29 octobre 2007
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"Mon image était floue
mais elle gagnait de la clarté"
Mon image était floue mais elle gagnait de la clarté. Oui, c'étaient bien des jambes de
femme. Maintenant, on pouvait aussi voir les mains. L'une d'elles tenait une badine. Et pourtant, on ne devrait pas badiner avec l'amour. De trop nombreux coups du destin avaient plu sans
discontinuer, et voilà qu'on m'invitait à en recevoir d'autres, francs et directs, sans ambiguïté, mais "pour le plaisir" cette fois, en quelque sorte.
Cupidon étant absent, c'est Cendrillon et le Chat Botté qui s'y étaient substitués.
Devant mon étonnement, ils acceptèrent de patienter un peu, en attendant que l'angelot vienne me présenter le menu du coeur.
Mais comme il n'y avait pas plus de menu du coeur que du coeur au menu, j'entrepris de prendre les devants.
C'était un dimanche soir. Ma Renault 4 bordeaux virant lie de vin me transporta sur les contre-allées Jean-Jaurès.
Pour un deuxième essai "avec les filles", j'abordai une jeune péripatéticienne au négoce estampillé "200 francs la pipe". Elle monta dans ma voiture ; j'allai, sur ses indications, me
garer dans un coin sombre et me montrai d'une sage passivité.
Je n'eus qu'à faire jouer le zip de ma fermeture ; il en sortit un sexe qui me parut mieux intentionné que lors de sa première prestation. La fille le couvrit d'un préservatif, l'emboucha, et
sous l'effet de ses lèvres professionnelles, elle me gratifia du premier plaisir d'amour pelliculé et monnayé. Après quoi je ramenai la fille sur le bitume. Ce fut très rapide. Nous n'eûmes
même pas à nous dévêtir ni à descendre de voiture. Le parfum fruité de sa chevelure que je venais de caresser avait laissé son sillage au creux de mes paumes mais je ne connaissais toujours pas
l'emplacement exact du trésor dont on parlait tant.
Cupidon s'était avancé d'un pas ; le Chat Botté et Cendrillon reculèrent de même.
"Je ne connaissais
toujours pas
l'emplacement du trésor"
Raoul Jefe
28 octobre 2007
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Illustration Catherine de Séabra.
"La vie sexuelle pour les 6/9
ans"
Docteur Gilbert Tordjman et Claude Morand.
Editions Nathan.
"Aujourd'hui, j'ai sous les yeux la belle image de l'amour..."
Joël Fauré (Carnets)
Raoul Jefe
28 octobre 2007
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"De béantes heures
d'inaction det de frustration
s'ouvraient :
elles ont duré longtemps"
J'avais vingt ans et je n'avais encore jamais serré une femme dans mes bras. Ce qui me
faisait rager, c'était autant de ne pas pouvoir le faire que de ne pas encore l'avoir fait. L'une de ces vérités nourrissait l'autre et vice-versa. Et mon nouvel état ne me permettait aucune
alternative : j'évoluai, ressemblant à ces primates aux très longs membres que l'on appelle atèles. (J'aurais pu étreindre, pour rattraper le retard, deux ou trois femmes ensemble, toutes
tailles -de guêpes ou autres- confondues).
De béantes heures d'inaction et de frustration s'ouvraient à moi : elles ont duré longtemps.
De plus, les cartes d'identité sexuelles furent brouillées : je voyais, dans des lectures, des conversations, des hommes avec des femmes mais aussi des femmes avec des femmes et des hommes avec
des hommes : qui était qui et qui faisait quoi ?
Je me donnais du plaisir en pensant à ce que je pouvais. Une image floue, très floue.
Aujourd'hui, j'ai sous les yeux la belle image de l'amour, celle que j'aurais dû voir et avoir à cette époque. Tirée d'un ouvrage très sérieux sur la sexualité, on y voit, très justement
illustré, un coït des plus classiques ; l'acte d'amour et de vie accompagné de ce texte :
" - Qu'est-ce que vous voyez ?
- On voit un homme couché sur une femme. Ils sont nus.
- Que remarquez-vous de spécial ?
