11 avril 2008 5 11 /04 /avril /2008 12:14

L'experte en tôle : D'autant plus que ?

L'ancien garçon de ferme : Un jour, il y a longtemps, j'étais petit, je m'amusais avec les poules ; je pouvais me glisser par la vitre de la portière... J'ai trouvé ça sur la plage arrière. (De l'une de ses poches intérieures, il sort un plan en piteux état.) Un plan des routes de ce pays. Annoté. Connoté. Il y a des marques. L'usure des plis a provoqué des puits de jour, vous voyez... ça ressemble à de la dentelle...

L'experte en tôle : (Elle inspecte le plan que lui a tendu l'ancien garçon de ferme.) On n'est allé que dans des trous.

L'ancien garçon de ferme : J'ai aussi trouvé ça. Dans la boîte à gants. (Il présente une feuille de journal jaunie.) Une page de vieux journal. C'est la rubrique néchronologique. On ne peut pas dire de quand il date : les bordures sont rongées...

L'experte en tôle : (Lisant.) Un vrai cimetière... Le diocèse passe l'avis de décès d'un archiprêtre... La famille est dans le chagrin, elle ne reçoit pas... Ca se comprend... Ont la douleur de vous faire part de la disparition... tuée bêtement et brutalement sur la route le... ravie à l'affection des siens et ramenée à... parents, alliés, proches et entourage... cette douce jeune femme... nos plus sincères condoléances... (Emue.) Pardonnez-moi, je ne peux plus.

L'ancien garçon de ferme : Et encore ça. Dans un pli du pare-soleil. (Il présente ce qui ressemble à une lettre.) Cette lettre, correctement cachetée, mais non-oblitérée. Et pour cause : elle n'a jamais été postée. Mal affranchie aussi sans doute : elle est bien lourde et le timbre n'a pas assez de dents. Pas d'adresse non plus. (Il tend la lettre à l'experte en tôle.) Vous voyez, j'ai tout gardé. Je suis très conservateur.

L'experte en tôle : (Elle inspecte la lettre.) Vous n'avez jamais eu la curiosité de l'ouvrir ? Moi, je l'ouvre...

L'ancien garçon de ferme : Ca vous arrive souvent de lire le courrier qui ne vous est pas destiné ?

(L'experte en tôle se ravise.)

L'ancien garçon de ferme : Maintenant, venez... La visite se poursuit par ici...
(Il l'invite à le suivre à l'arrière de la voiture. Du menton, il désigne la malle.) Essayez de l'ouvrir.

(L'experte en tôle se débarrasse des documents qu'elle tient à la main et tente d'ouvrir le coffre.
Echec.)

L'ancien garçon de ferme : Vous n'y arrivez pas ?

L'experte en tôle : Non.

L'ancien garçon de ferme : Moi non plus.

(A suivre.)



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10 avril 2008 4 10 /04 /avril /2008 14:08

L'homme : S'il a fait le coup de la panne, c'est un bon coup. Il y a longtemps qu'elle est là...

La femme : Ah ! Bonjour. Vous êtes là pour ce que nous savons ?

L'homme : Je suis.

La femme : Je me suis permise de commencer sans vous. Alors, dites-moi s'en un peu plus...

L'homme : J'ai passé mon enfance dans cette ferme, là-bas. Je venais souvent jouer ici, près de cette guimbarde. Petit, déjà, elle m'avait appelé, murmuré, parlé. Maintenant, elle crie. Je crois qu'elle a beaucoup de choses à nous dire. Il m'a semblé intéressant de remonter à la source. Alors voilà...

La femme : J'aime bien quand les choses commencent comme ça...

L'homme : Vous avez l'air étonnée...

La femme : C'est vous qui m'étonnez. Quand j'ai entendu votre voix, tout-à-l'heure, au téléphone, je me suis dit : "Voilà une voix. Une voix de col blanc." Vous êtes toujours garçon de ferme ? Vous n'en avez pas la morphologie...

L'homme : Je ne suis pas resté garçon de ferme. Et vous ?

La femme : Moi non plus, je ne suis pas garçon de ferme.

L'homme (L'ancien garçon de ferme) : En revanche, l'éclat de vos yeux métalliques dit très bien ce que vous êtes : experte en tôle. Si je vous ai demandé de venir, c'est que j'ai suivi avec intérêt et attention votre dernière mission : expertiser la deux-chevaux de ce prélat écrasée par un train.

