer le passé, il faut s'attendre à découvrir des ruines. Et mon passé est là qui me poursuit et me promène. Le passé fidèle au passé. J'ai toujours été du genre : "Je tombe en panne ; j'appelle la dépanneuse : la dépanneuse tombe en panne". Ou "Je tombe dans un carré d'orties ; des guêpes viennent me piquer". Ma mère me disait : "Il pleut toujours sur le mouillé". Ce qu'on cherche souvent très loin est souvent très près. Je ne suis pas resté garçon de ferme, et je  n'ai pas pu devenir col blanc. Je ne sais pas m'occuper de la ferme et mes cols sont crasseux. Je ne sais pas conduire les tracteurs et mes phrases sont boiteuses. A cause d'Elle. Toujours contrarié. Encore Elle ! Elle ! Elle ! Teuf ! Teuf ! Je suis presque mort. Et pourtant, ne clouez pas mon cercueil et laissez la tombe entrouverte. J'ai peur de m'étouffer encore. Teuf ! Teuf ! Elle ! Elle ! Elle au bord de la mère, lui au bord des larmes...
(L'ancien garçon de ferme parle de plus en plus vite.
Le lecteur comprendra qu'avec ce procédé, nous voulons traduire la course de la voiture qui gagne en vitesse.)
Sur le livret de santé, il est écrit : "L'enfant a-t-il crié ?" Bien sûr qu'il a crié ! Il a crié. Il a même hurlé. Et vous l'avez fait sortir quand même, bande de représentants à la "six-quatre-deux" ! Vous l'avez fait sortir sans vous soucier du noeud qui se trouvait sur le cordon ombilical, noeud qui devait vous rappeler qu'il fallait penser à le sectionner. Et vous ne l'avez pas fait ! Le chien aboie, la caravane passe, le vagin vagit et le pénis peine. Oui, je sais, quand il crie, l'enfant, c'est qu'il est en bonne santé, qu'il chasse les glaires, mais bon... (Il parle de plus en plus vite.) Vous l'avez fait sortir quand même et vous l'avez englué dans un magma de contraintes et de difficultés dont il n'a jamais pu se décoller...

L'experte en tôle : Freinez ! Mais freinez, mort d'Elle !

(Noir total.
Bruit d'acclamation de la foule.
Lumière.
L'experte en tôle et l'ancien garçon de ferme sont debouts dans la voiture, grâce au toit ouvrant.
Ils saluent et ressemblent à des papes ou à des chefs d'Etats.
Caquètement de poules.)

(A suivre.)

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29 avril 2008 2 29 /04 /avril /2008 12:12

(L'experte en tôle et l'ancien garçon de ferme descendent de voiture.
Regard circulaire autour d'eux.
Puis regard qui s'arrête et se pose quelque part.)

L'experte en tôle : C'est ici. Voici la plaque sur la maison. "Ici est né ce chanteur que beaucoup aiment." C'est émouvant. Je ne sais pas ce qu'il en penserait. Il y a plutôt des chansons à écouter d'urgence.

(Une femme arrive.
C'est la femme au calendrier.
Elle déclame, en jouant du calendrier comme d'une guitare :)

La femme au calendrier : "La ville s'endormait et j'en oublie le nom."
"Sur la place chauffée au soleil, une fille s'est mise à danser..."
"Je ne sais pas pourquoi ces gens / Pour mieux célébrer ma défaite / Pour mieux suivre l'enterrement / Ont le nez collé aux fenêtres..."
"Et chaque meuble se souvient / Dans cette chambre sans berceau / Des éclats des vieilles tempêtes..."
"On est deux à coucher / Dans le lit de la puissance / Mais devant ces armées / Qui s'enterrent en silence / On se retrouve seul."
"On aura une maison / Avec des tas d'fenêtres / Avec presque pas d'murs / Et on vivra dedans / Et y f'ra bon y être / Et que, si c'est pas sûr / C'est quand même peut-être..."
"Sur la place, un chien hurle encore / Car la fille s'en est allée / Et comme le chien hurlant la mort / Pleurent les hommes, leurs destinées..."
"Des villes et des villages, les roues tremblent de chance..."

