23 février 2008
6
23
/02
/février
/2008
12:26
La femme qui fait ça en blanc : Consigne : il est en détresse. Ne pas être ni trop goguenard ni trop compassionné. (Elle s'adresse
au brûleur de cageots.) Monsieur le brûleur de cageots, une petite précision, tout de même. Vous qui connaissez celui qui vient, vous souvenez-vous d'un détail, d'un signe particulier de son
physique ? Nous verrons bien si cet incident l'a modifié.
Le brûleur de cageots : Il a de bonnes joues et des favoris poivre et sel.
La femme qui fait ça en blanc : Ses cheveux ?
Le brûleur de cageots : Bruns.
La femme qui fait ça en blanc : Ses yeux ? Cernés ? Creusés ?
Le brûleur de cageots : Non, bleus, je crois.
La femme qui fait ça en blanc : (A l'inventeur de la machine à peser la souffrance.)
Et vous, monsieur, tenez votre machine prête à fonctionner.
L'inventeur de la machine à peser la souffrance : J'y veille.
La femme qui fait ça en blanc : On ne dira jamais assez le pouvoir du groupe face à l'homme seul. Eparpillons-nous. (Au brûleur de cageots.) Et vous, soyez le premier qu'il
puisse voir, à qui il puisse s'adresser, pour qu'il n'ait pas à fournir tout le charabia d'explications que réclament les inconnus.
(Le conducteur de la moissonneuse-dateuse arrive.
Il porte une courroie sectionnée à la main et une brochure.
Cordiale poignée de main au brûleur de cageots.)
Le conducteur de la moisonneuse-dateuse : (Montrant la courroie.) Je suis heureux de vous voir, même si j'ai tout pour ne pas l'être. Regardez : cassé ! Il y a
des jours, on ne peut même plus dire : "Tant que ça casse pas, on répare pas."
Le brûleur de cageots : C'est contrariant, mais je vous présente madame, experte en réparation du dommage corporel. (Echange de poignées de mains.) Et monsieur, expert
en pose de plaintes et en observation du dommage corporel aussi.
(Même jeu.
La femme qui fait ça en blanc prend une photo du conducteur de la moissonneuse-dateuse, à bout portant.
Le brûleur de cageots regarde le ciel.)
La femme qui fait ça en blanc : Je suis ravie de faire votre connaissance. Mais vous avez changé depuis que nous ne nous sommes jamais vus. Cheveux blanchis sous le
harnais. Favoris toquards. Joues creusés et yeux voilés et coquards.
Le conducteur de la moissonneuse-dateuse : C'est à mettre sur le compte de la lassitude. Ce que je suis en train de faire aujourd'hui, j'ai l'impression de l'avoir déjà fait hier. Je
m'étais donné beaucoup de mal. Ca m'avait beaucoup coûté. J'avais trouvé ça très pénible. Il faut croire que nous ne maîtrisons pas tout.
La femme qui fait ça en blanc : Qu'est-ce que vous lisez en ce moment ?
Le conducteur de la moissonneuse-dateuse : (Désignant la brochure.) La notice.
(A suivre.)
Raoul Jefe
22 février 2008
5
22
/02
/février
/2008
12:54
La femme qui fait ça en blanc : Regardez ! La moissonneuse-dateuse !... Elle hoquette... Elle va s'arrêter... Une soudaine envie de
lecture.
Le brûleur de cageots : D'habitude, il ne s'y prend pas comme ça. C'est bizarre.
La femme qui fait ça en blanc : Elle hoquette...
Le brûleur de cageots : Et il n'a peur de rien.
La femme qui fait ça en blanc : Alors, il n'est pas prêt de s'arrêter d'arrêter.
Le brûleur de cageots : Ca y est ! Il s'arrête.
La femme qui fait ça en blanc : Il s'est arrêté. Bon an, mal an ; bon quart-d'heure, mauvais quart-d'heure. Que va-t-il se passer dans le
prochain ?
(La femme qui fait ça en blanc, le brûleur de cageots et l'inventeur de la machine à peser la souffrance se "massent" à l'extrémité du plateau, côté
jardin, et regardent au loin.
