10 mai 2010 1 10 /05 /mai /2010 16:02

"Et je ne garderai

Pour habiller mon âme

Que l'idée d'un rosier

Et qu'un prénom de femme"

 

Jacques Brel, "Le dernier repas"

 

Cher Jacques,

 

Une femme, après tout, ce n'est qu'un mot. Tout bête. Enlève lui ses deux premières lettres, remplace les par un "h" et un "o" et tu en obtiens un autre : homme. Ce n'est finalement qu'une banale subtilité de vocabulaire. Cela mérite-t-il qu'on s'y appesantisse vraiment ? Mais non !

D'après toi, "dès qu'une femme arrive, l'homme se sent obligé de briller ; quelque chose en lui se compose ou se décompose". Quelle comédie ! Moi, je n'aime pas du tout ça, du tout, du tout...

Vois un peu la pagaille que ça sème partout où ça passe et quoi qu'on fasse : on l'attend, ça vient pas ; on la veut, ça s'en va ; on la cherche, elle est jamais là... Et pourtant, c'est vivant comme toi et moi, ça doit peut-être aussi réfléchir quelquefois... Quand ça se met à être quelque chose de beau et que ça en abuse, c'est bien sciemment ou quand ça se met à parler, c'est souvent pour piéger ou embrigader. Nous n'avons pas de chance : on nous a annexé un accident biologique, une erreur de la nature... Et c'est ça qu'il faut aimer : ce grand complexe sportif et attractif itinérant monté sur deux jambes ? Allons ! Un peu de sérieux. Ressaisissons-nous... Il y a tant d'autres choses à aimer : les animaux, le vin rouge, les carottes rapées...

Quand je pense à tous ces grands observateurs intellectuels devant l'éternel (des auteurs, des hommes d'état, des gynécologues - ceux qui travaillent là où les autres s'amusent - , des amateurs...) qui n'oeuvrent que pour ça, je suis soufflé.

Mais, à moi, on ne m'y prendra pas...

Je te salue, Jacques. J'ai profité d'un instant de répit au bureau pour t'écrire ces quelques mots. A très bientôt. Je dois maintenant rentrer chez moi.

 

Le misogyne.

 

P.S. : Ma femme t'embrasse. Elle aimerait bien t'avoir à dîner un de ces jours. C'est un vrai cordon bleu. Tu sais, elle est adorable...

 

Demain : le météorologue.

 

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29 avril 2010 4 29 /04 /avril /2010 17:03

"Partout je vois à petits pas

Des couples qui s'en vont danser

Mais moi sûrement je n'irai pas

Grand-Mère m'a dit de me méfier"

 

Jacques Brel, "La Foire"

 

Cher Jacques,

 

Je ne sais pas sur quel pied danser... Je n'ai jamais su sur quel pied danser. On a inventé là une bien curieuse façon de se mouvoir. Ceux qui y parviennent aisément possèdent des atouts de la victoire ; ceux qui, par complexe s'y refusent restent sur la touche et n'en finissent pas de faire tapisserie. Une tapisserie que Pénélope a délaissée pour danser avec Ulysse.

Rien n'est plus cruel que de faire "cavalier seul", quand on se retrouve au beau milieu de duos improvisés, soufflé comme un pion inutile au bal des imbéciles.

Il est très étrange, le procédé de séduction qui consiste à faire des pieds, des mains et des hanches pour maîtriser toutes les facettes de ce jeu idiot : il y a d'abord la "valse- hésitation" - J'y vais ou j'y vais pas ? - ; ensuite, la "valse poursuite" : "Cours après-moi et si tu m'attrapes, gare à la danse qui m'attends !" ! Et quand il y a beaucoup de dames sur le damier, prudence : une dame, c'est fou ce que ça mange... Et arrive la valse tournoyante, les yeux bandés comme à Colin-Maillard, tellement débridée qu'on en perd les temps...

Et sans répit déboule le tango, attelage fougueux et renversant.

