"Diariste."
Je tiens journal. Diariste. J'aime les mots. Je n'ai pas de style. En fait, j'aimerais beaucoup qu'on dise que j'en ai un.
A la librairie la plus proche de chez moi, j'ai feuilleté le dernier livre de Michel Tournier, "Journal extime". Un mot m'a accroché. Un court passage. J'aime. Ca m'a fait
penser que j'ai rencontré à la clinique verte et blanche un ami de Tournier, prof de lettres. Assez entamé au dessus du cou. Le sait. Sympathie brève. Le lendemain, il repartait chez sa
fille. Il m'a pourtant laissé une belle lettre. Je m'étais promis d'écrire un jour à Michel Tournier. J'ai préparé une lettre. Je ne l'ai jamais envoyée.
Je suis sûr que je sens mauvais. J'ai une odeur de moisi qui me colle. Je sens le pâté de maisons de campagne. Dans quelle pièce de Beckett ai-je lu que les gens, les hommes, les
humains sentaient mauvais ? Ils avaient beau se laver, le corps sentait mauvais.
De plus jeune, à la campagne, des odeurs mêlées me reviennent : l'odeur des vaches et de l'étable, celle des fauves chez "la dame du zoo", celle du caoutchouc de l'usine Baudou, celle
des rots de pilchards, de melon l'été, des sueurs séchées, mal ou pas lavées.
Je n'ai porté ni de véritable attention ni de chaussures vernies, ni de polo avec un crocodile sur la poitrine... Les TOC ont éloigné avec la brosse et le cirage toute velléité de porter des
chaussures à lacets. Les blousons, manteaux, canadiennes, pelisses, imperméables mastic, gabardine, duffle-coat, bref les sur-tout ont ramassé les odeurs de friture, de jus et de sauce, et en ont
colporté l'échantillon mieux qu'un représentant de commerce. N'est pas l'inspecteur Columbo qui veut.
Hiver 2001. J'ai sur le dos une horrible canadienne luisante de crasse, puante, décousue au bas des manches, et, rien à faire, je suis paralysé à l'idée d'en changer. Alors je fais avec malgré
tout.
Un oncle aveyronnais meurt à l'âge de 92 ans. Son dernier mot aurait été : "La vie a été courte. Je ne l'ai pas vue passer." ! Que cette phrase fait du bien. Sa fille lègue à
mes parents une grande partie de ses vêtements. Parmi ceux-ci, un blouson en simili-cuir, sans attrait vraiment, mais bien propre, avec de grandes poches, avec ses zips et ses pressions, et deux
petites cordelettes amusantes qui en font le tour, pour le serrer comme une bourse ; matelassé avec sa doublure en deuxième main, en deuxièmes manches. Ce blouson, j'en ai été l'heureux
porteur.
Le marqueur social qu'est le vêtement n'a pas fini de livrer tous ses secrets.
Les hivers se suivent et ne se ressemblent pas. Le blouson de mon oncle a été aussi utile d'une capote dans la Grande Guerre.