3 septembre 2007 1 03 /09 /septembre /2007 19:09
A Caroline Lamarche,
à sa goutte de sang.


Etat des lieux communs.
Ca va ? Tout le monde suit ? Le moral est bon ? Les troupes sont fraîches ? A part ça, qu'est-ce-que vous lisez en ce moment ? Vous avez vu, Caroline Lamarche est donnée favorite pour le "Goncourt" ?

C'est un tout petit agenda. Il a gardé une élégance surannée. Il date de 1955. La tranche est rouge. Il est doté d'un tout petit crayon tendre, à peine plus gros qu'une allumette, glissé dans une bague. On y trouve essentiellement des informations concernant le lait, son prix et son litrage écoulé. Mon père ne finit pas de m'étonner : par quel miracle a-t-il pu rendre cet agenda extensible à l'infini ? Ainsi, j'apprends : les veaux de la Rousselle sont nés le 13 juillet 1956", "avoir acheté gaz réchaud 18 300 francs", "vendu veau Blanchette 8 500 F", "avoir acheté cochon 17 (illisible) 1963", "vendu cochon le 28 mai 1965, 99 kg 27 300 francs, prix d'achat 16 500 francs", et enfin, fabuleux bond dans le temps :
"Première neige 12-11-85
Deuxième neige : 19-11-85"
"Il a neigé le 14 janvier 1987. 10 centimètres."
Mon père a inventé le calendrier perpétuel.
La neige, je m'en souviens. Le lait, un peu moins. Le lait en neige, j'en suis friand...
Il reste des pages vierges dans cet agenda. Ce serait faire honneur à mon père que d'écrire sur l'une d'elles, à une date à venir : "Publié livre. 5 000 exemplaires. Edition épuisée. Réimpression en cours."

1967. Le tracteur est vieux et s'essouflfle. Parfois, il ne veut pas démarrer. Ou bien il démarre mal, dans un nuage d'odorante fumée d'essence de mélange.
De Gaulle s'essaye à promettre, dans la télévision balbutiante, entre la mire et deux éléphants savants. La Terre est basse, le Front Populaire, loin ; la joie redevenue aléatoire. La guerre, un temps, a occupé, meurtri, déchiré. Mais le sang sèche vite et on oublie, on s'ennuie.

La terre ne rapporte plus. Il faut bien vivre. Les petites exploitattions agricoles sont condamnées à végéter. "Oh" confie ses terres à un fermier. Il part travailler en usine. Une vraie usine comme on n'en fait plus, avec un toit en dents de scie, comme on ne peut plus se les figurer. Ou alors en illustration, en pictogramme dans les manuels scolaires.
Celle-ci fabrique de la peinture. Elle se trouve à l'entrée du village de Bessières, entre la gare et le château d'eau, floqué sur son rehaut de l'inscription peinte en capitales "PEINTURES ECOPLAS". La peinture ne vient pas de bien loin, elle n'a eu qu'à traverser la route.
Sur son calendrier perpétuel, d'une écriture maladroite, mon père a noté, à la date du 27 juin 1955 (Saint-Crescent) : "Marquise iciminée le 23 mars 1967. Avoir commencé le travaille le 18 avril 1967 à la peinture à bessierre. fin juillet."

Le samedi 1er juillet (Saint-Martial), je lis : "brunette velle le 16 juin 1966". Et le mercredi 5 juillet (Sainte Zoé), je trouve : "avoir commencé travail le 17 août 1967 à l'usine baudou a bessiere".
Comment ? Qu'est-ce que vous dites ? Que c'est bourré de fautes d'orthographe ? Non mais, j'aurais bien voulu vous y voir à sa place. Nous n'avons pas gardé les vaches ensemble. "Oh" n'est allé à l'école que lorsqu'il n'y avait pas de travail à la ferme. Autant dire presque jamais.

A Bessières (presque Béziers), pendant que Gustave drague sur le fleuve "Tarn" pour construire des châteaux de sable, Maurice Baudou achète, sur les rives du même cours, une centrale hydraulique, pour faire tourner son usine. Il reçoit du vieux caoutchouc décliné en déchets de chambres à air, de bouillottes ; le pile, le granule, le fond pour en faire du neuf. Il sert de matière première aux célèbres bottes Baudou, qui ont fait une belle jambe aux arpenteurs de toutes natures.
Maurice compose ses équipes avec de la main-d'oeuvre locale. Braves travailleurs aux mains volontaires. Ils savent manier la batteuse ; ils auront manoeuvrer la calandre et les granulateurs.

(A suivre.)

Joël Fauré

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BILLET D'HUMEUR

Ode jaculaitoire

Qu'il me soit permis de faire miennes les phrases de mon grand ami Samuel Beckett :

"Ma lucidité, ma chair à vif
Me font cruellement souffrir.
Qu'on me donne le confort de l'âme
Et la quiétude de l'esprit.
Pitié.
J'implore le pardon  des fautes
Que j'aurais dû commettre.
Pauvre scribe éreinté de coups.
Je me grise de mots, de vin, de viande.
Je veux être joufflu et pompeux,
Gras et verbeux ; insolite.
Je ne veux pas rester comme les autres.
Qu'on me fouette à vif, au sang.
Que mes pleurs et douleurs soient au moins motivés.
Qu'on fasse mienne la ferveur du Christ,
L'ardente prière Jaculatoire juste après l'Introït.
Que je puisse aimer sans frein
La vie, les gens, le monde.
Que ma bouche soit riche
De la soif enfin apaisée de ses lèvres
Et ma tête sereine."

Samuel Beckett (La Dernière bande)

"Qu'on ne m'enlève aucune forme de liberté,
Qu'on ne m'empêche pas de convoquer les fantômes,
J'ai appris que les morts ne quittaient jamais les vivants,
Quand ta voix change
Et que tu prends ce ton cassant,
C'est qui ? c'est quoi, toi ?
Dans ces cas-là, je voudrais pouvoir entrer
Dans le chas d'une aiguille
Et me perdre dans une botte de foin."

