CARNETS

"Tout était signe

Des habitudes s'installèrent. Elles n'oublièrent pas les portemanteaux de mes angoisses. Des syndromes avaient suivis, des succédanés de syndromes : la phobie envahissante qui trouvait ça et là, partout, des niches pour ses statuts. Ici, c'était ça  : SIDA ; là, c'était ceci : SIDA. Tout était signe.
La phobie devenait très dévorante. Elle s'infiltrait dans les gestes les plus anodins. Elle m'ouvrit les portes de son enfer. Alors, plus de répit ; c'étaient sans cesse des gestes répétés, d'étranges cérémonials, des manèges ivres. Une force irrésistible m'astreignait à répéter, répéter, répéter et encore répéter mes scènes de film d'horreur. J'ai déjà parlé, je crois, de la brosse à dents, du papier toilette, de la surprotection rapprochée de mon derrière, des crachats prophylactiques ; il fallait maintenant y rajouter une nomenclature déraisonnable.
Je me vis répéter dix fois la même phrase, me passer, jusqu'à l'obtention du mandat d'arrêter, la main dans les cheveux ; me gratter la joue, l'oreille ou le nombril ainsi qu'une vis sans fin ; me frotter les pantalons, parce que quelqu'un venait de les frôler ; vérifier, vérifier, vérifier, vérifier, vérifier et vérifier encore que la lumière était bien éteinte ; le réveille-matin en position "sonnerie", le robinet d'eau fermé ; placer tel objet à telle place et non à telle autre, le déplacer, le déplacer encore, et puis encore, et puis encore, et puis encore... Une lettre, un mot, un chiffre, une attitude : tout devenait évocation du SIDA. Finalité avouée de ces exercices de style : chasse aux pensées nocives. Si je ne les accomplissais pas, je sentais germer dans ma tête de funestes pensées : le malheur, la nuisance, la mort.

Je sentais germer
dans ma tête
de funestes pensées"


Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Aurora : Que Dieu ou Diable vous entende ! Mais, comme me l'a écrit Christophe André (auteur à succès s'il en est !) les confidences d'un inconnu ne sont pas "vendeuses" Il faudrait que je m'appelle Bigard ou Sophie Favier, et finalement, je préfère m'appeler Joël Fauré.<br /> Tous les éditeurs contactés ont été unanimes pour refuser ma prose...
Répondre
A
Depuis hier au soir, je sentais où vous vouliez nous amener.<br /> Et c'est chose faite désormais.<br /> Ces "Carnets", je le souhaite de toute ma force, doivent absolument voir le jour chez un éditeur!
Répondre