30 septembre 2007
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Le rouleau à dépiquer.
Je suis fier et heureux de pouvoir faire respirer deux mots très beaux dans une même phrase : éteule et javelle.
L'éteule est la tige de blé qui vient d'être fauché dans la force de l'âge et qui reste pied en terre. Si vous convoquez votre mémoire, peut-être vous souviendrez-vous d'avoir marché dans ces chaumes, qui blessaient vos mollets nus, et comme vous n'étiez pas fakir, vous rentriez ensanglanté.
La javelle est un tas de la partie haute et sectionnée, laissée sur le champ à sécher. Ce n'est qu'ensuite qu'entrait en action la biette qui confectionnait les gerbes.
Ramené sur une aire qui n'était en aucun cas de repos, le champ de blé démonté était prié de donner le meilleur de lui-même. Il fallait séparer le bon grain de l'ivraie. Il fallait supprimer la balle au grain. Le fléau, un temps, y pourvut. Je passerai sous silence les fléaux que mon bon papa et moi avons connus : ils ne battaient pas le même grain.
En revanche, je me suis longtemps amusé, enfant, avec un gros rouleau tronçonnique en bonne pierre, sans savoir ce que c'était. Il était là, prêt à rouler, mais ne roulait pas, affaissé qu'il semblait, sous sa lourdeur d'obèse qui ne fait plus d'exercice. Je m'y asseyais dessus, ainsi que sur le trône d'un royaume déchu, et me laisser glisser, façon "Le Roi se meurt". De part et d'autre du cylindre, deux ergots de plein fer refusaient de me dire à quoi ils servaient.
Je voyais semblable instrument ici et là, dans la campagne environnante, réduit à un usage décoratif qu'il ne se soupçonnait pas.
Je dois à la vérité de dire que ce ci-devant rouleau était un rouleau à dépiquer.
Tiré par des boeufs, il était, dès le début du XIXe siècle, utilisé pour écraser la moisson et en extraire la quintessence, celle-là même qui fait grandir les petits enfants, à la campagne comme à la ville.
Un jour, "Oh" l'a culbuté. Il s'est retrouvé sur le flanc, et mon père a déposé dessus une vasque de pétunias.
Le Tarare.
Un mot, à lui tout seul, n'est pas mal non plus. Dans les années cinquante, lorsque ironiquement on disait : "Tarare !", ça voulait dire en quelque sorte : "Chante, beau merle ! Je me moque de ce que j'entends dire ; je n'y crois pas."
"Taratata" en quelque sorte.
L'objet dont je voudrais vous entretenir est aussi beau que le mot. Tarare. Il ressemble à un instrument de musique. Il a une rotondité de contrebasse et des faux-airs de piano. Quoi qu'il en soit, c'est un instrument à vent.
Il était au rebut sous l'appentis de tôle, à même le sol, et lorsque je voulus le sauver de l'anéantissement dans lequel il était tombé, je découvris qu'il s'enlisait dans la terre. Les pieds étaient pourris...
Le tarare servait à tamiser, grâce à un système de pales et de ventilation, les têtes d'épis.
La petite cantate de la nostalgie a fourni de la farine à nos moulins et les dernières rafales de vent d'avant l'orage ont emporté les derniers fétus de paille comme des notes de musique.
L'Objet mystérieux.
Je l'ai connu alors qu'il était encore complet. Il aurait pu faire l'objet d'un jeu télévisé genre "schmilblick" "Qu'est-ce que c'est ? A quoi ça sert ?" Il se présentait sous la forme d'un outil à manche de la famille des tournevis.
Mais en lieu et place du cruciforme, une bonne plaque, plein fer, avec en relief et en négatif, un peu comme sur les timbres de caoutchouc qui donnent des fleurs, des girafes ou des adresses d'huissiers, on lisait deux lettres séparées par un point, encadrées d'élégantes volutes : D.A. D.A ? Comme Dernier Avertissement ? L'usure du temps a fait déchausser la tige du manche de bois. Il ne reste plus que la partie ferrée. Je m'amuse parfois à l'utiliser comme un vulgaire tampon de bureaucrate. D.A : j'ai bien pensé qu'il pouvait être tout simplement une empreinte pour marquer le bétail au fer rouge ? Peut-il servir à des jeux sadomasochistes ? D.A : je serai reconnaissant à quiconque pouvant m'éclairer sur ces forts caractères d'imprimerie.
Je ne me souviens pas avoir interrogé mon père, et j'ai très bien fait : s'interposer entre deux forts caractères ne m'aurait pas donné le B.A-BA du D.A.