Raoul Jefe

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2 septembre 2007 7 02 /09 /septembre /2007 19:56
SANS TITRE

Quand je ne sais pas, je me tais, j'écoute et j'apprends.

JF

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2 septembre 2007 7 02 /09 /septembre /2007 11:22
Quelle connerie, la guerre...
Inattendu mode d'emploi pour "Oh". J'imagine mon père, pas encore décillé sur "la chose", recopiant fiévreusement les consignes d'un camarade plus déluré.
De la guerre -de ses guerres-, je ne sais rien. Il est resté taiseux. Ainsi ne ferai-je pas celui qui sait. Il a lâché quelques bribes, ponctuées par un "J'ai eu une sale vie". Ce qui ne veut pas dire que c'est lui qui avait sali sa vie, mais bien le contraire.
Il se montre peu disert. Tout se mélange dans une mauvaise macédoine : le STO, Cologne bombardée et détruite, les copains morts qu'il faut porter en terre, les topinambours à chaque repas (mais un peu de viande bouillie le dimanche), les tickets de rationnement, la ferme du "Mas de Sol" où il s'était réfugié...
L'Occupation de son temps, la Résistance à l'épreuve, la Collaboration étroite avec... ses copains de chambrée, et la Libération, la sienne, et celle de Buzet, et celle de la France...

39 - 45 : ce n'est pas l'écartement entre une pointure fillette et une grosse pointure, c'est une marque de guerre. La guerre : il aurait fallu que je me documente sur des aspects rugueux. Je laisse ce soin aux historiens.

C'est une photo.
Elle est rongée par l'humidité. Elle montre mon père devant un baraquement, dans un paysage désolé. Il est en tenue militaire : béret, vareuse, godillots montants. Il pose, comme Napoléon, la main enfouie, repliée sur la cage thoracique, pour empêcher le coq de sortir, pour empêcher l'aigle de rentrer.

Réfractaire.
Il est curieux de constater que l'histoire se renouvelle. Au Moyen-Âge, le Service Militaire s'appelait OST. Plus près de nous, STO. Un petit chamboulement s'est opéré, mais c'est tout, faisant le sel des amateurs de mots croisés.

A Buzet-la-Forêt, le maire est loin de remplir une grille de mots croisés en écrivant ceci :

Attestation.
Le Maire de Buzet, soussigné, certifie que Monsieur Fauré Fernand, né le 29 novembre 1927 à Buzet, a été envoyé au S.T.O. à Wielling (Allemagne), le 20 juin 1943, et rentré en France en congé le 12 décembre 1943, s'est ensuite soustrait aux recherches, afin de se dérober au S.T.O. Donc réfractaire au S.T.O. à dater du 12/12/43.
Ce jeune homme est fils unique de Veuve et seul soutien de sa mère pour l'exploitation d'unr propriété de 12 hectares.
Buzet, le 21 novembre 1945.
Le Maire.

Le monument aux sorts.
La croix gammée -la stvanza- est un signe de multiplication qui a été tordu en faisant la guerre.
Quand on ajoute un Français à un autre Français, on n'obtient pas une addition mais une division.
A Buzet-la-Forêt, les Allemands ont fait beaucoup de soustractions.
Je n'ai jamais été bon en histoire et en calcul mental (mon mental a des calculs). Mais le monument aux morts, scrupuleux comptable, érigé tout près de la Maison Neuve, me parle sans langue de bois, et garde sa mémoire fraîche de sang :

ICI
CINQUANTE QUATRE
FRANCAIS
ONT ETE MASSACRES ET
BRULES PAR LES
ALLEMANDS
LE 17 AOUT 1944
_______

PRES D'ICI
SEIZE FRANCAIS
TOTRURES ET EXECUTES PAR LES
ALLEMANDS
SONT MORTS POUR LA PATRIE
6 - 15 - 20 JUILLET 1944

Sans transition, presque sans inspiration, sans doute sans concertation, tout près de cette stèle s'étire un golf de 18 trous. trous de balles.

Depuis sa villégiature outre-Rhin, mon père est terrorisé par les uniformes. Il ne comprend pas pourquoi tout le monde ne porte pas des salopettes en tergal et des chapeaux de paille comme lui. Mon brave papa, lui qui n'a jamais fait de mal à une mouche (il a seulement supprimé les doryphores qui boulotaient ses patates ; or les faits sont maintenant prescrits), tremble de peur devant les gendarmes, les infirmières, les curés, les caissières de supermarché et même les majorettes.

(A suivre)