Ils commentent ce qu'ils voient.)
La femme qui fait ça en blanc : Il descend de son engin.
Le brûleur de cageots : Il a une sorte de livre à la main.
L'inventeur de la machine à peser la souffrance : Il ouvre un capot.
La femme qui fait ça en blanc : Il regarde sous le capot et sur son livre.
Le brûleur de cageots : Il sort une pièce cassée.
La femme qui fait ça en blanc : Une bielle ?
Le brûleur de cageots : Une came ?
L'inventeur de la machine à peser la souffrance : Il vient vers nous.
Le brûleur de cageots : Oui, il nous a vus. Il vient vers nous.
La femme qui fait ça en blanc : Il vient vers nous. Sachons l'accueillir comme il se doit, avec les honneurs dus à son rang et le respect dû à la situation. N'en faisons pas trop
quand même.
(Elle s'adresse à l'inventeur de la machine à peser la souffrance.) Monsieur, votre machine est-elle en état de fonctionner, si le besoin s'en fait sentir avec urgence ?
L'inventeur de la machine à peser la souffrance : Oui, elle est en service.
(A suivre.)
Raoul Jefe
21 février 2008
4
21
/02
/février
/2008
15:33
Les blogs, créneaux réservés aux "amateurs" et aux bricoleurs de Mécanno ?La dernière tranche de ma pièce "Notice" a fait les frais de mes "doigts d'auteur" impatients.
Voici donc la réplique dans son intégralité :
L'inventeur de la machine à peser la souffrance : J'ai inventé une machine à peser la souffrance parce que j'étais excédé d'entendre : "Machin, lui, au moins,
il a des raisons de se plaindre..." Vous montez dans la machine et un chiffre s'affiche. Plus aucun moy
Raoul Jefe
21 février 2008
4
21
/02
/février
/2008
15:32
Plus aucun moyen de douter, de se tromper...
(On entend un bruit de moteur saccadé.
Les regards se portent vers le champ de blé.)
(A suivre.)
Raoul Jefe
21 février 2008
4
21
/02
/février
/2008
12:57
(La femme qui fait ça en blanc observe scrupuleusement les mouvements de la moissonneuse-dateuse. Toute absorbée qu'elle est, elle reste étrangère
à la scène qui suit :
Un homme vient à la rencontre du brûleur de cageots. Ils se donnent l'accolade avec effusion.
Echange et dialogue dont nous ne saurons rien.
Au bout d'un moment, le brûleur de cageots appelle la femme qui fait ça en blanc.)
Le brûleur de cageots : Je vais vous présenter un ami. Un type formidable. Je suis sûr qu'il va vous plaire... Un inventeur ! Il a inventé la machine
à peser la souffrance. Quand on a mal, on le dit, mais souvent, on le dit mal. Il était excédé d'entendre : "Machin, lui, au moins, il a des raisons de se plaindre..." Vous montez dans sa
machine et un chiffre s'affiche. Plus aucun moyen de douter, de se tromper... C'est vraiment quelqu'un d'étonnant. (A son ami :) Allez-y, parlez !
L'homme : ...
Le brûleur de cageots : Allez... Allez-y... parlez !
L'homme (L'inventeur de la machine à peser la souffrance) : Si vous souffrez, de deux choses l'une : ou vous vous supprimez, ou vous vous supprimez pas. Si vous vous supprimez pas, de deux choses
l'une. (Il regarde le ciel.) Lune !
Le brûleur de cageots : N'est-ce pas qu'il est étonnant ?
(La femme qui fait ça en blanc prend une photo du nouveau venu.)
La femme qui fait ça en blanc : Parlez-moi plutôt de votre machine.
L'inventeur de la machine à peser la souffrance : J'ai inventé une machine à peser la souffrance parce que j'étais excédé d'entendre : "Machin, lui, au moins, il a des raisons de se plaindre..."
Vous montez dans la machine et un chiffre s'affiche. Pl
Raoul Jefe
20 février 2008
3
20
/02
/février
/2008
13:07
Le brûleur de cageots : Ici ?