L'ancien garçon de ferme : Si ma mère était là, elle serait à ses pièces...

L'experte en tôle : Et, dites-moi, ce chanteur, pour réussir, il n'a pas dû rester ici ?

L'ancien garçon de ferme : Il travaillait en usine. Mais s'il était resté, il aurait bien fini par casser tous les carreaux. Il est devenu citoyen du monde. Ah ! Si ma mère était là, elle serait à ses pièces... Moi aussi, je l'aimais beaucoup, ce chanteur. Il m'a fleuri la bouche...

L'experte en tôle : Quelle heure est-il ?

L'ancien garçon de ferme : Une heure. Et pas une de plus. Allez ! En route, mauvaise troupe !

La femme au calendrier : Vous avez la bougeotte. Vous avez des champignons sous les pieds et du muguet dans la bouche...

L'ancien garçon de ferme : Et vous un calendrier sous l'aisselle... On vous ramène ?

La femme au calendrier : Non, merci. J'ai mes jambes. (Elle s'en va en chantant :) "En se préférant faible / et plutôt qu'orgueilleux / En se préférant lâche / Plutôt que monstrueux..."

(A suivre.)


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28 avril 2008 1 28 /04 /avril /2008 13:02

(Jour et lumière progressifs.
L'ancien garçon de ferme et l'experte en tôle descendent de voiture et quittent le plateau.
La scène qui suit se déroule en coulisses.)

Voix off ancien garçon de ferme : Vous voyez ce que je vois ?

Voix off experte en tôle : Oui, c'est elle.

Voix off ancien garçon de ferme : C'est bien elle. La femme au calendrier ! Il faut croire que nous nous sommes donnés le mot. Bonjour, madame...

Voix off femme au calendrier : Bonjour, mes chers amis. Nous nous faisons escorte. Que devenez-vous ?

Voix off ancien garçon de ferme : Nous alimentons nos carnets de route. Vous savez des choses sur ici ?

Voix off femme au calendrier : "Mignon petit hameau." Au compoix, deux arpents et trois boisseaux. Pas plus de vingt feux. Trois familles dont les enfants se sont mariés entre eux. Attraction notable : la croix des Rogations. L'exotisme n'est délivré que par les Filatures du Nord du Pays, via la Poste. Autrement, bien et bons vivants. Il y a du vin à la cave et du lard au grenier. Tenez, voyez ces bonnes paysannes...

Voix off experte en tôle : Qu'est-ce qu'elles font ?

Voix off femme au calendrier : Après le sacrifice du cochon, c'est celui des canards. Musquets et mulards. Busqués et nullards. Les femmes se convoquent entre elles. Elles égorgent, récoltent les sangs, taillent dans le gras, coupent les cous, cassent les os et gardent les plumes. Si nous nous approchons, nous les verrons mieux...

Voix off experte en tôle : Il ne faut pas trop s'éloigner. La voiture est bien fermée ? Avec tous ces incendiaires et ces casseurs, on ne sait jamais...

Voix off ancien garçon de ferme : Je vais m'en assurer...

(L'ancien garçon de ferme revient sur le plateau.
Vérifications abusives de la voiture.
Au moins trois tours autour.
Puis il revient en coulisses.)

Voix off femme au calendrier : Elles les ont gavé de maïs tendre. Et maintenant, couic ! En abats et en fritons. De grandes marmites léchées par les flammes, s'exhalera tout-à-l'heure un fumet délicieux... Les graisses seront fondantes et les cuissons prometteuses... Ca donnera lieu à des réjouissances de papilles et de palais... Plus loin, les hommes s'intéresseront au grain écrasé, celui des raisins et des blés, et parleront des avenirs à mettre en barriques et en tonneaux...

Voix off de l'ancien garçon de ferme : Ah ! Si ma mère était là, elle serait à ses pièces...

(Un temps.)