L'experte en tôle : Ah oui ! C'était une sympathique figure de l'Eglise Catholique et Apostolique. Un brave cardinal du Sud-Ouest... Regardez le résultat ; j'ai gardé un échantillon...

(De son carton à dessin, elle sort un petit morceau de tôle, une plaque cabossée qu'elle agite.
Bruit métallique inquiétant.)

L'ancien garçon de ferme : On est bien peu de chose.
(Un temps.)
Pour tout vous dire, je suis en vacances. Et je voulais les mettre à profit pour donner de l'importance à cette voiture.
(Il désigne la carcasse.)
Alors voilà, ce que j'aimerais savoir, c'est à qui elle a appartenu. Où ses tours de roues l'ont-elle menée, au temps où elle était un rutilant et ronflant véhicule ? A-t-elle franchi les limites du canton, du pays, du raisonnable ? Quels sont ses états de service ? C'est bien plus qu'un jeu, c'est un devoir. D'autant plus que...

(A suivre.)





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9 avril 2008 3 09 /04 /avril /2008 12:46

"Les choses ont leurs secrets
Les choses ont leur légende
Mais les choses murmurent
Si nous savons entendre."
Barbara

PERSONNAGES :

L'ancien garçon de ferme
L'experte en tôle
L'avant-courrier des tournées AIDA
Premier terrifiant homme orange
Second terrifiant homme orange
La femme au calendrier

ACTE PREMIER

Nous pourrions envisager :

Une carcasse de voiture -un ancien modèle- comme on en voit un peu partout dans les arrière-cours de fermes, ou en plein champ, servant d'abri pour les poules.
Celle-ci est au fond d'un pré, presque au bord d'une route qui dessine un long et grand virage sévère. Le tracé a été rectifié.
On peut supposer que route et voiture sont inemployées depuis longtemps.
On peut aussi supposer que cette vieille route sert maintenant d'aire de repos puisque la vieille voiture sert d'abri pour les poules. Plus de roues. A la place, des cubes de bois.
Plus loin, la portion toute droite d'une route nationale.

Une femme arrive sur le plateau.
Elle porte un carton à dessin.
Elle furète autour de la carcasse.
En fait, elle ne furète pas ; elle inspecte. C'est parfois pareil.

Par la portière avant droite, des poules s'enfuient en caquetant.

La femme s'installe au volant, ou ce qu'il en reste : un moignon de volant.
Les sièges conducteur et passager sont crevés ; des ressorts baillent...

La femme actionne la trappe du toit ouvrant.
Elle fonctionne.
Elle l'ouvre et sort sa tête.
De ses mains, elle teste la solidité du toit.

Un homme arrive.

(A suivre.)










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7 avril 2008 1 07 /04 /avril /2008 13:01

Le bleu (Son regard s'enfuit de l'autre côté de la vitre.) : Je vois un petit enfant qui joue avec un petit bateau en papier avec une cargaison de feuillets pense-bête et de trombones lie-de-vin. Il va jouer près du bac à influençable. "Maman, les p'tits bateaux qui vont sur l'eau ont-ils des hommes ?"

L'infirmière : Je vous ai bien suivi dans vos histoires, mais il y a une chose que je ne saisis pas : c'est votre passion pour les bateaux. Qu'est-ce que ça vient faire là ?

Le bleu : Vous ne comprenez pas ?

L'infirmière : Non.

Le bleu : Rassurez-vous, moi non plus.

(Le bleu s'approche de la caméra ; son image se reflète sur l'écran. Il se frotte le visage et se retourne.
Un temps.
L'infirmière s'approche du bleu ; ce dernier la regarde.)

Le bleu : Moi, je...

L'infirmière : (L'interrompant.) Vous, vous... (Le bleu va parler ; l'infirmière lui applique son index sur ses lèvres.
Un temps.
L'infirmière retire son index.)

Le bleu : Mot.

L'infirmière : Venez... (Un temps.) Je vais vous montrer mes bleus.


Noir.
Rideau.