La femme qui fait ça en blanc : Pourquoi pas ? L'endroit est charmant. Et hautement symbolique. C'est une enclave ou un bout de servitude ?
Ne me répondez pas. Il faut que ce soit un bout de servitude... Je vois là des traces de roues...
Le brûleur de cageots : C'est la moissonneuse-dateuse.
La femme qui fait ça en blanc : La moissonneuse-dateuse ?
Le brûleur de cageots : La moissonneuse-dateuse !
La femme qui fait ça en blanc : Celle que l'on entend ? (Elle se dirige côté jardin.) Magnifique champ de blé ! Merveilleux temps
des moissons !
Le brûleur de cageots : Fantastique mièvrerie. D'Epinal... Vivent les marronniers glacés ! Il faut encore que je vous dise : ce champ est à
tout bout de lui-même moissonné. Quand le conducteur de la moissonneuse-dateuse croit avoir tout achevé, il lui faut tout recommencer ! Ca repousse sans arrêt. Alors lui, pas fétu pour un grain,
il moissonne... Ca commence à durer maintenant. Oui, ça fait une paille qu'il a les végétations.
La femme qui fait ça en blanc : Autre grande curiosité. Ca m'intéresse. Ca m'excite. Il ne se repose jamais ?
Le brûleur de cageots : Je crois qu'il n'est pas tout à fait dupe de ce qu'il fait. Il s'arrête "parfois-souvent". Il lit du Camus en
cachette ! (Tout bas.) C'est un Camusard !
La femme qui fait ça en blanc : Vous le connaissez ?
Le brûleur de cageots : Bien sûr, il est du hameau.
La femme qui fait ça en blanc : Il faudrait souhaiter qu'il s'arrête. Qu'il ait une soudaine envie de lecture...
(Elle prend une photo de la moissonneuse-dateuse.)
(A suivre.)
Raoul Jefe
19 février 2008
2
19
/02
/février
/2008
17:53
Et d'un !
Je vous en parlerai ici dès que j'en aurai connaissance : des publications sur Jacques Brel, qui amorce sa trentième année de tombeau.
Florent Pagny a déjà devancé l'appel.
Est annoncé pour sortie en librairie le 21 février "Sur les pas de Jacques Brel" aux Presses de la Renaissance.
C'est un "beau livre" (28 €) qui ressemble à un carnet de voyages. Il s'agit ici de retourner sur les lieux que Brel a fréquentés. L'idée en revient à Michel Quint (Admirable
"Effroyables jardins") pour le texte et Philippe Lorin (illustrateur de nombreuses couvertures au "Livre de Poche") pour les illustrations.
Sans avoir eu l'ouvrage en mains, il me tente et me séduit assez...
JF
Raoul Jefe
19 février 2008
2
19
/02
/février
/2008
13:13
A la mémoire d'Alain Robbe-Grillet,
à ses 85 ans d'observation des
tropismes
des végétaux et des hommes ;
A Catherine et Beverly.
L'homme : Pas souvent. Il faut qu'un certain nombre de conditions soient réunies, soient remplies. D'abord, il faut y croire... Il faut le vouloir. Ca
arrive... une fois... par vie... dans la vie.
La femme : Et que faites-vous dans la vôtre ?
L'homme : Je suis brûleur de cageots. C'est-à-dire que je suis chargé d'évacuer le trop-plein de notre société de surconsommation. C'est ma tâche... comment dire ?... officielle,
sociale, quotidienne. Les emballages, les conditionnements, les "packaging"... Je détruis tout ce qui, si ce n'était pas fait, encombrerait, alourdirait, au point que la Terre, épuisée, ne
pourrait plus rien supporter et s'écroulerait sans doute... Vous me direz : "Pas de panique ! Il reste une solution de secours : le crochet !" Oui, mais nous sommes bien peu à le savoir. Et puis,
je dois vous avouer qu'on n'est pas bien sûr que ça fonctionne. (Il s'approche de l'anneau, y passe la main qu'il essuie ensuite.) Regardez : ça rouille.
