Le mystère de la chambre orange.
Il faut que je vous décrive la chambre
orange. Celle qui me fut allouée à la mort de mon arrière grand-mère, Marie Sans. "Sans". Il faut que je vous la décrive à la fin août 2003, date à laquelle il m'a fallu de nouveau la rendre.
La chambre orange : elle tient cette teinte dominante du papier peint, au motif de trop grosses fleurs multipliées à l'infini, occultant un feuillage soumis. Multipliées à l'envi jusqu'à l'arrêt
des arêtes, les corolles en colère ont livré force batailles. Les lés étaient beaux neufs. Aujourd'hui défraîchis, ils s'avachissent dans des plinthes classées sans suite et des embrasures. Elle
la tient encore de la pâle lumière diffusée sous un globe orangé comme un agrume amer. Les fleurs ont fané, donc ; le papier tombe en lambeaux lamentables que l'humidité moisit. Au dessus de la
fenêtre, je punaise les lés récalcitrants qui sont devenus incollables sur le malheur d'exister.
Vin fin août 2003. Après une canicule historique. Il demeure dans cette pièce S.A.L.E (Studio, Atelier, Laboratoire, Entrepôt), un fourbi inesploitable sans tri préalable. Ma mère y a entreposé
de nombreuses hardes, habits, vêtements, serviettes, avec défense absolue d'y toucher sous peine de pendaison haut et court. Ces chiffons voisinnent avec mon patrimoine de papier en vrac, les
disques, les livres, les photos, les boîtes-archives ; le si petit bureau d'écolier que je tiens des années soixante-dix et une batterie de bibliothèques dépareillées -celle trouvée dans une
décharge et rafistolée ; celle offerte par ma belle-soeur ; un autre en fer ; une autre, plus potable, en bois-. Rescapé de l'arène du temps, une armoire bancale est là ; le lit-cage n'y est plus
; le lit en bois de mon arrière grand-mère est au garage, en pièces détachées. Et des cartons, des cartons, bourrés de lettres, de fyers, de tickets, de cassettes-audio -production d'archives de
ma période radio- sagement alignés.
La pièce est glaciale l'hiver, bouillante l'été. Frigo et sauna.
C'est tout de même mon royaume où les trésors , les sceptres et les couronnes sont ensevelis sous le négligent amas des communs.
Fin août 2003. "La Reine Mère" du "Roi se meurt" d'Ionesco voit ses jambes se dérober. Ma mère a de plus en plus de mal à marcher, et de plus en plus de mal à le supporter. Mon père hurle :
"Avance, mais avance !..." Ma mère retombe dans son fauteuil, résignée. Elle fait plusieurs chutes. On la ramène dans son lit, comme un poids mort. Et puis un jour, ses jambes refusent
de la porter. Très vite, le diagnostic tombe : "Maladie de Parkinson". Parking song ?
Le pharmacien de Bessières livre un fauteuil roulant. La chambre orange doit être rapidement dégagée pour laisser place à un impressionnant arsenal : nous sont livrés un lit médicalisé équipé de
vérins, ridelles et potence , ainsi qu'un soulève-malade, ressemblant à une grue de chantier. Quel cirque ! Où sont les trapézistes ?
La chambre orange n'en finit pas de livrer ses mystères ; là, la chambre devient une chambre de torture, plus difficile à regarder qu'un donjon sadomasochiste. Mes choses, mes vieux et jeunes
papiers, mes caisses s'exilent au garage, où ils sont empilés à la hâte, dans l'urgence, comme on sauve des objets lors d'une inondation ou un incendie.
Ca arrache de faire ça ; ça remue.
La chambre orange devient une chambre d'hôpital où un escadron d'aides-soignantes se relaie matin et soir.
Ma mère a perdu toute son autonomie. Elle réclame une assistance permanente pour le lever, le coucher, l'habillage, la toilette intime et les repas. ses mains qui ont lavé, brossé, cousu,
tricoté, cuisiné, planté sont mortes et ne saisissent plus rien, ou si mal. Nous lui donnons à manger. Vivement les yaourts, ça descend bien. Je suis affecté tous les week-end à l'aide aux
aides-soignantes. Je deviens le papa de ma maman. Elle devient incontinente.