Voix off de l'experte en tôle : Nous avons mangé les plats du terroir, les meilleurs et les plus simples qui soient. Nous avons bu du vrai vin de vigne. Nous nous sommes régalés. Au cours du repas, nous avons demandé à la femme au calendrier pourquoi elle portait toujours un calendrier. Savez-vous ce qu'elle nous a répondu ? "C'est plus facile quand on veut savoir à quel saint se vouer." (Durant cette narration, l'experte en tôle et l'ancien garçon de ferme regagnent la voiture, y remontent dedans. Ils resteront très peu de temps à l'intérieur, juste le temps de dire ces quelques mots :) "Mi ville sainte - mi ville d'eau". "Passage obligé". "Mignon petit hameau." Pour être en conformité avec le cahier des charges, il nous fallait à présent visiter "la capitale où est né ce chanteur que beaucoup aiment..."

(A suivre.)

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27 avril 2008 7 27 /04 /avril /2008 12:22
Voix off : Franchement, c'est fou tout ce qui peut se dire dans l'habitacle d'une voiture. Nous ne savons pas à quoi c'est dû. C'est presque aussi fort qu'un oreiller, et les secrets de banquette ne doivent rien aux secrets d'alcôve. C'est le triomphe de la moleskine sur le coton. Nous avons encore parlé, puis nous sommes tus, puis nous avons parlé. De l'évolution de notre enquête, de cette pauvre sainte, de cette curieuse femme au calendrier. Il faudra bien se résoudre à lui demander pourquoi elle porte toujours un calendrier. On s'est excusés de ne plus rien se dire. On s'est dit : "Si vous ne dites rien, vous savez, moi, je ne dirai rien. Je comprendrai." Mais bon, nous avons failli tomber en panne. Ca nous a fait parler. Une courroie de transmission qui a bien failli claquer. Et de l'eau dans l'huile et de l'huile dans le bocal d'expansion et le vase du nettoyant des vitres. Ensuite, ça a été le tour des gendarmes. Oui, la maréchaussée nous a arrêtés. Ils ont fait le tour de la berline et ont trouvé à redire. Ils nous ont sauvagement verbalisés, avec leurs grosses bottes. S'ils avaient des mules roses à la place, ils seraient moins fiérots. Ils nous ont verbalisés pour "pneumatiques défaillants pour ne pas dire absents, défaut de catadioptre arrière, enjoliveurs pas assez jolis." Nous avons argué l'usure naturelle du véhicule, le comique de nos moyens pour le remplacer ; nous avons dit que n'avions pas à payer pour les autres. Devant le très bas taux de pénétrabilité dans le coeur, nous avons conté notre historiette. Bien sûr, ils ne nous ont pas cru ; ont cru que nous nous payions leurs têtes, et nous ont sanctionnés pour "outrage à agent". La vie est dure ! Sur la carte du Dur, nous étions encore en "Passage obligé". Enfin, nous avons retrouvé des chemins moins caillouteux, plus sablonneux, avec de vraies bouses de vache séchées. Et comme nous avions faim, nous nous sommes arrêtés. Ca tombait bien, cet endroit était au programme...

(A suivre.)

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26 avril 2008 6 26 /04 /avril /2008 12:07
(Jour et lumière progressif.
L'ancien garçon de ferme et l'experte en tôle descendent de voiture.
A peine ont-ils posé le pied à terre qu'ils doivent adopter une étrange posture : les épaules rentrées, la tête baissée, les bras repliés contre le corps, lui-même contracté, un peu comme s'ils devaient évoluer dans un étroit boyau.)

L'ancien garçon de ferme : C'est étroit, ici...

L'experte en tôle : C'est un passage obligé...

L'ancien garçon de ferme : On reste pas.

L'experte en tôle : Il le faut bien puisque c'est un passage obligé.

L'ancien garçon de ferme :
Regardez qui est là...

L'experte en tôle : La femme au calendrier !

(La femme au calendrier traverse le plateau.
Même posture ratatinée.
Elle se raccroche à son calendrier.)

L'ancien garçon de ferme : Si ma mère était là, elle se sentirait anxieuse. Il me semble que j'ai peur aussi...

L'experte en tôle : Ca ne va pas durer.