------
PROCHAINEMENT SUR CET ECRAN
"CALANDRE" de Joël Fauré

Avec "Calandre", j'ai voulu approcher au plus près le cadeau empoisonné qu'est le secret de famille, et en déchirer avec le plus de délicatesse possible le papier qui l'entoure.
Comment une voiture banalisée peut-elle devenir l'enjeu d'une quête au demeurant sans intérêt ?
Au cours d'un voyage immobile, un homme et une femme, pourtant entravés dans leur manoeuvre par des êtres concupiscents, vont restituer à petites touches une histoire qui valait vraiment le déplacement.

JF



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6 avril 2008 7 06 /04 /avril /2008 12:46
Le bleu : Je suis tombé éperdument, viscéralement, et secrètement amoureux. Je l'admirais et elle m'impressionnait. Plus je me défendais de penser à elle, plus son image s'imposait à moi. Je l'ai déifiée. Et comment faut-il s'y prendre pour approcher les déesses ? Elle était tirée à quatre épingles ; je suis fagoté comme le valet de pique. Elle était fine et musclée ; je suis gras et avachi. Impossible de lui avouer ma flamme. Trop tétanisé. Titus dit à Bérénice : "Cet amour est trop ardent, il faut le confesser." Mais entre la tragédie gréco-romaine et le théâtre Elisabethain, il y a un courant qui se cherche, qui ne s'est jamais trouvé. Lui écrire ? Comme dans les plus guimauves chansons d'amour ? Et lui écrire quoi ? (Pose inspirée :) "Petite musique venue de sous la porte de la chambre. Un ré de lumière se laisse entendre. Elle est donc là, et je la sais si là, que moi, si moi, hélas trop moi, caché derrière la fenêtre d'une enveloppe à fenêtre, je fais d'elle celle qui m'indiffère. Je l'entends jouer de sa lyre de ses doigts fins et délicats, émue jusqu'aux ovaires. Tout à peine un grincement de ressort trahit le crescendo de son plaisir. La petite musique lancinante se dégage et se propage et m'incendie. Ô onaniste qui te méfie des hommes ! Ô pics aspics et veloutés ! Ô lèvres purpurines, et ce soleil grenat qui les fait luire. Des meuniers sans tendresse, elle en a rien à moudre. N'oublie pas que moi, je veux bien boire le calice jusqu'à la lie. Comme on fait son lit, on se couche ; comme on fait sa couche, on se lie. Elle est plantée là, dans mon corps, je ne sais où. Et mon corps est tout endolori autour. En ses cheveux ébène, j'ai humé l'air qui flotte à Kerguelen. Je suis pris en ses rêts, en ses sourires entendus, d'acajou, de succube. Vite ! Une rime riche ! La la la la la le délicieux poison qui s'incube. Tout entier en son corps gracile fait de marbre grec, une fragrance de musc sauvage vient dégager l'espagnolette. Je veille au grain de peau velouté comme une pêche. Son regard m'enjôle, m'enrôle. Je tombe et je succombe. (Un temps.) Je lui écrirai. Mais je ne lui ferai rien lire. Je lui ai écrit. Mais je ne lui ai rien fait lire. (Un temps.) Vous n'avez pas soif ?

L'infirmière :
Non, merci.

Le bleu : Franchement ?

L'infirmière :
Sans façon.

La journaliste :
Nous en savons assez. Nous allons prendre congé. Merci pour cette belle leçon de courage et d'humilité. Nous allons au laboratoire développer les épreuves que vous avez endurées. Je tiens un tire pour le sujet : "Un pinçon ou un suçon ?"

Le bleu :
Ca passera quand ?

La journaliste : Très bientôt, je vous le promets.

(La journaliste et l'homme à la caméra s'en vont avec leur matériel.)

(A suivre.)


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5 avril 2008 6 05 /04 /avril /2008 12:34
(Le bleu se lève, se saisit de la caméra, en joue en balayant l'espace, en la braquant sur lui, sur le public, sur l'infirmière, sur les journalistes.)

Le bleu : Antonin ! Nanaqui ! Ne vous laissez pas filmer : vous avez la tête des mauvais jours aujourd'hui... (A la journaliste :) Passionnant, non, le métier de journaliste ?

La journaliste :
Il faut être curieux et culotté. Il faut suggérer sans dire... Faire parler et écouter sans avoir l'air de susciter et reproduire sans rien trahir pour éviter toutes formes de procès. Avec vous, c'est facile ; vous êtes un bon client.