- L'homme a mis le pénis dans le ventre de la femme. Il a dû passer par le... attendez, le... le ?
- Le vagin."
Mon image était floue mais elle s'éclairait par le bas. On pouvait y voir une matière noble, le cuir, envelopper jusqu'au genou, et même un peu plus, une paire de jambes. Etait-ce des
jambes de femme ? En tous cas, elles portaient des bottes.
Elles se rappelaient à mon souvenir, les bottes, en "substitut de la sexualité latente non épanouie".
Rendu à la vie civile, je l'étais aussi à l'évidence d'une perspective : une
galerie d'images d'un musée baroque et imaginaire, créé de toutes pièces. En compensation.
"Elles se rappelaient
à mon bon souvenir,
les bottes"
Raoul Jefe
24 octobre 2007
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"Le maniement des armes
se révéla comique"
On allait bien voir : je devins sapeur. "Héritiers de Vauban / Nous sommes les sapeurs / On dit que nous souvent / Que nous
avons du coeur..." J'effectuai mes classes le coeur vaillant, avec toute ma volonté suivie, hélas, par toute une horde de blocages.
Le maniement des armes, surtout, se révéla comique : le démontage et le remontage pièce par pièce du FAMAS (Fusil Automatique de la Manufacture d'Armes de Saint-Etienne) eut à essuyer
quelques taches et quelques échecs répétés. Par bonheur, je n'ai jamais eu à en user, remonté et chargé, pas plus que je n'ai voulu user de carabines, dans les stands de tir des fêtes
foraines.
Les "Présentez, armes !", "En avant, marche !" et autres "Une, deux ; une deux..." donnèrent dans le Grand-Guignol : je marchai comme un pantin désarticulé et,
paraît-il, mes bras beaucoup trop longs donnaient au canon de mon fusil, lorsqu'il était sur mon épaule, une longueur d'avance vers le divin, dépareillant avec les autres. Ce problème soulevé
vint s'ajouter aux autres et, conformément aux instructions, j'en avisai mes supérieurs.
A l'hôpital militaire de Bühl, des médecins dubitatifs mais très compétents me signifièrent ma réforme pure et simple.
J'arrêtai là mon service national. Terminées les sorties à Bühl ou à Strasbourg ; terminés le schnaps, le permis poids-lourds qui ne serait pas validé dans le civil ; terminés
les "petites foyach" sur le Rhin, dans le bac, propriété insaisissable de l'armée française.
On me renvoya dans mes foyers, flanqué de ma carte militaire : "Mobilisable mais inapte à tout emploi".
"Mobilisable mais inapte à tout emploi" : avec ma quille, je me retrouvai comme un chien au milieu d'un jeu du même nom.
J'avais fêté mes vingt ans tout ronds à l'infirmerie militaire et je n'étais pas plus avancé.
La vie civile reprit ses droits. Je ne retrouvai même pas mes balais, confiés à d'autres.
Aux quatre points cardinaux, le vide de la solitude, l'ennui, l'absence, l'incompréhension.
J'avais vingt ans et je n'avais encore jamais vu un sexe de femme en relief.
"J'avais 20 ans
et je n'avais encore
jamais vu un sexe
de femme en relief "
Raoul Jefe
23 octobre 2007
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"A 20 ans, un balai à la main"
A vingt ans, un balai à la main, j'avais endossé la combinaison verte des "techniciens
de surface". Mais le bel apostolat fut interrompu par une grande nécessité : l'appel sous les drapeaux.
Je rangeai mes balais dans leur placard, et je fus incoroporé au 32e régiment de génie basé à Khel, immédiatement outre-Rhin.
Pour le prestige, on me laissera écrire que j'ai été soldat dans les FFA, bien longtemps après le STO, mais dix ans seulement avant l'ECU (qui ne survivra pas à l'euro).
Inutile de préciser que cette étape, obligatoire dans la vie d'un homme du siècle dernier, je la craignis de tous mes membres, y compris celui qui n'avait encore jamais servi.
Quelque temps avant l'incorporation, le centre de sélection avait bien tiqué devant ma santé capricieuse : je crus un instant qu'elle allait faire pencher les aviseurs vers
l'exemption.