L'ancien garçon de ferme :
Il n'existe pas un moyen de réduire le temps quand on est comme ça ?

L'experte en tôle :
Si, mais au cinéma.

L'ancien garçon de ferme : Nous devrions aller plus souvent au cinéma. Partons. J'ai peur. Je me sens mourir...

(Un temps.
La voiture siffle et émet un nuage de fumée.)
L'experte en tôle et l'ancien garçon de ferme se remettent en route.)

(A suivre.)

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25 avril 2008 5 25 /04 /avril /2008 12:09

(On entend un sifflement, pareil à celui d'une locomotive à vapeur.
On voit s'échapper du radiateur de la voiture un muage de fumée.)

L'experte en tôle : Le museau de notre voiture a reniflé autre chose. Je crois qu'il n'y a plus rien à piocher ici...
(L'experte en tôle se rapproche de la voiture, "l'ausculte", colle son oreille contre les vieux fers, semble prendre le pouls, la température, la tension.
Elle sort un calepin et prend des notes.)
Nous avons décroché le pompon. Un tour de manège gratuit ! Passez devant et réservez-moi la première contredanse. (A la femme au calendrier :) Merci, madame. Tenez, si vous aimez le cirque... (Elle lui offre le prospectus laissé par l'avant-courrier des tournées AIDA.
L'experte en tôle et l'ancien garçon de ferme remontent dans la voiture.
Noir progressif.
Les phares "s'allument".)

Voix off : Nous allions là où ce qui nous servait de roues nous menait. Ca va de là à là. Il fallait poursuivre l'idée fixe à laquelle nous nous étions attelés. Fouette, cocher ! A un moment donné, il devait être deux ou trois heures du matin, nous étions dans la nuit du dimanche au lundi, et nous traversions la place d'un petit village endormi. Une pharmacienne alimentait un distributeur de préservatifs, collé-flanqué sur le mur de la pharmacie. Voyez au passage comme ce métier est contraignant. Ce qu'il faut de pudeur pour l'exercer. Nous avions alterné des plages silencieuses avec des bavardages intempestifs, sur tout, sur rien. On s'est dit : "Si on allumait la radio ? En ce moment, il y a une bonne émission qui passe." Mais, sur ce modèle, il n'y avait pas la radio. Nous établissions des résonances entre les endroits vus, saisis, déjà rêvés et stockés, et ce que nous savions de l'existence. Tout ça, c'est très diffus, confus. Nous avons beaucoup de mal à l'expliquer. Tout ça pour vous dire que cette pharmacienne nous a donné des idées. Nous sommes pour les rapports francs, directs, mais protégés. Nous avons oeuvré de la main à la main. Les distributeurs de distribution, ça ne facilite pas la traçabilité. Bref, la pharmacienne nous a regardé faire. Prophylactique. Nous lui avons donné un ticket à converser. Elle nous a gratifié d'un grand merci. Pas seulement un de ceux qui se disent ; un de ceux qui s'écrivent. Nous avons salué. Nous sommes partis et nous avons débarqué ici...

(A suivre.)

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24 avril 2008 4 24 /04 /avril /2008 12:27

L'ancien garçon de ferme : Bonjour. Savez-vous où nous sommes ?

La femme au calendrier : "Mi ville Sainte - Mi ville d'eau".

L'ancien garçon de ferme : Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

La femme au calendrier : Oui. Vivait ici, dans le temps, une jeune fille sage et rangée, malmenée par la vie. Elle allait, puisq'il le fallait. Elle n'avait pas demandé à être là. Si on le lui avait demandé, elle aurait dit non. Elle n'avait que des qualités : sa générosité était légendaire ; sa chasteté proverbiale. Elle parlait avec douceur, baignée dans une vie de poésie, où pas un mot ne dépassait l'autre. Et puis un jour, elle s'est lâchée. Elle a dit : "Con, couilles, bite, trou du cul. Oh ! oui, prends moi par les trous..." Il paraît alors que Dieu est descendu, l'a giflée et lui a dit : "Qu'est-ce que tu es conne, à trois mots près, tu avais ta statue dans les églises." Et, depuis, Dieu est devenu dépressif. Ici, on s'en est souvenu, et on en a fait une curiosité pour les touristes et les pélerins souffreteux. Pour ce qui est de l'eau, elle ne soigne pas mieux qu'ailleurs les rhumatismes; mais ça ne coûte rien de croire le contraire...