Joël Fauré

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1 septembre 2007 6 01 /09 /septembre /2007 20:20
img103.jpg
"C'est un petit carnet jauni à petits carreaux..."
Joël Fauré (Le Livre de mon père
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1 septembre 2007 6 01 /09 /septembre /2007 12:03
A sept heures du soir, les persiennes fermées, la targette tirée, l'horizon verrouillé.
Ce n'était pas des ours dont mon père avait peur, puisqu'il en était, mais des loups, ou de ceux qui voulaient y ressembler.
Il ne me restait plus, alors que la chambre du fond, celle de mes parents, s'était refermée comme un sanctuaire, qu'à m'inventer des affinités avec le hasard. Chacun a les alcools, les lacs, les mers, les manèges qu'il peut... Vivre est artifice.
Il restait la télé noire et blanche. Avec un peu de chance, les premiers ronflements de mon père débutaient avant le générique d' Apostrophes. Je pouvais ainsi m'échapper et Bernard Pivot m'accueillait sur son plateau, où je me faisais petit comme une souris, écoutant les grands diseurs, à l'affût d'un mot inconnnu, que je notais soigneusement, pour mieux m'en imprégner, sur la page ouverte du jour, dans Télé 7 Jours.
Bien mieux encore, il restait la radio en couleurs. Dès vingt-deux heures, glissé sous les draps, quatre tops s'égrenaient sur France Inter, et je crois que tous les "José" du monde se retrouvaient en syndicat : José Sétien et José Artur. Ses actualités assenées, José Sétien disait : "Je sous laisse maintenant en compagnie du Pop-Club, avec José Artur." Et José enchaînait : "Merci, José Sétien". Et les Parisiennes chantaient sur une mélodie délicieusement jazzy : "24 heures sur 24, la vie serait bien dure, si l'on n'avait pas le Pop-Club, avec José Artur". Alangui sur ma couche, mon imagination me transportait d'une seule attelée Buzet-la-Forêt / Paris, via l'appentis de tôle adossé au poulailler, la carcasse de la vieille "203", le crib où séchait le maïs, deux chênes magnifiques, et une échappée belle sur la campagne herbeuse... jusqu'à ce que mon père rompe l'harmonie, en se levant pour pisser. Nuitamment, il "faisait" dedans...

"Allo, les Rouquiès ? Ici Paris"
C'est juste après le déluge et le partage de la Mer Rouge que la famille s'abonna au "Pèlerin". Les informations, filtrées comme du petit lait, se laissaient lire sans choc. C'est juste si les planches dessinées de "Pat'apouf" le détective accordaient quelques audaces à ses aventures. "La lettre du balayeur" s'essayait au politiquement correct, mais chacun sait bien que religion et politique, bien qu'elles se fussent retrouvées sur les chemins des croisades et des guerres, ne font pas bon ménage.
Mon père ramenait parfois trimphalement "Marius, l'épatant", imprimé sur papier rose, où dessins et textes rendaient rose aussi.
Mais le feu d'artifice, l'assurance qu'il existait une autre vie, plus loin, sur une autre planète, pleine de joies, d'éclats, de paillettes, de transgressions et de scandales, c'était dans "Ici Paris" que nous l'avions.
Vous pensez que si j'avais appelé les gens de le rédaction d'Ici-Paris, et que je leur avais dit que la seule grande joie de mon père, c'était de savoir que Tino Rossi avait du succès auprès des femmes, "ils" lui auraient offert un abonnement gratuit de trois mois ?

C'est un petit carnet jauni à très petits carreaux de format 13 cm par 8 cm. La couverture, qui avait dû être cartonnée, manque à l'appel. Je compte 34 feuillets. Il pèse 22 grammes. Si on devait le confier à l'acheminement postal aujourd'hui, il en coûterait 82 centimes d'euros. Du reste, je ne vois pas à qui je pourrai bien l'envoyer. Il est si personnel. Il a appartenu à mon père. C'est à ma connaissance l'unique littérature qu'il ait jamais produite. Il a été rempli en 1943, alors que mon père accomplissait un "petite foyach soufenir" en Allemagne, à l'invitation de la compagnie STO. L'historien y trouvera bon nombre de chansons de salle de garde, de comiques troupiers, que mon père a soigneusement recopiées ; plus émouvant, un texte très personnel sur "le bombardement de Cologne dans la nuit du samedi 3 au dimanche 4 juin 1943", et beaucoup plus surprenant encore, ce texte savoureux et torride, que je ne peux m'empêcher de vous livrer, fautes d'orthographes comprises :

la façon de mettre une jeune fille en chaleur quand vous parlez a une jeune fille et que vous avez l'intention de la baiser voici comment il faut s'y prendre autrement dit pour la mettre en chaleur
Devellopement
il faut que vous sortiez au moin troi fois avec elle la premiere foi vous lui demenderez de l'embraser ou vous le faites carremment sur la joue, si elle ne rouspette pas trop vous le faites sur le front, et rien que la car il ne faut pas aller trop loin il faut suivre le proverbe qui va dousement va longtemp
la deuxieme foi vous l'embrasser partout sur le coup ; derriere les oreilles a la naissance des cheveux puis vous risquez un baiser sur la bouche : si elle ne refuse pas vous recommencée en ayant soin de la serrer assez fort dans vos bras si elle se laisse faire c'est quelle vous aime alors vous lachez a egard votre main sur ses genoux le plus gros travail est fait - la troisième fois vous l'embrassez sur la bouche, il faut toujours commencer à l'embraser en introduisant votre langue dans sa bouche vous choisissez le moment ou elle se penche dans vos bras pour mettre votre main sous ses jupons et lui toucher les cuisses pui doucement vous montez et vous faites des pressions dans ses poils et vous operez un mouvemen tournan et ayant soin de presser un peu quelques minutes après vous lui mettez le doigt dans la fente pour lui chatouiller le bouton jusqu'a ce quelle jouisse "vous dechager dans les main. vous lui demendez ensuite si elle veut vous laisser mettre votre V... dans son C... sur le moment elle vous dira peut etre que non, alors vous la carressez de nouveaux de la meme façon pour qu'elle ne puise plus se retenir : vous lui ecartez les jambes vous vous couchez sur elle le plus pres possible de maniere a bien la serrer. vous attendez dans settes position jusqua ce que vous décarger san execute le va et viens habituel. si elle décharge en meme temps que vous cest dangreux car elle ouvre la soupape et votre sperme peut entre dans la chambre ce qui peut occasionner la venue d un enfean c'est tres enbetant des sortes de chosse si elle decharge apres et bien il ni a pas trop de risque et vous pouvez recommences une autres fois sans crainte   voila à mon avis le vrai moyen pour mettre une jeune fille en chaleur et lai toucher comme il faut sest le vrai et parfai moyen
amour de baiser = Fin
fait en allemangne le v 25 juin 1973 en un moment de repos

(A suivre.)