Le bleu : Vous avez une petite idée sur le commentaire que vous aurez sur moi ?

La journaliste :
Ce sera du genre : "Comme vous ne l'ignorez pas, nous avons rencontré un homme tout bleu. Nous passerons sous silence le motif de ses bleuissements successifs. Inutile de dire que ça se passe de commentaire. Nous ne vous apprendrons pas qu'il n'en fait pas mystère. Il va sans dire qu'il est superflu de le présenter. Comme son nom ne l'indique pas, il n'est pas que bleu, mais aussi de cette couleur là, indéfinissable, que nous ne nommerons pas. Aussi nous tairons-nous afin de lui laisser la parole, à seule fin qu'il se libère vraiment."

(Un temps.
Le bleu pose la caméra.
A plusieurs reprises, on sent qu'il va parler, mais qu'il ravale ce qu'il a à dire.)

L'infirmière : Libérez-vous ! Lâchez-vous ! Vous savez vous tenir, nous le savons maintenant. Ce qui n'est pas dit est douloureux. Je sais que vous en avez gros sur la patate qui, une fois épluchée pourra sans aucun doute vous donner la frite.

(Rires forcés.)

Le bleu : J'ai continué de vivre. Il le faut bien. Seul. Tout seul. Et tout seul, c'est difficile d'entreprendre. Sans se confier. Sans partager. Sans le secours d'une main. Sans l'amarre d'un cou. Sans la digue d'une joue. Je suis devenu un obscur employé aux écritures dans une institution austère. Un pince-sans-rire un peu trop pincé. Mais je n'avais pas encore fini de bleuir... Si j'ai manqué d'amour, j'ai la faiblesse de croire que je n'ai pas manqué de courage. Ce n'est pas à moi de dire ça, bien sûr, mais bon... Le coeur en jachère. Personne, le matin, pour me signaler le faux-pli d'une chemise ou d'un pantalon, un bouton absent, une tache disgrâcieuse. Personne pour me dire : "Bon courage !" Personne ! Que des idées. Des certitudes. Du genre : "Une femme, ça doit avoir des cheveux longs et des chaussures qui claquent." Quelqu'une pour qui on va acheter des pastilles quand elle a mal à la gorge.  (Un temps.) La première fois que je l'ai vue, c'était dans les lieux communs d'une maison commune. J'y travaillais assidûment à noircir du papier. J'ai entendu une canonnade et l'âme d'un canon a touché la mienne, à bout portant. Je l'ai reçue en plein coeur... Mais, je suis bête, j'oublie de vous dire de qui je parle...

L'infirmière : Ce ne sera pas la peine. Inutile. Nous avons très bien compris que vous ouvez là une nouvelle page de votre dictionnaire et qu'il s'agit d'une femme qui est venue enrichir votre herbier. Elle a semé en vous beaucoup de pensées et de soucis... Je me trompe ?

(A suivre.)


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4 avril 2008 5 04 /04 /avril /2008 12:37

Le bleu : Il était dit que l'amour me serait réfractaire. Me l'eût-on fait comprendre autrement, je l'eusse mieux accepté.
(Il va s'asseoir à l'avant-scène, face au public, boudant tout le système audio-visuel qu'il avait prisé jusque là.)
Un jour, c'était ici-même, j'ai rencontré...

L'infirmière : Attendez !
(Sans mot dire, elle désigne les caméras ; ce qui veut nous faire implicitement comprendre qu'elles ne filment plus et qu'elle s'interroge sur ce "pourquoi ?")

La journaliste : Non, laissez ! Il a raison. Les idées essentielles, la quintessence, la vérité, le pur jus sont toujours émis lorsque micros et caméras sont éteints. Je le sais par expérience. Vous ne pouvez pas imaginer tout ce que vous ratez, vous, les toutous de la désinformation... C'est frustrant, je sais, mais nous n'y pouvons rien et n'avons aucun moyen de les faire parler...