J'obtins simplement un laconique : "bon pour le service" assorti toutefois d'une réserve : "exempté de port de sac à dos", et d'une phrase que je mis derrière l'oreille :
"Vous signalerez les problèmes, s'ils se présentent."
Dans mon esprit et avant même qu'ils ne soient là, je les savais nombreux, le tout premier étant de monter, en parfait
artiste d'agileté, dans les hauts camions kaki ; le second, en émulation avec le premier, de ne pas devenir la risée de mes camarades troufions.
"Bon pour le service"
Raoul Jefe
22 octobre 2007
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"L'histoire a parlé
et je ne sais plus
où me situer".
1981. Les socialistes arrivent au pouvoir. François Mitterrand est élu Président de la
République.
Je n'avais pas voté pour lui : on m'avait laissé penser que puisque nous allions à l'église à Pâques, à Noël et à la Toussaint, et puisque nous devions respecter les
patrons argentés qui nous faisaient vivre, il fallait voter à droite.
Ca se défend, mais ça se conteste.
Depuis, l'histoire a parlé et je ne sais plus où me situer.
En juin, en plein désert, je passe mon permis de conduire ; je l'obtiens et j'achète une antediluvienne Renault 4 couleur bordeaux.
Elle allait être, en instrument échappatoire, le moyen d'élargir mes horizons.
Toujours chômeur, mais nouveau conducteur, je pouvais à présent tout à loisir dépasser la frise de la forêt de Buzet, pour savoir ce qu'il y avait derrière, vu sous un angle tout autre
que la vitre des autocars.
C'est de là qu'on m'offrit un nouvel emploi : balayeur.
Cet emploi était à assurer de nuit : j'acceptai d'en devenir un oiseau et n'eus jamais à le regretter.
J'aime la nuit. J'aime le climat qu'elle diffuse. J'aime ses silences, ses parfums, ses refuges.
Balayer nuitamment un atelier aux vitrages bleutés ne relève pas des plus hautes fonctions diplomatiques, je vous l'accorde ; pourtant, cette tâche m'a permis de poser un regard sur ce que
j'étais alors. L'esprit libre, en rassemblant les poussières, je pus donner libre cours au fil de mes pensées : bien sûr, il était question des bals que je ne fréquentais pas, des lèvres que je
n'approchais pas, mais il me semblait que la nuit mettait un baume apaisant sur les plaies affectives.
Par contre, ma carcasse, mon enveloppe charnelle ne suivait pas. Ce corps, si jeune pourtant, était vite fourbu, éreinté, courbaturé. Il avait d'abord joué à être très rond et gros comme on l'a
vu, puis il se ravisa, perdit de sa substance, prit de la hauteur, puis de la maigreur. C'était à n'y plus rien comprendre. Ce corps à qui je n'avais transmis aucun message, aucune instruction,
que je n'avais jamais maintenu en forme, je le haïssais. Il fut d'une parfaite géométrie variable : sans aucune commune mesure, de gros plein de soupe je fus promu grand escogriffe. Grand
branle-bas de combat chez les gènes et les glandes, gêneuses et glandeuses. Le système sympathique ne l'a pas été avec moi. A qui profite l'endocrine ?
"Grand branle-bas
chez les gènes et les glandes,
gêneuses et glandeuses".
Raoul Jefe
21 octobre 2007
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"Il y avait
"la chose" et "le mot"
à traiter toutes affaires cessantes."
Et pendant ce temps, comment évoluaient mes amours ? Très mal. Elles n'évoluaient pas du tout. Au néant
affectif allait désormais s'ajouter le vide professionnel. Pour la première fois, j'allais pointer au bureau de chômage, celui du corps après celui du coeur, et par là même, je signais
tacitement un pacte avec le désoeuvrement et l'oisiveté dont chacun connaît des aveux de maternité.
En prise directe avec les réalités, parfois brutales, j'eus à essuyer les ricanements et les sourires entendus de tous ceux qui, sans avancer de remèdes, montraient du doigt l'horrible, la
cruelle maladie honteuse que j'avais contractée : la virginité !