Oui, il est très étrange le procédé de séduction quand la musique régit et se love dans l'intimité ouaté d'un slow langoureux. Deux pieds forment un "V", deux autres en dessinent un autre ; c'est rare que quatre pieds constituent le "W" d'un mot anglais

Il est très subtil le procédé de séduction qui consiste à feindre qu'on n'est pas un débutant au bal des débutantes.

Ils sont plus nombreux qu'on ne croit tous ceux qui, comme moi, n'arrivent pas à suivre la musique et à dessiner des "W" ; qui ont, un jour, perdu le rythme, trahi par la cadence infernale, distancé par le "la" qui n'est jamais las et qui gigote comme un démené.

Tu le vois, Jacques, je n'ai jamais su entrer dans la danse quand il le fallait et jouer aux jeux de mon âge à mon âge. Mais comment peut-on jouer quand on n'a sous la main ni les règles, ni les accessoires, ni les partenaires ? Vaut-il mieux être un piètre danseur ou un bon perdant ?

 

Le piètre danseur.

 

Prochainement : le misogyne.

 

 

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26 avril 2010 1 26 /04 /avril /2010 17:04

"Je ne rentre plus nulle part

Je m'habille de nos rêves..."

 

Jacques Brel, "Jojo"

 

Cher Jacques,

 

Je suis retourné dans le cinéma de Roubaix après tes adieux... J'ai procédé à l'inventaire et j'ai tout récupéré. Tout était bien là : une guitare, une chope de bière, une pendule d'argent, une autre bière, un manteau de velours, un nez comme un melon, une statue, une valise dans chaque main, un canon, un trou dans la serrure, un petit chapeau, une petite auto, une nappe trop blanche, un accordéon rance, un point à l'envers : une mitraillette, un point à l'endroit : une trompette, une chambre sans berceau, un berceau, un divan de roi, un grand verre de grand'messe, un doigt de couvent, des perles de pluie, des bonbons, du lilas, du fric, deux bouts d'aile, dix éléphants, vingt ans, cent kilos, trois cent trente-trois fois le temps de bâtir un roman et... une dernière bière...

 

L'Accessoiriste.

 

Prochainement : le piètre danseur.

 

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23 avril 2010 5 23 /04 /avril /2010 16:35

"Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent

Qui ronronne au salon qui dit oui qui dit non

Et puis qui nous attend."

 

Jacques Brel, "Les Vieux"

 

Jacques,

 

Cette lettre que tu as présentement entre les mains, je ne l'ai pas écrite aujourd'hui, mais hier. Peu importe, l'essentiel est que tu l'aies reçue. Demain, en effet, c'est-à-dire certainement aujourd'hui puisque tu es en train de me lire et que quelques heures se seront écoulées, j'aurai fui avec le temps.

Toute ma vie, j'ai domestiqué et mesuré le temps et le temps me tue sans mesure, comme un ingrat. Il a planté ses deux aiguilles en plein coeur, il devait être approximativement quelques chose comme "neuve" heure. C'est la nouveauté qui apporte parfois la certitude.

Si - je dis bien "si", (c'est du conditionnel passé, et très passé si, pour une raison ou une autre tu tardes à découvrir ces lignes) ; si - "si" est sans doute le plus joli mot de la langue française -, s'il est encore temps, je voudrais qie tu sauves la pendule d'argent (oui, celle à laquelle tu penses !) du destin que lui réservent mes héritiers. Ils veulent vendre toutes mes pendules, et celle-là comme toutes les autres n'y échappera pas. Eux, ils n'aiment pas les pendules. Ils préfèrent l'argent des pendules. Ils vivent en courant, sans jamais regarder l'heure. Je ne leur en veux pas. Ils doivent être terriblement malheureux...

Pour moi, tout devrait aller beaucoup mieux maintenant : la course contre la montre m'a beaucoup abîmé ; j'ai mérité un peu de repos.

Laisse-moi encore te dire ceci : chaque minute qui s'avance est nouvelle, chaque minute qui s'avance est belle. Nous ne sommes pas bien conscients du merveilleux cadeau qu'est le temps imparti. Seuls, tous les autres pour un seul s'aperçoivent un sale jour qu'il est parti... Il faut savourer chacune de ces minutes à venir comme une liqueur rare et comme si c'était la dernière...