Le bleu : Un jour, c'était ici-même. J'ai rencontré cette femme que je n'avais pas remarquée d'abord. Elle avait les manières d'une chahuteuse, tout ce que je n'aime pas ; tout ce qu'en fait, elle n'était pas. Elle cachait ses faiblesses sous son masque d'histrion toujours revendicatif. Pourquoi un soir de chagrin, -de son chagrin- ai-je caressé sa joue ? Et pourquoi mon coeur s'est-il mis à battre comme jamais il n'avait battu ? Nous avons échangé des banalités d'abord, des confidences ensuite... Ca vient très vite. Elle se disait mariée, mais presque plus et bientôt plus du tout, et je l'ai crue. Un mari, des enfants qu'elle aimait pourtant, et un gros sentiment de ne pas se sentir bien avec eux. La nuit qui a suivi cette rencontre, je l'ai vue pénétrer dans la pénombre de ma chambre. Elle s'est glissée dans ma couche, tout contre moi, nous faisant ressembler à des gisants de cathédrale. Ce fut très doux. J'en ai pleuré de joie. Nous ne sommes pas allés plus avant. Je ne suis pas un voleur. Elle a tenu à me revoir. Nous avons vécu des instants intenses de bonheur. Ce n'était pas de l'adultère ; c'était du secourisme. Je lui dois d'avoir un temps moins craint les femmes. Nous nous sommes un peu consommé les épidermes et nous nous sommes transformés en dragées à sucer. Ah et Oh ! Qui parlera mieux qu'elle de l'odeur des genêts sur l'autoroute, alors qu'elle est assise sur la banquette de la voiture, alors que nous voyageons vers des paysages charmants, qui ?...

L'infirmière : Votre dictionnaire ?

Le bleu : De couchettes en cachettes, et de chambres d'hôtel en chemin creux, j'ai aimé très fort cette femme qui était celle d'un autre. Craintes, fondées, et, pourquoi le taire, légitimées, les menaces de son mari ne tardèrent pas. "Ma vie m'appartenait". "Il ne tenait qu'à moi de ne pas être tansformé en chair à carabine". Du rayon "femme pour tous" au rayon "femmes des autres", je quittai la boutique du "Bonheur à deux" pour ne contempler que la vitrine. Je n'ai pas voulu d'histoire. Ma dulcinée est repartie, après m'avoir écrit une très belle lettre qui disait : "Je ne suis qu'une petite fée qui passe dans ta vie. Puis d'autres viendront..." Je ne sais pas ce qu'elle est devenue. (Il se retourne.) Ca allait pour le ton ?

(A suivre.)


 

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3 avril 2008 4 03 /04 /avril /2008 12:22
(Reviennent sur le plateau la journaliste, porteuse de bobines de films et de bandes magnétiques, suivie de l'homme à la caméra et du pêcheur de pilchards. Ce dernier tient un paquet de bonbons à la main, du genre de ceux qui se mangent vite.)

La journaliste : (Au bleu, désignant les bandes :) J'ai pu voir quelques extraits. Je vous préviens : ne me pincez pas, j'ai la peau fragile et je marque facilement.

(Le pêcheur de pilchards se place face à la caméra du pigiste, et face à la caméra de surveillance. Il parle tout en machouillant des bonbons. L'infirmière et le bleu regardent la scène, médusés.)

Le pêcheur de pilchards : Cet accident est vraiment regrettable, je le répète et je regrette qu'il le soit, mais il ne saurait occulter la vie qui continue. Ainsi, après avoir pensé un temps me reconvertir dans la confiserie, je vous signale que je continuerai malgré tout à commercialiser d'excellents pilchards, conditionnés en boîtes oblongues, moins larges que longues, pêchés et rangés à la main. La qualité de ce produit ne se dément pas, et ce depuis trois générations. C'est garanti. Satisfait ou remboursé, sur présentation de votre urticaire.

L'infirmière : Monsieur, permettez-moi de vous dire que votre promotion est ici tout à fait déplacée. Nous ne mordrons pas à l'hameçon. Il y a urgence ailleurs. Nous devons aller à l'essentiel. Allez ! Du vent ! De l'air ! De l'eau ! Et oui, je vous envoie à la pêche...

(Le pêcheur de pilchards s'en va, sans répondre, blessé dans son orgueil mais résigné. Il en oublie son attirail de pêche. L'homme à la caméra filme son départ, puis braque l'appareil sur le bleu.)

Le bleu : Il a peut-être un peu péché par excès de zèle. De toutes façons, il repart bredouille. Il faudra nous rabattre sur des viandes douteuses.

(L'homme à la caméra pose la caméra à terre.)

La journaliste : (Au bleu :) Parlez-nous de vous...