Joël Fauré

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31 août 2007 5 31 /08 /août /2007 20:28
A la mémoire de Raymond Fabre.
Il me manque. Mais vraiment.


Raymond Fabre, sa vigne, son oeuvre.
Après lui, il n'y aura presque plus de vigne ni de vigneron à Buzet-la-Forêt. Raymond Fabre garde le secret de ses bonnes feuilles, cépages et carnets à souche.
Passés les saints de glace (Saint-Gervais, Saint-Mamert et Saint-Pancrace, vénérés à la mi-mai), Raymond poussera un "ouf" de soulagement : les gelées tardives ne mettront pas à mal ses vignes. Pour l'essentiel, il ne restera plus qu'à tenir prête la parade à toute velléité symptomatique : l'oïdium, le black-rot, l'effervescence dorée (un insecte qui suce la sève), et le mildiou, cette maladie qui ressemble au juron que l'on pousse quand on la voit.
Vers 1870, on a dû en pousser pas mal. Le phylloxéra faisait des ravages ; c'est de cette époque que date l'introduction en France de plants américains, plus résistants aux pucerons.
Possessive, la vigne l'est. Elle réclame des prévenances de tous les instants. Son thème est porteur, fédérateur ; sa symbolique forte. On l'a souvent vue dessinée dans les manuels scolaires, chapeautant les paragraphes de leçons de choses, représentées en images changeantes, blanches, vertes, bleues, rousses, au gré des quatre saisons.
Raymond embrasse l'air d'un geste auguste. A mon père, il dit : "Il en reste 90 ares ici, et 30 là-bas". D'un côté, la ceinture argentée du ruisseau "Palmola", de l'autre un poirier tordu et sans âge sont les gardiens attentifs mais impuissants d'un monde qui s'en va. "Autrefois, il y en avait trois ou quatre fois plus". Au hameau des "Luquets", la pétarade de la pétrolette a souvent emporté Raymond jusques en ses terres. Il est vrai qu'elles réclament des assiduités et des soins réguliers. Il évoque le temps où il se mit en tête de mettre en terre des greffons : c'était juste après le rigoureux hiver 1956.

Le père de Raymond, Paul, escaladait les marches du chai et les degrés de la cave, tandis que sa femme, Jeanne, avisée que des gens s'étaient taillés en vigne, confectionnait de succulentes croquettes pour restaurer, à midi, les agapes des grappes. Mon père n'était pas le dernier à se mettre à table : c'étaient les vendanges.
C'étaient les vendanges après la taille et les trois traitements sytémiques de Printemps. Quelques grappes muscates, perlées de la rosée de Vendémiaire, se laissaient oublier par des distraits, se voulant promises à une grive musicienne ou une tourde. Et les muscats, en habits de gala, rougissaient et suaient sous le pelotage obscène de vendangeuses castratrices.
Raymond se souvient et a gardé sa passion. Pense-t-il aux Dames-Jeanne et aux bouteilles de plastique "made in CEE" en tête des gondoles dans les supermarchés ?
Abonné au "Chasseur Français", comme l'était déjà son père, il s'informe de l'air du temps et des gammes de nouveaux brabants. Il me demande quelquefois ce que je suis en train de gribouiller. Pour mon père, il sait...
Il taille les pampres pour que mûrissent les jolies baies, et que grappillent ses petits-enfants. Il faut en profiter. Ses vignes sont promises, à plus ou moins longue échéance, à l'arrachage.
Pour s'en souvenir, il ne restera pas grand chose, sinon que de collecter des vignes en vignettes gommées, en rangées millimétrées, dans les albums des veux métiers.

Marcou, Poulitou, Mauriçou et Fabrou.
Ils étaient classards du "Fernand" des "Rouquiès" dans les années 20... Marcou, "que vouliou fa tutou" (qui voulait "faire" instituteur) ; Politou, "que disio : "a l'escolo, le tchoul me trambolo, à l'oustal, le tchoul me fa mal" (A l'école, le cul tremble, à la maison, il me fait mal) ; Fabrou, "que disio : me cal ana pouda" (Il faut que j'aille tailler la vigne.) Et encore l'Emile, qui avait compris qu'un seul "macarel" ne suffisait pas à exorciser les désagréments, et s'exclamait, en lot promotionnel : "Quaranto macarel"  (Quarante "macarel"). Et enfin, dans tout ça, tous réunis en choeur clonaient Dieu à la puissance mille...

Mon père s'exprimait le plus souvent dans son patois. Du français, il disait : "Je l'escaraougne". Sur la fin de sa vie, il ne trouvait plus ses semblables patoisants que dans un rayon de dix kilomètres, et se délectait de la rubrique dominicale "Catinou et Jacouti" de Charles Mouly, dans "La Dépêche du Midi". Aujourd'hui, la "Catinou" et le "Jacouti" n'intéressent plus qu'un public restreint. Ils ont déserté les colonnes de "La Dépêche du Dimanche". Le gros de la troupe repose au cimetière.

(A suivre)

Joël Fauré

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Brèves:

Immatriculées conceptions.
A cause des toc de relecture, je lis peu mais je lis fort. Je n'envie pas les stakhanovistes de la lecture qui sont contraints de balayer, parcourir, survoler, suivre du doigt, lire entre les lignes, en diagonale ou pas du tout les quelque 700 livres, parallélépipèdes "dépôtlégalisés", qui sortent pour cette rentrée littéraire...
Je m'amuse à comparer ce qui me tombe sous les yeux, depuis que j'ai décidé que ma vie ne serait que repérages et hasards ; ainsi, je me demande ce qui va bien rester ; je vois tel organe défendre telle publication, tels lauriers destinés à celle-ci ou celui-là... Quelle comédie !