Tout à l'heure devant moi (c'est-à-dire il y a quelque temps derrière toi), j'ai vu, posée à mon chevet, une pendule qui égrenait le temps. Ca a été mon dernier regard posé sur le monde, mon dernier sourire pour la machine qui nous attend. Il ne faut pas en avoir peur. Devant ce monument aux sorts, quand le passé composé se décompose en lambeaux de souvenirs et que le futur antérieur s'affiche dans le présent comme un impératif tendre et cruel, on se joue de la concordance des temps.

Je m'en vais, Jacques. Je m'en vais... Je t'embrasse, je suis bien... Tu vois, tu n'as pas de souci à te faire, je suis bien... On est bien...

 

L'Horloger.

 

Prochainement : l'accessoiriste.

 

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22 avril 2010 4 22 /04 /avril /2010 16:36

"Je ne sais pas pourquoi la nuit

Jouant de moi comme guitare

M'a forcé à venir ici

Pour pleurer devant cette gare"

 

Jacques Brel, "Je ne sais pas"

 

Cher Jacques,

 

Elle a bougé ! La gare a bougé cette nuit même...

J'ai gagné mon pari, Jacques. Toi qui disais : "Dès qu'il y a des gens qui bougent, les immobiles disent qu'ils fuient". Tu prétendais que j'étais de cette trempe. Il est vrai que ma vie était vouée à aider les autres à s'enfuir, en leur intimant même l'ordre du départ... Un jour, t'avais-je dit, ce n'est pas le train qui s'ébranlera, mais bel et bien la gare. On renversera la vapeur. Tope-là : une poignée de main contre un aller-retour au soleil, dans une île du Pacifique. Et elle a bougé, la vieille gare à la marquise rouillée qui a abrité tant d'arrivées et de départs pluvieux.

Vingt ans durant, je suis resté là, sur le carreau, au milieu des mouchoirs agités et des baluchons de la liberté, à envoyer des trains dans la nuit comme on envoie des fleurs à une femme. En parlant des femmes, la mienne prenait souvent le train, un peu comme on prend un calmant. "Je vais chez ma mère" disait-elle. "Tiens, la mienne aussi dit ça" s'étonnait mon ami le garde-barrière. Mais un jour, en ouvrant ses yeux et ses barrières, il a vu sa femme au bras d'un garde-pêche. Il s'est fâché tout rouge ; il a envoyé le garde à la pêche, et il a rossé l'épouse infidèle à pleines mains, sur la place publique. Alors, déjà morte de honte, sans imagination, elle s'est allongée - question d'habitude - sur la voie ferrée. Il n'y avait que le train qui ne lui était pas passé dessus. Un train que je venais juste d'expédier. Que veux-tu, Jacques, elle s'ennuyait, cette pauvre femme, avec ce type qui ne vivait que par les trains. Une femme, il faut que ça exulte. Le garde-barrière, depuis la mort de sa femme, oubliait souvent de la fermer. Il a donc fallu prendre une décision, et on a installé un passage à niveau automatique. Et de ses yeux vides, en mâchant un reste de remords, il regarde passer le train, le dernier amant de sa femme.

Vingt ans durant, je suis resté vigilant, statique comme un sémaphore, flottant dans le vivifiant parfum du voyage de ceux qui vont et viennent et l'âcre odeur de ceux qui demeurent... à attendre que quelque chose bouge...

Et elle a bougé !

Mais hélas, je ne peux honorer l'enjeu : le soleil m'éblouit...et mes yeux sont devenus fragiles...

 

Le Chef de Gare

 

P.S. : Je t'envoie ci-joint une petite coupure de journal. Tu pourras y lire : "La secousse sismique n'a pas fait de victime. Elle a tout juste fait trembler les murs".

 

Demain : l'horloger.

 

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21 avril 2010 3 21 /04 /avril /2010 16:25

"Mourir, cela n'est rien,

Mourir, la belle affaire !