L'ancien garçon de ferme : Si ma mère était là, elle serait à ses pièces...

L'experte en tôle : C'est très commerçant, ici...

La femme au calendrier : Ne les écoutez surtout pas. Ils vous vendraient n'importe quoi. Vous êtes ici en touriste ou en pélerin ? Au vu de votre plaque minéralogique, je constate que vous n'êtes pas de la région.

L'experte en tôle : Nous suivons un itinéraire tracé d'avance par quelqu'un que nous aimerions bien connaître...

La femme au calendrier : Un voyage organisé, en quelque sorte ?

L'experte en tôle : En quelque sorte...

La femme au calendrier : (Désignant la voiture.) Elle tiendra le coup ? Elle aurait bien besoin de passer par les Mines.

L'experte en tôle : Elle en a vu d'autres... Merci pour tout. Le programme est chargé. Nous devons faire un peu vite. Sans quoi les volailles n'auront plus rien pour se percher. Nous avons un plan de bataille à respecter, une lettre à ne surtout pas poster, un vieux carré de journal jauni à terminer de lire. Nous avons aussi affaire à un enfant de la balle qui veut installer coûte que coûte ses gros cubes sur notre trajet. Et par dessus le marché, de terrifiants hommes orange qui exercent sur nous une terrible pression. Et, à dire le vrai, cette voiture, qui ne nous appartient pas, c'est un emprunt pour la vacance, nous pèse sur les bras.

La femme au calendrier : (Interloquée.) Ca me laisse sans voix.

L'ancien garçon de ferme : Tenez, prenez-donc un ticket à converser. (Il lui tend un document. La femme au calendrier s'en saisit et lit.) "Vous y comprenez quelque chose, vous, à... (Entre parenthèses, choisir un thème brûlant d'actualité.) Le temps va-t-il changer ?" Vous savez, je suis limitée. Non pas en intelligence, mais en volonté de tout vouloir comprendre.

L'ancien garçon de ferme : Eh bien ! Vous voyez ! Ca marche !

(A suivre.)

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23 avril 2008 3 23 /04 /avril /2008 12:15

L'experte en tôle : Nous avons beaucoup roulé et j'ai comme l'impression d'avoir fait du surplace. Où est-on ?

L'ancien garçon de ferme : Mi ville Sainte - mi ville d'eau. En rouge sur le plan.

L'experte en tôle : Vous pensez que nous y trouverons notre miel ?

L'ancien garçon de ferme : C'est du domaine du possible. (Il se dirige vers l'arrière de la voiture et ouvre la malle.)

L'experte en tôle : Ca pourra nous aider ?

L'ancien garçon de ferme : Je crains que non. Ce fut une malle bourrée de choses les plus diverses. Hélas, les outrages du temps en ont hâté le pourrissement. Sauf peut-être cette boîte de fer-blanc... (Il ouvre une boîte et en sort divers papiers. Il lit :) Documents à converser. Exemplaire à converser. Papier recyclé. Papier glacé. Papier vergé. Ticket à converser.

L'experte en tôle : A converser ? A conserver !?

L'ancien garçon de ferme : A CONVERSER !

L'experte en tôle : Vous dites ?

L'ancien garçon de ferme : Vous me parlez ?

L'experte en tôle : A converser ?

L'ancien garçon de ferme : Eh bien, vous voyez bien, ça marche, c'est tout-à-fait ça : documents à converser... Nous n'avons pas de conversation. C'est aussi ennuyeux que d'entendre du Fauré. Converser ? Parler de quoi ? Des enfants ? Je n'en ai pas. Des femmes ? Je n'en ai plus. De l'argent ? Je n'en ai plus non plus. Ma mère m'a dit de faire attention à ce que je disais...