Aimez-vous Claudel ?
J'en ai parlé à Camille C., et elle est tombée d'accord avec moi : Claudel est un grand homme de lettres. On peut ici vraiment parler d'un ECRIVAIN. Etat de grâce, profession de foi, style admirable, fidélité à des convictions ; P. Claudel m'a converti à la religion. Il montre dans ses drames, avec un réalisme saisissant, les aspects et les couleurs les plus âpres de l'âme...
Oui, je peux vraiment parler d'une "rencontre" avec un auteur.
Merci, Philippe.

JF

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30 août 2007 4 30 /08 /août /2007 19:46
La fièvre aphteuse.
J'ai levé, dans les archives familiales, deux documents. Ils attestent que l'histoire se renouvelle, qu'il est séant d'avoir peur, mais que la peur passe. Une autre vient, mais bien plus tard. Ca laisse une chance à la sérénité. Un clou chasse l'autre. Consolons-nous : le cerveau n'est pas capable de recevoir deux frayeurs à la fois. Une douleur, une souffrance, et une seule à la fois.
Le premier document a dû être blanc. Il est daté du 22 avril 1960. Il émane de la Direction des Services Vétérinaires. Il dit : "Sont déclarés infectés de fièvre aphteuse :
1° Les locaux, cours, enclos, herbages et pâturages appartenant à M. FAURE, dans lesquels se trouvent des animaux malades ou suspects ;
2° Le territoire désigné ci-après :
L'exploitation de M. FAURE à BUZET-sur-TARN et un périmètre de 500 mètres autour de cette exploitation.
Ce territoire, et notamment les animaux des espèces bovine, ovine, caprine et porcine de l'exploitation ci-dessus, sont placés sous surveillance vétérinaire sanitaire.
Des écriteaux portant les mots "fièvre aphteuse" seront apposés sur les poteaux plantés aux limites de la zone d'interdiction, sur toutes les voies qui y donnent accès.
La présente déclaration d'infection ne pourra être levée que lorsqu'il  se sera écoulé un délai de quinze jours depuis la guérison du dernier animal atteint et après l'accomplissement, sous la surveillance de l'autorité locale, de toutes les prescriptions relatives à la désinfection.
Agents désinfectants :
1° Le lait de chaux préparé au moment de l'emploi avec de la chaux vive, dans la proportion de 10 % ;
2° Crésol du commerce en solution alcaline additionnée d'eau à raison de 3 %".
Le second a dû connaître semblable blancheur. Il date du 23 mai 1960. Il dit :
"Nous, Préfet de la Haute-Garonne, Officier de la Légion d'Honneur, vu notre arrêté portant déclaration d'infection pour cause de Fièvre Aphteuse des locaux, cours, herbages et pâturages dépendant de la propriété de M. FAURE à BUZET sur TARN, ainsi que les animaux parmi lesquels cette maladie a été constatée ;
Arrêtons :
Est levée la déclaration d'infection prononcée par notre arrêté du 22 avril 1960."

Je revois les étables blanchies à la chaux, où nichent quand même des hirondelles, dans des architectures parfaites. Elles sont fui nos tropiques et je ne serai pas étonné si elles se font de plus en plus rares, puis qu'elles disparaissent à jamais.
La vache est folle ; le poulet est grippé ; le mouton, tremblant ; le lapin a les yeux rouges. Quand on a peur de la grenouille, il faut aller voir la grenouille, et au besoin, en manger les cuisses. Pour désamorcer toutes ces angoisses, je vous livre une recette : mangez-donc un couscous quatre viandes. Vous multipliez ainsi les chances de vos risques. Parce que, on l'oublie trop souvent, un risque reste un risque mais à des chances de ne pas se laisser prendre...

La vieille 203.
Le nouveau propriétaire de notre ancienne maison, Emile Jurétig, ancien garagiste à Toulouse, a donné à mon père la carcasse d'une vieille "203", pour qu'il s'en serve comme abri pour les poules. Pour celles qui seraient malades en voiture, il a construit un petit poulailler de briques et de broc, avec des matériaux de deuxième main.

Le vieux tracteur "Renault R 3042".
Le décrire me donne à l'avance de la joie. On l'avait cédé à mon père pour une pincée d'avoine ou de blé tendre, pour qu'il n'ait plus à crier "hue" et "oh" aux attelages. Il lui avait trouvé une toute petite place, dans un coin du garage de la Maison Neuve.
C'était un gros jouet orange, comme on en voit maintenant reproduits sous film plastique chez les marchands de journaux. Il avait fière allure.
Il était moins élégant qu'un "Soméca", plus massif qu'un "Pony". Le siège était d'un confort spartiate, et les commandes bien ostensibles : axes et segments durs et droits du volant, du frein, de l'accélérateur.
Mais c'est surtout sur le toit que fourmillaient les détails. Le bouchon du radiateur couronnait une calandre grillagée comme une cage à lapins. Un gros champignon non comestible devait sans doute aider à la carburation. Devant le volant, une trappe qui fermait mal trahissait la présence d'une sorte de malle à outils. Ce dont je me souviens surtout, c'est d'une plaque noire verticale, rivetée là, où se découpait un énorme "D" peint en blanc. Dérisoire mise en garde que ce pauvre "D" de danger, que personne ne devait voir sans aucun doute, ancêtre du girophare qui équipe aujourd'hui les engins agricoles. Où était le danger ? Quel était le danger ? Cette plaque, c'était un peu comme un couteau sans manche auquel on a supprimé la lame.
Les flancs de l'impressionnant moteur étaient protégés par des carters ajourés, qui donnaient à l'ensemble un habillage harmonieux.
Enfin, outre le système de relevage arrière, qui m'a longtemps intrigué, le "nez" était constitué par un gros contrepoids de béton, et aux deux extrêmités d'une tige, les "yeux" des phares ne brillaient plus que d'un pâle éclat.
Sur la fin de sa carrière, le brave "Renault type R 3042" s'était récyclé, sur décision de mon père, en objet multi-usages : le contrepoids de béton servait de desserte pour les cagettes de pommes de terre mises à germer ; la tige des phares faisait office de patère, où mon paternel entassait ses ficelles à tomates, ses raphias, un vieux tuyau à siphonner l'essence...