Mais vieillir, oh ! Veillir"

 

 Jacques Brel, "Vieillir"

 

Mon vieux Jacques,

 

Soixante-quinze balais. Je suis un vieux con. Je dois sentir mauvais, j'emmerde tout le monde avec mes tics et je suis sans doute bigot. Mais je m'en fous. Je ne me suis jamais senti aussi serein. "Le bonheur est incompatible avec la jeunesse", tu le sais bien. Je suis revenu de tout et j'attends la mort sans peur désormais. Il m'arrive même de souhaiter qu'elle ne tarde pas trop...

Hier, sur ce petit morceau de terre, avec un carré de ciel bleu au-dessus, j'ai bâti une maison. Dans cette maison, j'y ai amené une femme. Elle est devenue mienne et je l'ai aimée. Mal, mais je l'ai aimée. Je fais amende honorable : j'avais le lourd handicap de n'avoir que vingt ans. Il me semble qu'aujourd'hui, je l'aimerais avec toute ma science amassée. Seulement voilà, il faut apprendre tout en pratiquant si bien que l'on gaspille pas mal de choses. Il faut en rater une cinquantaine avant d'en réussir une. Comment veux-tu t'en sortir ? C'est tellement mal foutu et puis... tout va tellement vite...

Ca va tellement vite qu'un jour, on ne peut plus suivre. Alors on s'arrête. Et comme on n'est plus en mouvement, qu'on n'a plus à se trimballer sans poignée ni garde-fou, on s'entoure de futilités pour se protéger. Ainsi, moi, j'ai un besoin vital de ma radio, de ma cafetière et de la photo sous verre de ma pauvre femme chérie. Et quand parfois, l'aide ménagère, qui vient veiller sur ma bonne santé, déplace par inadvertance un de ces objets, je suis perdu et je deviens insupportable. Un étau enserre l'univers qui s'étrique comme un résumé scolaire.

Je ne suis pas amer, mais bridé, un peu comme si mon cordon ombilical se décicatrisait  et m'attirait vers la terre. Seule la terre est nourricière. Sur cette terre - ma terre - avec au-dessus un carré de ciel changeant, j'ai tracé combien de sillons ? J'ai semé combien de saisons ? Je ne sais plus. Je te l'ai dit, tout va tellement vite... Plus vite que la graine ne germe, bien avant que ne verdisse l'herbe folle... Et malheureusement, on s'arrête souvent avant la récolte...

Je te conseille, mon vieux Jacques, de devenir un formidable vieillard ou alors de ne pas vieillir du tout. C'est une loterie. Je connais des gens de mon âge qui sont plus jeunes que des gars de vingt-cinq ans. Il faut les voir gigoter au bal du 3e âge. Ils partent en villégiature à la mer, ils vont à la pêche avec leurs petits-enfants et ils ont même des maîtresses... Peut-être vieillit-on comme on le mérite ?

A tout à l'heure, mon vieux Jacques.

 

Le Vieux.

 

Demain : le chef de gare.

 

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20 avril 2010 2 20 /04 /avril /2010 16:19

"Tout nu dans ma serviette qui me servait de pagne

J'avais le rouge au front et le savon à la main

 

Au suivant... Au suivant..."

 

Jacques Brel, "Au suivant"

 

Monsieur Jacques Brel,

 

Je me trouvais récemment dans l'une de ces idiotes salles d'attente, avec, cela va de soi, les indispensables affiches démagogiques sur les murs, les fauteuils de mauvais goût, lees plantes vertes dans leurs bacs à arrosage automatique et l'incontournable table basse surchargée de revues et de magazines. La pièce était comble et ne désemplissait pas. Il faut vous dire que, derrière cette antichambre, l'officiant était plutôt du genre compétent... J'étais là depuis plus d'une demi-heure, patient dont la patience s'effritait... J'ai feuilleté un magazine qui parlait de vous. Alors j'ai lu. Vous répondiez au journaliste : "J'aime bien les gars qui disent "Oh ! Ca me fait mal...", c'est pas tout à fait de la faiblesse, c'est peut-être de la sensibilité... enfin, de la tendresse ou de la chaleur..." J'ai relevé les yeux du magazine : une blouse blanche passait. "En réalité, ce sont des hommes qui ont mal aux autres..." La blouse blanche, poliment, a lancé : "A qui le tour ?" (ce qui équivaut à dire : "Au suivant" !) Le suivant était une suivante. Une femme qui portait sur le visage les stigmates d'une profonde meurtrissure. J'ai eu mal à elle... Elle s'est engouffrée dans le chambranle de la porte qui l'a avalée...

