19 juin 2007 2 19 /06 /juin /2007 18:04
Cher Jacques,
Je viens de vivre une bien singulière aventure. De celles dont tu es friand, et dont on fait des films ou des chansons... Laisse-moi donc te la conter, tant elle m'obsède comme une comptine lancinante. "Ainsi font, font, font..." Tu le sais, j'ai quitté Paris pour m'installer dans ce village dont tu as pu lire le nom sur le tampon de la poste. Un de ces villages où il ne se passe jamais rien. J'habite sous les toits, dans une grande maison avec des tas de fenêtres, une maison sage posée sur une place, tout au bout d'une longue avenue qui conduit à la gare.
Ma fenêtre surplombe tout ça...
C'était avant-hier soir. Ecartant le rideau, j'ai lancé mes yeux tout au fond, sur la façade de la vieille gare. L'horloge accusait dix-"neuves" heures (c'est la nouveauté qui apporte parfois la certitude.) Un train arrivait... Puis, par un travelling arrière arrière du regard, j'ai remonté l'avenue qu'éclairaient par taches les réverbères. Il faisait sombre, le ciel était bas et chargé ; les hirondelles rasaient le sol. L'orage menaçait... "Ainsi font, font, font..." Et a nouveau, vue plongeante sur la gare : quelqu'un en sortait... D'ici, je ne pouvais distinguer qu'une ombre... L'ombre a emprunté l'avenue... Qui cela pouvait-il être ? Le train, ici, s'arrête si peu. Un fugueur repenti ? Il serait revenu par une nuit plus noire. Un libéré de prison qui a purgé sa peine ? Il aurait une démarche plus lente.
A la faveur du premier réverbère, j'ai vu. Et un éclair a cisaillé le ciel. J'ai vu : c'était une femme, jeune sans doute, aussi jeune que l'éloignement me permettait de le croire... Pour tout bagage, elle portait une valise à la main. Qui était-elle ? Le tonnerre a grondé, la grosse soupape qui obstruait le ciel allait bientôt s'actionner sous l'effet des pistons... "Ainsi font, font, font..."
Au deuxième réverbère, j'ai observé. Oui, la voyageuse était jeune, mais elle avait vieilli de cinq minutes. Et je crois aussi qu'elle était jolie. Aussi jolie que la lueur du réverbère voulait bien me le faire miroiter. Où allait-elle ? Elle n'était pourtant pas imprudente : ses bottes étaient bien trop hautes ; elle n'était pourtant pas dangereuse : son bagage était trop léger...
D'ici, le nez collé au carreau, j'ai essuyé un peu de buée, et, quelques réverbères plus loin, j'ai contemplé : elle était effectivement sublime de beauté. Grande, grâcieusement galbée, éclairée d'un visage harmonieusement habité, couronné d'une luxuriante chevelure brune...
C'est alors que le déluge est tombé. Et la longue chevelure a coulé en cascade jusqu'aux reins ; la pluie a ruisselé sur le doux visage en perles rares... Ainsi font les orages sur les jolies bergères d'entre chien et loup. "Ainsi font, font, font..."
La fille a ouvert plus grand le compas de ses jambes fuselées pour éviter les flaques.
J'ai repoussé le rideau.
Mais les rideaux sont aux fenêtres ce que les draps sont aux lits : des écrans fantasmagoriques pour ceux qui s'ennuient.
J'ai pris mon parapluie et j'ai dévalé l'escalier pour abriter la belle. Parvenu sur la place, il n'y avait plus personne. Plus personne sur cette putain de place, dans ce putain de village, avec ses maisons aux fenêtres fermées. La mienne sanglotait, fouettée par les rafales de pluie.
"Ainsi font, font, font... Trois petits tours et puis s'en vont."