Il fallait sans doute trouver très vite une panacée à cette lourdeur de bas d'estomac. N'ayant aucun ami, je n'effectuai aucune sortie ; n'ayant aucun repère, je n'envisageai aucun projet. Mais
il y avait "la chose" et "le mot" à traiter toutes affaires cessantes.
C'était un samedi après-midi. Je pris sur la Grand'Route le car qui conduit à Toulouse, déterminé à honorer une grande résolution.
Pour les avoir déjà vues là, pour les savoir en réponse à des questions comme les miennes ; pour en avoir eu peur mais pour les savoir sans équivoque, je savais "qu'elles" seraient peut-être
curatives.
Sur les trottoirs toulousains, ce jour-là, celles que l'on appelle par commodité sonore les putes, n'étaient pas légion.
Elles n'étaient pas légion mais le coeur battant, j'arpentai tout de même les quartiers chauds de la ville rose, à la recherche de celle qui allait être ma pharmacienne.
Et c'est
place Robert Schumann que j'en vis une, qui officiait et qui, la première, m'invita aux délibérations. C'était quelque chose du genre : "Tu viens, chéri ?" de la meilleure trempe. J'ai
répondu d'une voix cassée : "C'est combien ?", agrémenté d'un "C'est la première fois". Et après une rapide tractation, nous nous sommes engouffrés dans un corridor crasseux.
J'ai suivi cette femme assez jeune, dans l'escalier -le plus beau moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier- jusqu'à la chambre des "amis de passage". J'ai payé le prix
convenu, me suis en partie dévêtu et m'en suis remis entièrement à elle. J'étais bien incapable d'improviser. Elle a eu les gestes qu'il fallait, routiniers, avec les gens de mon accabit : on
ne peut l'accuser d'avoir baclé de travail. Elle a tout d'abord méticuleusement lavé mon sexe (le sida "n'existait" pas alors), d'une déconcertante flaccidité, m'a invité à m'allonger et a
entrepris d'une sollicitation buccale le réveil du réfractaire. Mais il fut d'un entêtement sans nom : crispé, contracté, je ne pus rien obtenir de celui qui, n'ayant pas été prévenu à temps du
rôle qu'il aurait à tenir, restait muet quand il avait, enfin, la possibilité de s'exprimer.
Ce fiasco retentissant conforta mes mauvais rapports avec le sexe.
Je quittai, lourd de désespoir, cette accorte putain qui n'avait même pas eu à enlever sa culotte.
"... cette accorte putain
qui n'avait même pas eu
à enlever sa culotte."
Raoul Jefe
20 octobre 2007
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"Scandale dans la famille"
ALAIN ROBBE-GRILLET : "UN ROMAN SENTIMENTAL"
DOIT-ON DIRE
"UN BOUQUIN A DEPUCELER" OU "UN LIVRE A DEFLORER" ?
Soyons clairs : je vais choquer.
Un livre vient de sortir des éditions "Fayard". Il parle de sexe.
Son auteur est Alain Robbe-Grillet, très accessoirement membre de l'Académie Française, "pape du nouveau roman". On est libre ou pas de se rendre à ses messes.
ARG n'est pas un prédateur. Sa vie est derrière lui.
Je n'ai pas lu une seule ligne de ce livre, et c'est pourtant comme si c'était fait. Quelle prétention, me direz-vous ?
De quoi est-il question ? De fellations et de sodomies, de sexes rentrés partout, de muqueuses qui jouissent à n'importe quel prix et avec n'importe qui, pourvu qu'il y ait quelque
consentement...
S'appesantir sur le sensationnel de l'entreprise ne me plaît pas.
ARG doit sans doute aller trop loin et il le sait.
Reprendre à bon compte des phrases et des mots percutants -serrer des tétons avec des pinces rouillées, découper un corps d'enfant comme un découpe un rôti- servirait à quoi ? Ce ne sont pas
des actes que je commets personnellement tous les jours, et Robbe-Grillet non plus.
Oui, ARG trangresse. Parce qu'il peut se le permettre, ce vieillard lubrique... Parce qu'il n'est que le reflet de chacun, qui porte le même cancer, qui se développe ou pas...