Le tracteur, dégagé de ses obligations domestiques, sert encore dans des occasions qui deviennent rares. Au relevage, on goupille une charrue, ou une décavaillonneuse, et on file à la vigne aérer le sol. Il reste quelques rangées d'un cépage sans distinction, suffisant à produire une piquette maison, pas plus de 10 degrés, 11 les années de bon soleil.
A sa vigne, mon père retrouve son ami d'enfance, Raymond Fabre, dans la sienne. Toutes les deux se touchent. Ils taillent une bavette...

(A suivre)

Joël Fauré

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29 août 2007 3 29 /08 /août /2007 19:23
"Rien n'est plus comme avant."
disait "Oh", celui qui, savant des messages du ciel et de la terre, cornaqué par ses aïeux, Papi Janel en tête, voyait dans la couleur, la forme de la lune mieux que dans les almanachs, le feu vert pour semer les fèves.
Le vécu est un savoir, et rien n'est plus formateur que d'apprendre "sur le tas", quand bien même fût-il de fumier.
"Rouge couchant, demain beau temps", "Ciel pommelé et femme fardée sont de courte durée" sont de bons diagnostics.
C'est dehors que tout se joue. On ne voit rien derrière les murs digicodés, on ne sait rien sous les lambris dorés des ministères. On s'ennuie à en mourir dans les sous-pentes. Il faut se frotter comme ail sur croûton à l'épaisseur de l'air, se confronter au vent, se réfugier dans la nuit, surprendre l'aube. Mon paternel a été ministre des affaires extérieures sans le savoir. Il pissait droit, debout mais surtout dehors. Et s'il n'a jamais été libéré, dans ces moments-là, il était libre.
Parvenu à quatre fois vingt ans, s'il est resté accroc de la météo de Florence Klein, et aurait tué père et mère pour écouter les prévisions de la télévision régionale, il a eu le temps d'être alerté sur le "réchauffement de la planète", l'effet de serre, le trou de la couche d'ozone et les caprices du climat.
Devant le grand chamboulement orchestré par Jupiter, il s'est résigné, se bornant simplement à dire : "Rien n'est plus comme avant". Si j'avais su tendre l'oreille, j'aurais entendu, au milieu de son silence : "Après moi le déluge".
Lors de la canicule historique de 2003, il m'a soufflé quelque chose de singulier. Dans sa jeunesse, il avait "entendu dire qu'un jour, même les maisons allaient fondre..."

Bien que les sanitaires soient correctement installés dans la "Maison Neuve", mon père fait ses besoins dehors. Il n'aime pas les petits coins ; il n'aime que les grands. Son chalet d'aisance, ses latrines à lui, se trouvent entre une haie de pruneliers, un crib où sèche du maïs, un petit appentis de tôle adossé au poulailler, et la carcasse d'une vieille "203". Il a installé là un "cagadou" en pleine nature.
De grosses mouches bleues font office de chasse d'eau et de sanibroyeur ; des langues de papier découpées dans "La Dépêche du Midi" essuient les affronts d'une daube transfigurée. "Oh" voit tout de suite si les urines sont claires, les selles copieuses.

Oui, vraiment, à la campagne, beaucoup de choses se jouent dehors. C'est un théâtre de verdure permament, avec changement de décor à vue.
Tenez, prenez les ordures. Mon père a dû voir la première benne à ordures au début des années quatre vingt-dix. Jusqu'alors, il brûlait les déchets en plein champ. Seules, incalcinables, les boîtes de pilchard servaient de mangeoire aux poussins qui venaient d'éclore, et les boîtes de fer blanc allaient coiffer les pieux de la prairie.

"On va voir les vaches ?"
Dans la vieille maison, les vaches vivaient dans la pièce à côté... C'était ainsi, dans les fermes ; il suffisait de traverser le corridor pour se retrouver à l'étable.
Brunette, Blanchette, Coquette, Mouchette, Rousselle et Pomponne, Marquise, Mignonne, La Marai et La Noire, Manon et Sheila, et Sofie faisaient partie du cheptel.
J'ai retrouvé un minuscule agenda où sont consignées les activités sexuelles débridées d'une partie de la famille.
Il s'en passait de belles parties de pattes en l'air dans la fermes des "Rouquiès".
"Rousselle menée au taureau le 27 octobre 1955.
Avoir mené Brunette au taureau le 29 mars 1956.
Mignonne faite inséminer le 9 décembre 1958.
Brunette vêle le 21 juin 1963. Veau tout noir. Négrita.
Sofie mise au taureau le 3 mars 1964.
Sofie vêle le 3 novembre 1964.
Sheila inséminée le 23 décembre 1965."

Il me semble revoir le vétérinaire. Il enfilait son bras dans un long gant rouge qu'il enfonçait ensuite profond dans la bête...
Je n'ai jamais cherché à savoir ce qu'il faisait. De toute manière, on ne me l'aurait pas dit...

Bretonnes et Normandes, au nom des générations qui m'ont précédé, bravo d'avoir su vous acclimater en dessous de la Loire, et merci pour tout, pour vos saillies et vos traites, votre sacrifice pour les braisières, votre cuir pour les bottes, votre lait pour les bidons.

Et vous, les bidons, pardon. Vous ne méritez vriament pas cette expression : "C'est bidon", c'est-à-dire c'est faux, c'est truqué, c'est un mensonge.
Un bidon, au contraire, c'est très utile. Combien de ravissants poupons sont devenus "des hommes mon fils" grâce aux bidons luisants sous la gelée de janvier, dans les basses-cours, fruits du travail matinal des hommes et des bêtes, droits, debouts, fiers, et patients du passage du laitier ?

