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CARNETS

"Un TOC sévère."

Les obsessions-compulsions n'ont cessé de m'empoisonner l'existence, de me détruire à petit feu. Ce mal qui me ronge au quotidien est un enfer indicible que les littératures parviennent aujourd'hui à traduire. C'est en marche. C'est vital. Les TOC : les reconnaître pour mieux en parler et mieux les combattre.

L'appartement où je survis m'angoisse terriblement. Il est là, à son deuxième pénible étage, dans une rue imprononçable du centre-ville ; une rue étroite, engoncée et bruyante. Comment ai-je pu "m'y faire" ? Ah, oui ! Bien sûr, je ne m'y suis jamais fait. Je suis passé d'un trop grand désert à une trop grande agitation ; d'un trop grand silence à un tintamarre assourdissant. Je suis prisonnier ici. C'est la campagne qu'il me faut ! En fait, je suis un rat des champs qui n'a jamais pu s'acclimater à la ville.

Je note un TOC très sévère. En voici la description : tous les soirs, au coucher, le verre qui me sert à boire l'eau qui accompagne les comprimés "oublie-tout" ne se laisse pas reposer sans encombre. Rinçage et symétrie sont les deux mamelles de la transe. L'évier, la table, le verre sont de l'aventure et participent étroitement. C'est une danse étrange. Je prends le verre, je rince, j'agite, je pose, je reprends. Je rince. J'agite. Je pose. J'égoutte. Je rince. Je pose. J'égoutte. Je pose. Je reprends. J'égoutte. Je pose. Je touche quelque chose (une miette, une aspérité de la table...) Je reprends. J'égoutte. J'agite. Je pose. Je vois quelque chose (un point noir au sol, une brèche dans l'évier, une petite tache...) Je reprends. J'égoutte. Je pose. (Je pense à quelque chose ; là, c'est vaste... Je pense à... "Surtout ne pas penser..." Je pense. Je pense à... Je pense surtout...) Je reprends. Je pose. J'entends un craquement. Je reprends. J'égoutte. J'agite. Je pose. Je reprends. Je pose. Je m'en vais. Je pense. Je reviens. Je recommence.  Je reprends. J'égoutte. J'agite. Je pose.
 Je m'en vais. Je fais quelques pas. Je me retourne. Pas dans n'importe quel sens. Je fais volte-face pour être dans le bon. Je ne dois pas repartir dans ce sens. Je reviens. Je reprends le verre. J'égoutte. J'agite. Je fais : "han !" Mais il ne faut pas faire : "han !" Je pense. Je pose. Je reprends. Je pense à... Je pose. Je m'en vais. Je pense. je pense à... Je reviens. Je prends. J'égoutte. Je pose. Là, c'est clair, tout contribue à créer un climat de crainte et d'insécurité. La peur de la contamination par le Sida est dominante. Les goutelettes du verre contiennent-elles le virus ? La douleur est à son paroxysme. Je reprends. J'égoutte. Je pose. Je pense. Je reprends. Je pose. Le verre a été mal posé. Je l'ai posé trop sec. Il a fait trop de bruit. Je reprends. J'égoutte. Je pose.

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J
Ce commentaire m'encourage énormément. C'est exactement ce vers quoi je tends : s'approcher au plus près d'une maladie insidieuse, et en faire, avec les mots, le descriptif le plus "parlant". Je ne vous cache pas que la tâche est fort ardue. Il faut éviter de tomber dans le pathos... L'empathie, de nos jours, est une denrée rare. Merci fort, Aurora.
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A
Accumulation, répétition des mots, du geste...<br /> Il est important que vous vous continuiez à écrire là-dessus : vos effets de style rendent ce malaise, ce mal-être, directement palpable à qui ne le connaîtrait pas encore.
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