L'experte en tôle : Ici, nous aurons au moins un mobile : nous pourrons parler de chevaux et de cylindrées. Il nous faudrait quelqu'un qui ne soit pas nous deux pour embrayer sur des situations et des dialogues nouveaux...

L'ancien garçon de ferme : Beaucoup d'âmes qui vivent dans ce Sacro-saint lieu. Voyez comme cette passante est curieuse, là-bas (Il désigne un point, côté jardin.) avec son grand calendrier sous le bras. Un de ces grands calendriers cartonnés qu'offrent les entreprises et les agences, le mois de décembre venu. Anachronique. Nous sommes au mois d'août. Est-ce celui de l'année dernière ou de l'année prochaine ? Ou de l'année en cours ? Qu'est-ce qu'elle veut prouver ? Quelle est sa théorie ? Elle nous a vus. Elle se dirige vers nous.

L'experte en tôle : Nous pourrons peut-être l'interroger ?

L'ancien garçon de ferme : Dans le temps, ça marchait encore...

(Une femme s'approche effectivement.
Sous le bras, elle porte un grand calendrier cartonné, un de ceux qu'offrent les entreprises et les agences, le mois de décembre venu.)

(A suivre.)

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22 avril 2008 2 22 /04 /avril /2008 12:22

ACTE II

Décor inchangé.
Nuit.
La voiture, "tous phares allumés".

L'experte en tôle et l'ancien garçon de ferme sont dans la voiture.

Voix off : Nous avons beaucoup roulé. Notre volonté était notre seul carburant. Nous avons traversé des villes et des villages, parcouru des habitats dispersés, recensé des habitats concentrés, entr'aperçu des fermes isolées, effleuré des immeubles encastrés. Que se passe-t-il sous tous ces toits, dans les demeures ? Combien de détresses, de drames, de secrets avons-nous frôlés ? Nous qui cherchions à savoir, à côté de combien de vérités sommes-nous passés sans les soupçonner ? De greniers et de galetas où, près d'une collection de vieux "Pif-Gadget" dorment des Van Gogh et des manuscrits de Barbara ; de caves où sont retenues et attachées des gamines volées dont on voit la frimousse dans les journaux ; de mansardes ou de donjons aménagés, aux murs tendus de reps et de serge, où prélats, politiques et décideurs se font fouetter, assujettis sur des croix de saint-André. A côté de combien de corps perdus, assassinés, mutilés, ne nous sommes-nous pas arrêtés ? De toute façon, la police et les journaux n'en font qu'à leur tête. Les journaux, quand ils n'ont pas pu voler la photo de la victime, ou, mieux, celle de l'assassin, publient la photo de la maison de la victime. "La maison où s'est joué le drame". "La maison du crime". "La maison..." La maison... Comme s'il n'y avait pas assez de tuiles comme ça !
Oui, nous avons beaucoup roulé. Oui, notre volonté était notre seul carburant. Mais nous avons failli en manquer. Nous nous sommes arrêtés dans une station-service pour faire le plein d'énergie. Un panneau disait : "Mécanique toutes marques". Nous avons demandé au pompiste s'il ne pouvait pas nous aider à ouvrir notre malle qui était coincée. Il n'a pas posé de question. Il a fallu du décapant, du dégrippant, un pied de biche, de sanglier et un chalumeau pour qu'enfin cèdent des espèces de gonds. Le coffre ouvert, ce que nous y avons trouvé n'a pas manqué de nous surprendre mais nous n'avons rien laissé paraître... Le pompiste n'a toujours pas posé de question. Tant mieux. Nous avons payé et nous sommes repartis. Nous avons encore beaucoup roulé...

(Durant cette narration, la lumière croît.
Pleine lumière.
Les phares s'éteignent.
L'experte en tôle et l'ancien garçon de ferme descendent de voiture.
L'ancien garçon de ferme s'étire et se dégourdit les jambes, comme il est naturel de le faire après avoir beaucoup roulé.)

(A suivre.)





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en essayant le plus possible
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Georges PEREC



 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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