(A suivre)

Joël Fauré

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Brèves:

Premiers pas d'automne...

C'est ce soir. C'est dans une rue étroite. Il faut presque se toucher. Un couple sort de quelque part. Elle porte des bottes. Et comme depuis longtemps, quelque chose se crée chez moi... Maintenant, je sais...
Je ne chasserai pas cette folie puisqu'elle est douce...

*

Avec vue sur catalogue.

Les bons gros catalogues "des familles", ceux des maisons de vente par corrrespondance, sont arrivés. "Mais qu'ont-ils donc mangé pour être si lourds ?"  dirait Colette, si elle avait à réécrire "Le blé en herbe".
Ne cherchez pas plus avant ce que j'y ai cherché en premier : des bottes !
A "La Redoute", pas besoin de marque-page ; un encart piqué fait borne. En pleine page (107), deux jambes cuissardeés dessinent un "A" majuscule.
Je lis : "Cuir véritable, un art de vivre, une exigence, 7 bottes de qualité en cuir. Les cuissardes... portées avec une jupe mini pour une dégaine actuelle ou portées façon bottes en rabattant le bord de 12 cm. Zippées côté intérieur. Bride à boucle métal sur le coup (1) de pied. On apprécie l'aisance que nous procure l'élastique dos. Dessus cuir vachette.  Talon 3 cm. Hauteur tige rabattue : 54 cm. Du 36 au 41 : 199,90 €."
Aux "Trois Suisses", j'ai collé deux post-it. L'un page 33 : "Les bottes fétiches. Froncée, talonnée, nouée, rétro... 7 façons d'apprivoiser le bitume".
J'aurais bien aimé inventer le modèle "à poches" -avec un peu d'imagination, tout peut s'y glisser à l'intérieur- :  "Les bottes à poches. Belles bottes à talon avec zip permettant de les ajuster sur la jambe. Poches à soufflets côté. Doublure textile doux. Talon lamelé cuir 6 cm.  Du 36 au 41. 149 €" Un modèle pour désarçonner les pikpockets.
L'autre page 241 : "Les bottes : elles ont le cuir dans la peau ! Le TOP des tendances.

Froncées, plissées, lacées... bout ronds, carrés, pointus.... Brisons-là. Le vocabulaire est trop riche... Il se déclinera ici, sur ce blog... "A propos de bottes"...


(1) De mon temps, on écrivait "cou" de pied.

JF
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28 août 2007 2 28 /08 /août /2007 19:32
De la difficulté à trouver un titre pour un livre sur son père.
"La Gloire de mon père" était déjà pris par Pagnol. "Celui des Rouquiès" aurait fait trop régionaliste, et j'ai des ambitions nationales. "Un des Rouquiès" aurait plagié Giono ; "Lettre au père" Kafka. "Venez voir, j'ai tué mon père" a effrayé une connaissance : elle a prétendu que les gens l'auraient pris au premier dégré. "J'ai très bien connu mon père" m'aurait peut-être apporté le même succès que "J'ai très bien connu Jacques Brel". "L'homme de ma vie" aurait été la suite logique de l'ouvrage que j'ai consacré à ma mère. J'ai eu une inclinaison pour : "Il ne suffit pas d'un beau titre" et un penchant pour un sous-titre "Histoire d'Oh". Tout reste ouvert.
Finalement, j'ai retenu le titre que vous savez. Qu'en pensez-vous ?

Terre ! Terre !
Entre le septième ciel et le trente-sixième dessous, il y a le plancher des vaches, au ras des pâquerettes. C'est à prendre ou à laisser. Au premier degré. Si d'aucuns, épicuriens, hédonistes, aviateurs comblés entre Toulouse et Santiago du Chili planent dans le premier, et si d'autres, dépressifs, néo-névrosés de carrière croupissent dans le second, mon père, celui d'Hélène, le seul, celui du hameau des "Rouquiès" évolue tant bien que mal sur le troisième.
Quelques arpents de terre, un attelage de lourdes vaches de labour, et tout pour refaire à l'envi un roman champêtre qui plaira à certains, qui déplaira à d'autres. Mille mots affluent à fleur de ma tête. Comment faudra-t-il s'y prendre pour étonner et émouvoir encore avec eux, avec du vocabulaire bien agencé, qui devra dire les foins, les groins, les museaux et les boisseaux ? L'animal et le végétal ?
Devrai-je encore me dérober, emprunter des chemins de traverse, alors que ce que je veux faire, ici, c'est juste parler de celui qui m'a inscrit au grand club du monde ?

L'enfant-laboureur.
Le père de mon père est mort jeune, à 31 ans. Il laissait son fils unique de sept ans enfant-laboureur, auprès d'une mater dolorosa désemparée, sans tendresse, sans humour, à qui il disait "vous" quand il parlait.

L'enfant-laboureur a grandi sans exaltation, sans exultation ; on lui a fait cultiver le malheur comme d'autres cultivent le paradoxe, comme Pagnol fait cultiver l'authentique au bossu des Bastides, dans "Manon des sources".

Oh !
A vingt-sept ans, le maire de Lestrade-Thouels lui remet le Livret de Famille. Ca le change du Livret Militaire. Fernand prend pour épouse Marthe. Ils se marient un jour de pluie. "Mariage pluvieux, mariage heureux" ? Ca se discute.
Ce couple franco-aveyronnais -tout ce qui dépasse un rayon de cinquante kilomètres autour de la ferme natale est étranger- sera un couple de Terriens, très "terre à terre" : la plaine Toulousaine et les causses Rouergats. Leur crédo : le travail. Leurs amusements d'avant le mariage : "C'était la guerre !"
Je ne sais si mes parents ont oublié qu'ils avaient aussi des prénoms, ou qu'ils pouvaient s'inventer des tournures affectueuses qui les auraient suppléés : je les ai souvent entendu s'appeler : "Oh ! Tu es là ?"
Un "Oh" sonore, qui porte loin -il y a de l'espace à la campagne-, qui interpelle.
Un "Oh" méridional. Pas un "o" ferme, mais un "o" ouvert, avec un "e" final bien prononcé.

