LE MIME MARCEAU :
PREMIER COUAC DANS LE SILENCE
Je viens d'apprendre, comme tout le monde, que Marcel Marceau vient de mourir, à l'âge où meurent à peu près les
hommes aujourd'hui. (Sur "France Inter", je trouve que sa mort ne fait pas beaucoup de bruit. C'est voulu ? C'est pour lui rendre hommage ? Etonnant, l'homme était un grand
bavard...)
Je connais tout et rien du mime Marceau.
Parviennent seulement à ma pensée des résonances personnelles :
Laetitia Bégou, jeune et jolie et intelligente femme amoureuse du théâtre, à peine remise d'une rencontre avec Francis Huster -excusez du peu- avait insisté pour me
rencontrer après avoir vu ma pièce "Agence" ; "chose" a été effectuée au buffet de la gare de Toulouse Matabiau. Laetitia était alors élève chez Anne
Sicco, compagne du mime Marceau, à "L'Oeil du silence", à Cahors. -Je ne sais pas ce qu'elle est devenue : elle peut me joindre si elle le souhaite.
Je connais tout et rien du mime Marceau.
S'impose à moi surtout ce texte que je sais par coeur de Raymond Devos, et que j'ai dit au moins trois fois hier :
"Je suis fasciné par le mime, parce que le mime, c'est paradoxal.
Par exemple, un mime qui mime quelqu'un qui se cache derrière un mur ; si c'est un bon mime, on voit le mur et on voit plus le type qui se cache derrière...
Et moi un jour sur scène, je devais mimer un personnage qui n'a rien à faire.
Et ben, j'ai rien pu faire.
Parce que ne rien faire, ça peut se dire mais ça ne peut pas se faire.
Et moi je lui avais donné ma parole de mime que je ne dirai rien.
Alors je suis entré sur scène, comme ça, sans rien dire, sans rien faire... Ca a l'air de rien, mais faut l'faire.
Et plus je ne faisais rien, plus les gens disaient : "Qu'est-ce qu'il fait ? " Parce que les gens sont pas fous ; ils voyaient bien que je faisais quelque chose, mais comme c'était rien, ils
s'attendaient à plus.
Les gens dans la salle qui voyaient que je ne faisais rien, et que je le faisais bien, ont commencé à trouver à redire. Il pourrait au moins faire un geste. Ce que voyant j'ai fait le seul
geste que peut se permettre quelqu'un qui ne fait rien sans qu'on dise il en fait trop : j'ai fait un geste d'impuissance.
Alors les gens dans la salle ont dit : "Qu'est-ce qu-il dit ?"
Alors là, j'ai rompu le silence et j'ai dit : "Mesdames et messieurs, mais je n'ai rien dit."
Qu'est-ce que je j'avais dit là !
Le directeur : "Rideau ! Non seulement je paye un mime à ne rien faire et il le fait pas, mais en plus il ne tient pas sa parole, il parle."
Il m'a dit : "Monsieur, vous n'êtes même pas bon à rien."
Alors le lendemain dans la presse qu'en ont dit les critiques ? Et bien comme je n'avais rien fait, ils n'ont rien dit mais en bien."
Je connais tout et rien du mime Marceau.
J'aime cette jolie phrase que j'ai lue dans le Libé (24 septembre 2007) qui parle de lui :
"Au Japon, où il a rang de "trésor vivant", on le dit "entouré de fantômes que l'on voit".
Je connais tout et rien du mime Marceau. Et si ça se passe comme avec la mort de Beckett en 89, tout reste à découvrir et je vais encore être percuté.
Il suffit parfois que les gens s'absentent pour s'apercevoir qu'ils existaient et qu'on est passé à côté d'eux.
Joël Fauré