(A suivre.)



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2 avril 2008 3 02 /04 /avril /2008 16:42
Le bleu : Vous me trouvez un peu passéiste poussiéreux, c'est ça ?

L'infirmière :
Mais non. C'est très laid ou très joli, le passé. Ca explique. Mais, tout le monde vous le dira, il faut savoir tourner la page, il faut oublier, il faut savoir faire table rase, vivre pleinement aujourd'hui et demain, savoir renaître et rebondir. Il ne faut pas vivre sur ses souvenirs, il faut faire le deuil... Vous prendrez l'expression qui vous convient le mieux. Elles veulent toutes dire la même chose. Vous comprenez ?

(Un temps.
Le bleu se place face à la caméra.)

Le bleu : Un jour, c'était ici-même, j'ai rencontré...

L'infirmière :
Attendez !
(Elle saisit le bleu par les bras et le fait retourner vers elle.) Attendez. N'ayez plus le regard fuyant. Apprenez à regarder les gens en face. Ne vivez plus par procuration. Ne bafouillez pas. Ne rougissez pas. Vous avez de très beaux yeux ; faites-en quelque chose...
(Le bleu se trouble, fait quelques pas vers le public ; le regarde longuement et se trouble encore. L'infirmière le rejoint, le prend par les mains, lui relève le menton, l'obligeant à la regarder.) Dites-moi un mot en me regardant.

Le bleu :
Je ne peux pas vous l'écrire ?

L'infirmière :
Dites-moi un mot en me regardant.

Le bleu :
Mot.
(Un temps.) Tout serait si simple s'il ne fallait pas se parler. Ah ! Se parler ! Sans bafouiller, sans risque de se tromper... Si je connaissais le type qui a inventé l'alphabet. Et se regarder ! Ah ! Se regarder ! Sans s'éborgner... Et se toucher. Ah ! Se toucher ! Sans se cogner, sans se percuter, sans se blesser, sans se froisser, sans s'électrocuter, sans se pincer... Et voir et être vu. Ah ! Etre vu !

(A suivre.)


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1 avril 2008 2 01 /04 /avril /2008 13:47

(La journaliste regarde la caméra de vidéosurveillance.)

La journaliste : Si la direction de cet endroit est consciencieuse, elle a dû enregistrer et garder les bandes. Vous nous avez mâché le travail. D'autant plus que je vois, là, à peine cachés, des micros dans le plafond. Nous devenons ridicules avec notre matériel. (Elle pose le micro.) Vous permettez que j'aille m'assurer que tout a bien été gardé ?

Le bleu : Vous trouverez quelqu'un de vigilant et diligent, un portier du dimanche, sur la rive gauche de la mer d'huile. Prenez garde à la pollution...

(Exit la journaliste.)

L'infirmière : Voici un raccord à faire. Que d'émotions pour un seul homme et une seule femme ! Ca bouge en amont et en aval.

(Le bleu se place face à la caméra.)

Le bleu : Le bleu à l'âme parle au bleu de l'azur et au bleu des ondes : Monsieur le portier du dimanche, vous pouvez confier les rubans impressionnés de nos ombres et les bandes magnétiques à cette jeune personne qui doit être présentement en train de vous les demander. Vous pouvez lui accorder toute votre confiance : elle travaille dans un média sérieux. (Il se retourne.) Un peu de Collaboration, hein ?, ça ne nuit plus à personne de nos jours. Surtout quand ça peut éclairer l'histoire. Durant l'Occupation de ce que fut mon temps, j'ai fait de la Résistance à la douleur. Aucune Collaboration, aucune intelligence avec l'ennemi n'aurait permis la Libération des sentiments. Il faut se battre, madame l'intendante chargée de dresser l'état des lieux communs, il faut se battre !

L'infirmière : Vous y avez déjà laissé un bateau...

Le bleu : Nous y avons laissé un bateau.

L'infirmière : Et vous avez tout un tas d'anecdotes à raconter. On vient même vous entendre et recueillir vos propos. De quoi vous plaignez-vous ?

Le bleu : D'esseulement. Il était dit que l'amour me serait réfractaire. Me l'eût-on fait comprendre autrement, je l'eusse mieux accepté.

L'infirmière : Je sais, mais ça peut changer.

(A suivre.)

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Georges PEREC



 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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