(A suivre.)

Joël Fauré

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27 août 2007 1 27 /08 /août /2007 16:38
A la mémoire de mon père.

Livret de famille.
Le chef de famille devra conserver soigneusement ce livret, car il constitue un document précieux qui, par la suite, rendra les plus grands services dans la rédaction des actes de l'Etat-Civil postérieurs au mariage.
Il évitera des erreurs dont la rectification ne pourrait être opérée que par un jugement du tribunal.

Département de l'Aveyron.
Mairie de Lestrade-Thouels.
Mariage du trente septembre mil neuf cent quarante neuf.
Entre Fauré Fernand Pierre Guillaume, né le 29 novembre 1922 à Buzet-sur-Tarn, Département de la Haute-Garonne. Profession : Agriculteur. Domicilié à Buzet-sur-Tarn (Haute-Garonne) Fils légitime de Fauré Emile Célestin, décédé, et de Vabre Hélène, Jeanne.
Et Mademoiselle Trémolières Marthe Madeleine Mathilde, née le 21 novembre 1927 à Lestrade-Thouels, département de l'Aveyron. Profession : sans profession. Domiciliée à Lestrade-Thouels. Fille légitime de Trémolières Pierre et de Lacan Marie.
Contrat de mariage : néant.
Délivré le 30 septembre 1949.

Délivré de famille.

Chiche ! J'appelle le journal "Détective", très lu dans les chaumières fumantes -on y calcine grande quantité de dindes sans que personne ne s'en offusque- et je leur dit que j'ai un scoop : je viens de tuer mon père le jour de Noël.
C'est faux ? Bien sûr. Mais qui me croira ? On croira beaucoup plus que c'est vrai.
Le poison violent était dans le dessert. De la digitaline. C'est un docteur dépressif qui m'en a parlé. Quand il me l'a dit, il ne parlait pas en qualité de docteur, mais en qualité de malade. Nuance.
A l'hebdomadaire "Détective", il faut des mots lourds. Il y a toute une semaine pour les engraisser.
Et puis, si je veux plaire à mon éditeur et publier un nouveau livre, il faut au moins ça : du sensationnel ! Un fait-divers. Ce que tout le monde réprouve. Ce qui fascine tout le monde. Tout le monde souhaite le transgresser.

C'est une photo.

Elle est datée du 23 avril 1967. Elle me paraît importante. Au premier regard, elle ne présente aucun intérêt. Et pourtant, elle est truffée de détails essentiels. Si vous n'avez pas déjà posé ce livre ou changé de blog, pour en parcourir un autre, plus en réponse à ce que vous attendez, je vais vous aider à la décrypter, voulez-vous ?
Ce sont deux maisons, assez distantes, reliées par une route de campagne. L'une est en chantier. Il a fallu quelques briques et pas mal de tuiles. Ca se voit. L'opérateur ou l'opératrice du cliché a fait pression à ce moment-là : quand un homme à mobylette s'apprête à tourner sur le site du chantier interdit au public.
Cet homme, c'est mon père.
Des deux maisons, l'une a été la sienne, l'autre sera la prochaine. Il n'est pas "Cadet Rousselle" : il n'aura qu'une maison à la fois. Mais là, c'est vrai, il est entre deux demeures. Il s'est décidé à "faire construire" sur un terrain transgénérationnel. La "vieille" maison a été vendue à un ancien garagiste de Toulouse. Il saura la réparer.
Si je n'ai aucun mal à vous décrire la belle flore de l'endroit -la frise de la forêt de Buzet, une haie vive aujourd'hui disparue, un chêne sur le bas-côté de la route à qui Electricité de France a écarté les branches pour laisser passer les fils électriques qui, demain ou après-demain, éclaireront "La Maison Neuve" -je dois m'armer d'une loupe pour distinguer un tracteur, un Massey-Ferguson me certifie ma mémoire, d'André Molinier. En cette fin avril, que peut-on bien faire dans les champs ? Labourage ? Semailles ? Une fausse amie-six Citroën, garée au deuxième plan, entrave les précisions.
Ce qui est plus éloquent, c'est toute l'étendue du premier plan. Mon père a imprimé au sol sa marque, sa patte, sa griffe. Il a soigneusement bêché la terre dans des formes mathématiques impeccables, et il a fait croître de superbes planches d'oignons. Je vois là aussi, voisins, des rangs de salade, de la chicorée ou de la scarole sans doute, et quelques pieds d'aillet.
La volonté de l'auteur du cliché n'était assurément pas de mettre en valeur la maison neuve en devenir (on n'en voit qu'une demie-façade), mais bien de "capturer" l'image de mon père...
Une photo volée donc, un instant pris à celui qui aimait vivre terré.

Quelle idée !

Pourquoi m'atteler encore à ce travail d'écriture aléatoire sur mon père ? Après avoir tenté d'approcher ma mère dans "La femme de ma vie", pourquoi remettre de nouveau mon cerveau et mes tripes sur la table ? Pour faire peur aux enfants ? Déjà deux pages écrites sans que je n'en prisse vraiment garde, et affluent à mon écritoire des mots et des moments, vains et banaux lorsqu'ils se laissèrent vivre, qui se revêtissent maintenant d'habits d'apparat.
Le temps a fait son affaire, et demeurent les pleins et les déliés des traits qui plus s'effacent plus laissent de traces.

(A suivre.)

Joël Fauré

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