Lorsque je suis allé acheter des couches au supermarché pour ma maman, ça m'a fait drôle. De là d'où je viens, de "La Naissance du Monde" de Gustave Courbet, jamais je n'aurais
pensé tirer une philosophie.
Vous ne pouvez pas savoir comment ça relativise bon nombre de choses de voir le sexe de sa mère, sans honte, sans pudeur, mais avec tendresse et sans rougir, et de devoir "nettoyer la merde de
son cul". Voyez-vous d'autres mots pour dire ça autrement ? "Je vous au fait un cadeau" dit ma mère à "l'infirmère". "Ca porte bonheur, je vais toucher de l'argent." répond
"l'infirmère". Mais je sais qu'au fond, elle est humiliée d'être ainsi torchée comme une enfant. Ces actes si naturels et si humains me donnent une force extraordinaire.
Ma mère rentre de plain-pied dans la chanson de Brel "Les Vieux" : "... du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil, et puis du lit au lit..."
Sauf que la chambre orange pisseux ne
sent "ni le propre ni la lavande" comme dans la chanson.
Le vrai mystère de la chambre orange au papier peint qui part en lambeaux, aux lés qui tiennent avec des punaises, c'est d'avoir été et de continuer à être multi-fonctions. Mon arrière-grand-mère
Marie y est morte en douceur ; ma mère y geint, immobile, paralysée, en sueurs ; et entre les deux femmes, j'y fus de passage, pas plus gaillard qu'elles deux, élevé dans la culture du
malheur.
Il suffirait de peu pour que la chambre ne fût plus orange : décoller le papier-peint.
n, v, u
En cursive, on peut confondre "je suis venue" et "je suis veuve"... Prenez un crayon et faites donc l'essai...
Ma mère est devenue veuve le 25 décembre 2003. Mon père venait d'apprendre que le Père Noël n'existait pas.
(A suivre.)
Joël Fauré
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UNE CONFIDENCE EROTIQUE
"Première tendance de saison"
par Camille C.
A présent, elle hésitait car ce n'était plus la paire à laquelle elle rêvait depuis deux jours qui lui plaisait le plus.
Pourtant, elle s'était vue porter ces cuissardes. Elle s'était mirée dans la psyché virtuelle, vêtue de la jupe en jean et du pull en cachemire à manches courtes gris anthracite, un foulard de
soie noué serré autour de sa gorge et surtout, elle s'était sentie se les enfiler avec une lenteur et une volupté suffisantes qui aveient provoqué le frémissement déclencheur au bas de son
pubis... La peau du cuir et la peau de ses cuisses transpiraient de la même odeur suave. Mais voilà que ce matin, la vendeuse avait ajouté ces dernières tendances de la saison, dont cette paire
de bottes "au cuir plissé, lui avait-elle dit, si confortables aux chevilles, douces et légères et solides à la fois, pas besoin d'entretien, juste une petite crème incolore
et elles feront plus que la saison..."
Elle s'en moquait bien ; elle ne l'écoutait pas comme c'était son habitude lorsqu'un discours la barbait et que, de toutes façons, elle savait
qu'elle n'en ferait qu'à sa tête. Et puis cette femme lui rappelait un cacatoès avec son oeil rond et sa crête sur la tête. Et puis, ce cuir noir n'était pas fripé, ça faisait vieille peau rideé.
Non, ce cuir était froissé comme le linge est repassé, et ce nouvel aspect l'attirait justement par son côté non fini, comme s'il ne s'était pas laissé travailler par l'artisan, comme si aucun
outil n'avait pu le dompter, comme si l'animal dont il provenait n'était pas mort, comme s'il courait encore, comme s'il respirait, comme un drap que l'on avait chiffonné et transpiré toute une
nuit d'amour.
Le prix ? Cela ne se demande pas et ne se dit pas. Alors, elle se les acheta et jeta le ticket de caisse à la sortie du magasin.
Elle avait déjà chaussé ses bottes et allait retirer sa culotte pour sentir l'effet... et attendre le frémissement déclencheur... plus bas que son pubis.