La femme : Nous étions vraiment faits pour nous rencontrer. Vous êtes brûleur de cageots et il paraît que je suis un peu allumeuse. Mais laissons cela pour le moment. Pour les
autres, je suis "la femme qui fait ça en blanc". On se trimballe de ces surnoms ! Mais peut-être que celui-ci est justifié, je ne sais pas. Je n'ai qu'une quête : capter l'instant où un être
change d'aspect, où un bouton sera révélateur et en appellera d'autres ; où un pli sera déterminant -disgrâcieux mais déterminant- ; où un grammage s'installe ou se désagrège... Le jour J,
l'heure H, l'instant... tanné. (Elle se tasse la main avec le poignet.) C'est un phénomène que nous sommes plusieurs à partager. Je veux savoir pourquoi le temps... Je veux savoir
pourquoi le temps nous modèle comme une pâte à modeler. Nous attendrons ensemble si vous le voulez bien ? (Elle prend une photo du brûleur de cageots.)
(A suivre.)
Raoul Jefe
18 février 2008
1
18
/02
/février
/2008
13:05
Un lopin, à l'orée d'une forêt.
Une énorme chape de béton est coulée dans le sol.
Serti dans le béton, un immense anneau de fer plein, plus haut d'au moins une tête qu'un homme de constitution normale.
Des pieux sont fichés dans le sol. Des boites de conserves en coiffent le sommet.
Un tas de cageots.
On peut supposer, à faible distance, un village, ou, tout au moins, quelques habitations.
Un homme arrive dans le champ.
Il est accompagné d'une femme à qui il donne des explications.
Elle est flanquée d'un appareil-photo.
Elle prend une photo.
L'homme : Nous sommes arrivés. C'est ici. C'est un lopin de terre que je tiens de mes parents. Le hameau dont je vous ai parlé est un peu plus loin. La Terre est ronde.
Je ne vous apprends pas qu'elle tourne autour d'elle-même et autour du soleil. La rotation de la Terre, ce n'est pas une légende. Elle fait sa révolution. Une partie du globe est éclairée,
l'autre pas. C'est le jour et la nuit. Nous sommes bien d'accord jusque là. Bon. Voyez ça : cette énorme chape de béton dans laquelle est serti cet immense anneau de fer. Si vous êtes patiente,
vous verrez venir du ciel (Il lève la tête.) un gigantesque crochet tout au bout d'un filin. Si vous avez l'oeil vif, vous verrez le crochet venir tout droit se glisser dans l'anneau.
Très vite, ensuite, une traction s'exercera, grâce à un treuil céleste ; le fil se tendra. Vous mesurez la gravité ? Et oui, c'est ici que tout se passe. Et que fait la Terre pendant son
accrochage, me demanderez-vous ? Elle se repose. Elle s'arrête de tourner. Elle se balance... Elle se berce... Ca se passe comme ça, doucement, sans secousse, en finesse, donc sans intervention
humaine. Et il paraît alors qu'à ce moment-là, tout le monde est bien, se sent bien. Il y a très peu de monde qui sait cela... sinon... vous pouvez très bien imaginer... la belle
tranquillité de l'endroit... J'ai bien pensé l'exploiter, cette curiosité, mais je préfère m'en sortir avec une grandeur d'âme.
La femme : Et ça, là, ce que vous venez de me dire, ça arrive quand ?
(A suivre.)
Raoul Jefe
18 février 2008
1
18
/02
/février
/2008
10:18
NOTICE
"Alors, ce n'est que ça, la vie,
Ce fatras, ce brouillamini ?
Je croyais qu'on répéterai, moi.
Mais non. On joue, directement,
Personne ne connaît la pièce,
On improvise les mots, les gestes.
Alors, c'est mauvais, forcément.
Faudrait pouvoir apprendre, non ?
Faire quarante ans d'apprentissage,
Tout ressentir, devenir sage,
Et puis renaître pour de bon.
Ca, ce serait bien..."
Jacques Debronckart
Personnages :
Le brûleur de cageots.
La femme qui fait ça en blanc.
L'inventeur de la machine à peser la souffrance.
Le conducteur de la moissonneuse-dateuse.
La co-gérante du manège de tampons-dateurs
Raoul Jefe