Je ne sais pas quel sera le parcours de ce livre. L'avenir nous le dira.
Je l'ai acheté ce soir. Il est soudé à chaud sous film transparent et non massicoté. Une étiquette dit : "L'Editeur tient à signaler que ce "conte de fées pour adultes" est une
fiction fanstasmatique qui risque de heurter certaines sensibilités.
L'ouvrage n'étant pas massicoté, il est préférable, pour l'ouvrir, d'user d'un instrument coupant plutôt que de son doigt."
Coupe-papier ? Dague ? Kriss ? Couteau à pain ? A huître ?
Cutter ? Opinel ? Laguiole ? "Econome" à peler les patates ?
Que vais-je choisir quand je vais me décider à découvrir le pire comme le meilleur, c'est à dire la vie ?
JF
PS : Pour se faire une "idée" de ce livre, je conseille la lecture du blog de Pierre Assouline, "La République des Livres". Et surtout des innombrables
commentaires qui en découlent.
J'aime beaucoup celui-ci :
"Une neige de loup gomme le bois de Boulogne. Plus rien. Les images reprennent à l'entrée d'un appartement de Neuilly. Sur un mur, peint à la façon d'un ciel, un buste de fille a été
accroché et sa blancheur se confond avec celle d'un nuage. Un coquelicot de sang fleurit entre ses seins. [...] Ou bien est-ce au Mesnil, l'autre demeure de Robbe-Grillet, au fond d'un parc de
Normandie que l'imagination s'emballe ? Ici, on le voit descendre dans les caves d'abord insoupçonnées et que l'on se figure aussitôt criminelles, bondées de "belles captives. L'homme n'en
remonte que des bûches, car il gèle, avec des gants de daim, car il est écrivain."
(http://libellules.blog.lemonde.fr)
Raoul Jefe
18 octobre 2007
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"Le régénéré caoutchouteux servait de matière premières aux célèbres bottes "Baudou"
Joël Fauré (Carnets)
Raoul Jefe
18 octobre 2007
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"... en attendance..."
La vie active s'ouvrait à moi, puisque je l'avais ainsi "souhaité". Voyageur
hébété sans bagage tombé d'un train en partance pour des destinations habituellement desservies. Moi, je restais "en attendance" d'un hypothétique repreneur en mains, conseilleur même
mauvais payeur. Mais nul n'est jamais venu, jamais, jamais. Pauvre naïf. Espèce de con. Isolé. Esseulé. Solitaire. Puceau.
Acculé à accepter la plus basse des tâches, puisque si d'autres, de diplômes sont bardés, je l'étais moi-même d'incapacités de tous les droits, d'examens médicaux de routine, de maîtrise de la
nigauderie, de certificats d'exemption, de brevets d'invention de la courbure d'échine.
La manufacture de caoutchouc "Baudou" employait le père : elle pouvait aussi employer le fils.
Ma mission, puisque je l'avais acceptée, consistait à débâcher, décharger, recharger et rebâcher de gros camions ventrus. On me vit en équilibre instable sur les poutrelles metalliques de leur
squelette, aussi à l'aise qu'un éléphant peut l'être sur un fil de pêche et regrettant déjà l'assise moelleuse du bois des pupitres scolaires.
Les gros cubes repartaient, repus de leur régénéré caoutchouteux tout droit sorti des granulateurs et des calandres, caoutchouc qui servait de matière première à la fabrication des célèbres
bottes "Baudou" (tiens, des bottes !), "les bottes de chez nous, les bottes passe-partout, dans la m... et dans la boue." qu'on trouve encore sur les gondoles de nos
chausseurs.
Hélas, le caoutchouc, entre autres propriétés, a celle de fondre comme neige au soleil, avec l'odeur en plus. La manufacture, devant de sérieux impératifs, dut se résoudre à se séparer de son
personnel.
Nous fumes tous remerciés, au sacro-saint nom d'un licenciement économique : il y avait à peine cinq mois que j'étais entré au service de la grande saga caoutchouteuse.
L'inaction avait de beaux jours devant elle.
"L'inaction avait
de beaux jours devant elle."
Raoul Jefe