J'ai horreur des salles d'attente. On attend toujours trop longtemps. Et l'attente, si elle n'est pas meublée, quand elle devient nerveuse, ouvre les vannes à toutes sortes de pensées qui se télescopent dans les méandres de l'esprit, tandis que le corps s'enlise dans une macération gluante. Pour peu qu'en face et autour de soi d'autres personnes attendent aussi, sans mot dire comme c'est souvent le cas, se regardent en chiens de faïence fragile, s'épient, se commentent, tout devient vite assez insupportable...

Mais ce qui est encore plus éprouvant, c'est d'être intégré dans dans le défilé de suivants et de suivis, focalisés vers un but unique et commun. Avec à la clef un morceau de vie à vivre forcément du mauvais côté du bureau, de la porte, du guichet...

J'allai replonger dans ma lecture quand l'infirmière a réapparu. C'était mon tour. Je me suis extirpé à grand peine de ce fauteuil trop profond et je l'ai docilement suivie. Parvenu à ma destination, j'ai dit bonjour à mon vis-à-vis : il m'a souri, m'a invité à m'asseoir et il m'a dit : "Le dragon s'approche de votre second poumon..."

 

Le Suivant.

 

Demain : le vieux.

 

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19 avril 2010 1 19 /04 /avril /2010 20:31

J'ai de bonnes nouvelles pour celles et ceux qui ont suivi, ici même, pas à pas, la vie et la carrière de Jeannette Mac Donald. Le livre que je lui consacre est en gestation. Les épreuves sont corrigées (que de nuits a travailler "d'arrache-oeil", à traquer le tiret aux abonnés absents, à surprendre un mauvais accord, à débusquer la grossière faute de frappe et frappe de faute...).

Restent à finaliser les deux cahiers de photos sur papier satiné 110 grammes ! Pour le texte, on se "contentera" du papier "bouffant" 90 grammes...

J'ai plaisir à vous faire partager ce qu'en dit la presse.

Cette deuxième quinzaine d'avril, c'est "L'Inter-Forain", le mythique "Rose" (il fut lontemps imprimé sur du papier de cette couleur ; seule la couverture aujourd'hui en pérennise la mémoire) ; "le quinzomadaire d'informations et de publicité intéressant la fête, le cirque et l'industrie de l'amusement et des loisirs" qui fait écho de la sortie prochaine de "Comme un tableau fauve".

Un grand merci à Michel Pierre.

 

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 L'Inter-Forain n° 1501 - 2e quinzaine d'Avril 2010.

 

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19 avril 2010 1 19 /04 /avril /2010 15:51

"Ami, remplis mon verre

Encore un et je vas

Encore un et je vais

Non, je ne pleure pas

Je chante et je suis gai

Mais j'ai mal d'être moi."

 

Jacques Brel, "L'ivrogne"

 

Cher Jacques,

 

Eh oui, la dernière bière, c'était bien la tournée du dragon ! Il a une ardoise chez nous. Son entêtement le perdra.