(A suivre.)
Joël Fauré
Je suis fier et heureux de pouvoir faire respirer deux mots très beaux dans une même phrase : éteule et javelle.
L'éteule est la tige de blé qui vient d'être fauché dans la force de l'âge et qui reste pied en terre. Si vous convoquez votre mémoire, peut-être vous souviendrez-vous d'avoir marché dans ces chaumes, qui blessaient vos mollets nus, et comme vous n'étiez pas fakir, vous rentriez ensanglanté.
La javelle est un tas de la partie haute et sectionnée, laissée sur le champ à sécher. Ce n'est qu'ensuite qu'entrait en action la biette qui confectionnait les gerbes.
Ramené sur une aire qui n'était en aucun cas de repos, le champ de blé démonté était prié de donner le meilleur de lui-même. Il fallait séparer le bon grain de l'ivraie. Il fallait supprimer la balle au grain. Le fléau, un temps, y pourvut. Je passerai sous silence les fléaux que mon bon papa et moi avons connus : ils ne battaient pas le même grain.
En revanche, je me suis longtemps amusé, enfant, avec un gros rouleau tronçonnique en bonne pierre, sans savoir ce que c'était. Il était là, prêt à rouler, mais ne roulait pas, affaissé qu'il semblait, sous sa lourdeur d'obèse qui ne fait plus d'exercice. Je m'y asseyais dessus, ainsi que sur le trône d'un royaume déchu, et me laisser glisser, façon "Le Roi se meurt". De part et d'autre du cylindre, deux ergots de plein fer refusaient de me dire à quoi ils servaient.
Je voyais semblable instrument ici et là, dans la campagne environnante, réduit à un usage décoratif qu'il ne se soupçonnait pas.
Je dois à la vérité de dire que ce ci-devant rouleau était un rouleau à dépiquer.
Tiré par des boeufs, il était, dès le début du XIXe siècle, utilisé pour écraser la moisson et en extraire la quintessence, celle-là même qui fait grandir les petits enfants, à la campagne comme à la ville.
Un jour, "Oh" l'a culbuté. Il s'est retrouvé sur le flanc, et mon père a déposé dessus une vasque de pétunias.
Le Tarare.
Un mot, à lui tout seul, n'est pas mal non plus. Dans les années cinquante, lorsque ironiquement on disait : "Tarare !", ça voulait dire en quelque sorte : "Chante, beau merle ! Je me moque de ce que j'entends dire ; je n'y crois pas."
"Taratata" en quelque sorte.
L'objet dont je voudrais vous entretenir est aussi beau que le mot. Tarare. Il ressemble à un instrument de musique. Il a une rotondité de contrebasse et des faux-airs de piano. Quoi qu'il en soit, c'est un instrument à vent.
Il était au rebut sous l'appentis de tôle, à même le sol, et lorsque je voulus le sauver de l'anéantissement dans lequel il était tombé, je découvris qu'il s'enlisait dans la terre. Les pieds étaient pourris...
Le tarare servait à tamiser, grâce à un système de pales et de ventilation, les têtes d'épis.
La petite cantate de la nostalgie a fourni de la farine à nos moulins et les dernières rafales de vent d'avant l'orage ont emporté les derniers fétus de paille comme des notes de musique.
L'Objet mystérieux.
Je l'ai connu alors qu'il était encore complet. Il aurait pu faire l'objet d'un jeu télévisé genre "schmilblick" "Qu'est-ce que c'est ? A quoi ça sert ?" Il se présentait sous la forme d'un outil à manche de la famille des tournevis.
Mais en lieu et place du cruciforme, une bonne plaque, plein fer, avec en relief et en négatif, un peu comme sur les timbres de caoutchouc qui donnent des fleurs, des girafes ou des adresses d'huissiers, on lisait deux lettres séparées par un point, encadrées d'élégantes volutes : D.A. D.A ? Comme Dernier Avertissement ? L'usure du temps a fait déchausser la tige du manche de bois. Il ne reste plus que la partie ferrée. Je m'amuse parfois à l'utiliser comme un vulgaire tampon de bureaucrate. D.A : j'ai bien pensé qu'il pouvait être tout simplement une empreinte pour marquer le bétail au fer rouge ? Peut-il servir à des jeux sadomasochistes ? D.A : je serai reconnaissant à quiconque pouvant m'éclairer sur ces forts caractères d'imprimerie.
Je ne me souviens pas avoir interrogé mon père, et j'ai très bien fait : s'interposer entre deux forts caractères ne m'aurait pas donné le B.A-BA du D.A.
(A suivre.)
Joël Fauré