Mais laissons-là les embuscades et parlons de toi. A l'instant même où j'écris cette lettre, alors qu'au dehors souffle un vent furieux, des amis sont accoudés au zinc. Il ne se passe pas une semaine sans que référence soit faite à vos histoires anciennes qui touchaient le bout de la nuit et allaient jusqu'au fond des chopes. Et comme un leitmotiv court sur les lèvres ton nom : "Ah ! Si Brel voyait ça !..." Pendant que dans le juke-box défile une chanson à la mode... T'en souviens-tu, Jacques, lorsque, dans les grisants effluves du houblon, dans la chaleur des hommes, tu racontais au milieu d'un grand rire tes alcools et tes alcôves. Tu prétendais pouvoir refaire le monde avec des matériaux plus nobles que l'intolérance et la sottise. Disant cela, billet facile, tu commandais à boire pour tout ce qui bougeait. Et nous tous, nous levions nos verres à la santé des lendemains radieux. Alors, tout y passait car tout était permis : les femmes, l'argent, les femmes, les "grooooosses blaaaaaagues", les femmes, le whisky à tes initiales, les femmes, Voltaire, Cervantès, Dutourd, les femmes et même le roi !

Ce n'est que tard dans la nuit, lorsque je posais le volet et ôtais le bec-de-cane, que tu sortais avec la galerie sur le pavé mouillé pour narguer messieurs les ronds-de-cuir et saluer les belles de nuit.

Ce soir, en t'écrivant, je repense à tout ça. En face de moi, dans le juke-box, s'égrène une chanson de toi. C'est "Ne me quitte pas"... De mon arrière-boutique, j'ai pu voir qui a programmé l'appareil. C'est un tout jeune homme. Dix-sept, dix-huit ans peut-être... Il est allé se rassoir, la tête entre ses mains, devant un whisky, tu sais, celui illustré de tes intitiales...

Dehors, il fait nuit, le vent s'est arrêté et il commence à pleuvoir...

 

Le Tavernier.

 

Demain : le suivant.

 

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16 avril 2010 5 16 /04 /avril /2010 16:22

"Mourir de faire le pitre

Pour dérider l' désert

Mourir face au cancer

Par arrêt de l'arbitre."

 

Jacques Brel, "Veillir"

 

Mon cher Jacques,

 

Alors voilà : le dragon a gagné. Mais il aurait pu en être autrement. Oh ! Je sais bien, on dit toujours ça quand on ne peut plus rien, pour se disculper un peu peut-être, mais, c'est le dragon qui a gagné.

Depuis le temps qu'il avait élu domicile au coeur de tes entrailles, il avait peaufiné un travail de sape sournois et engagé une lutte docile mais inégale. Tu as pourtant accepté le duel. Puisqu'il te déclarait la guerre, comme il l'avait déjà déclarée à ton ami Jojo, tu as riposté. Souviens-toi des batailles que tu as gagnées, malgré les alliés maladroits qui, par zèle maladroit ou curiosité malsaine, encombraient ta marge de manoeuvre.

Parfois, au cours de trêves, tu emmenais ton dragon écouter les oiseaux des îles chanter... C'était bien. C'était bon. Mais un jour, tu t'es fait souffler dans les bronches. Les oiseaux n'intéressaient plus ton dragon. Il était mécontent. Il crachait de longues flammes. Il avait le mal du pays. Il t'a fallu rentrer. Ici, nous avons tout l'arsenal pour la chasse au dragon - enfin, je veux dire que nous avons quelques pièges à dragons. Mais certains sont tenaces et se jouent des astuces des trappeurs. La tâche n'a pas été facile. D'autant plus que nous avons été gênés par des requins qui voulaient à tout prix voir la tête de ton dragon. Toutefois, tu as marché près de nous, courageux et lucide, comme un rabatteur de gibier aux aguets des fredaines du capricieux animal. Il fut tantôt sage, discipliné, hésitant entre le repli et l'attaque ; tantôt odieux et implacable. Un jour, déterminé, de lové qu'il était dans sa caverne, il a bougé, l'enfant surdoué, et il a donné l'assaut final. Il a allumé un grand brasier de rousses flammes qui s'est vite transformé en un gigantesque feu d'artifice : lumière vive, gerbes de flammèches ciselées, jets de lave diamantée, feu purificateur...

Après la pluie d'éclats de lumière, vint le beau temps pour tout le temps dans la plaine où tu avais semé. Le beau temps pour tout le reste du temps : l'embellie pulmonaire...

 

Le Chasseur de Dragons.

 

Prochainement : Le tavernier.

 

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