Mon cher Jacques,
"Voiture rouge, blouse blanche et bottes noires" Ce pourrait être le titre d'un livre ou d'une série télévisée à petit budget. Tu y es presque. Ce triptyque résume à merveille l'histoire que j'ai suscitée. Elle n'est pas tout à fait achevée, du fait que je la joue tout en l'écrivant, car je fais aussi partie de la distribution.
Parvenu non sans douleur à un carrefour crucial de l'intrigue, je me permets de venir te solliciter et quêter quelques conseils.
Mais auparavant, pour que tu saisisses bien le sens du film, faisons ensemble un petit retour en arrière et dressons le résumé des chapitres précédents.
Je... L'écrivain pleure de joie... Son premier livre est un succès. Dans cette librairie où il dédicace son ouvrage, une femme s'approche de lui... "J'aime beaucoup ce que vous écrivez." lui murmure-t-elle d'une voix fruitée. Je... Il relève les yeux vers l'inconnue. Elle est jeune, elle est jolie. Et ce qu'il remarque d'abord, c'est son visage souriant et tranquille sous la pluie d'une brune chevelure ébène.
C'est le choc.
Il est irradié par une multitude de sensations : un parfum, d'abord, enivrant, captivant, qu'il a l'impression de bien connaître depuis toujours sans doute, une blouse blanche sous le bras (il apprendra plus tard qu'elle est infirmière) et des bottes. Elle porte des bottes. Noires, belles et hautes. Elle est grande, grâcieusement galbée, un visage harmonieusement habité. Là, devant lui, l'image bien nette, l'héroïne de son roman, la "phemme" qui lui a expliqué toutes les autres "phemmes" - une "phemme", c'est trop compliqué pour ne s'écrire qu'avec un "f" - est incarnée...
Je... Il en tremble de tous ses membres. Elle, elle a remarqué l'effet produit. Elle a appris à le connaître à la lecture de son livre où elle s'est reconnue. Elle a lu, elle s'est reconnue, elle est venue. Et bien sûr, elle va en jouer pour le capturer...
Pourtant, je... Il parle. Il dit n'importe quoi mais il arrive quand même à l'inviter au restaurant pour le soir même. Bien sûr, elle accepte. C'est dans son jeu. Au dessert, ils se connaissent depuis un demi-siècle. Leur rencontre était écrite.
Et la passion s'installe, exclusive, possessive, sublime d'intensité. ELLE est la femme-égérie qui nourrit ses romans ; LUI devient servant-faire-valoir de sa superbe et presque insolente beauté. Ces deux-là se complètent le plus harmonieusement du monde, tous deux très à l'aise dans des rôles taillés à leur mesure. Elle s'évertue à le guérir de sa timidité maladive à l'égard des femmes, qui, très souvent, malgré elles, sont blessantes. C'est son apostolat d'infirmière : si bobo alors calin bisou...
Mais cela n'empêche pas qu'elle aussi domine, chapitre, menace, gendarme, punit... Moi... Lui, il supplie, il se prosterne jusqu'à devenir l'ombre de ses bottes.
Il lui en achète une collection : des noires, des rouges, des blanches, des bleues...
Je... Il lui offre une belle voiture. Rouge, confortable et sûre. Une belle voiture fambant neuve, des chromes luisants aux fauteuils de cuir, pour qu'elle puisse se véhiculer. Autant de cadeaux pour la garder. Mais elle, elle prend ça pour des cadeaux à s'échapper. Les bottes, c'est bien fait pour marcher ? Une voiture, pour voyager ? Alors un jour, elle s'est échappée. Elle a enfilé ses bottes. Noires, belles et hautes. Elle s'est engouffrée dans sa voiture. Rouge, confortable et sûre. Elle a quand même laissé la blouse blanche suspendue au perroquet. Elle est vraiment partie parce qu'un lèche-bottes lui a promis de les lui lècher que mieux que lui... que moi. Elle lui... Elle m'a juste dit : "Je vais voir, attends-moi là..."
Un peu de musique pendant que la voiture s'éloigne.
Arrêt sur image.
Coupez !

C'est donc vers toi, mon cher Jacques, que je me tourne à présent. Ton expérience va m'être utile.
Je me souviens d'un autre triptyque : tu as attendu Madeleine, tu as cherché après Titine, et c'est Mathilde qui est revenue.
Trois cas de figure se présentent à moi : dois-je l'attendre ? Faut-il la chercher ? Va-t-elle revenir ?
Je m'en remets à toi...

(A suivre.)

Joël Fauré

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Brèves :


Aujourd'hui, je donne carte blanche à Camille, pour au moins trois raisons.
L'une d'elles est qu'elle a été une rencontre providentielle.

"J'ai ce désir,
Connais-tu ?
De toi à moi...
Tu me regardes, tu souris, tout commence.
Tu regardes, tu envies, tu commences,
Tu regardes, tu enfles, tu te gonfles,
Tes caresses, de toi, sur moi, tout le long...
Des rivières, de frissons, langoureux, de soupirs
De ce corps, qui te manque, tu l'appelles
                                       Il te répond et tout recommence.
De ton corps, sur mon corps,
Dessous, dessus,
Dedans, dehors, qui va qui vient
                                        Tu me retiens.
Ton regard...
Tu demandes, tu suggères, tu supplies, tu désires...
Venir, parcourir, entrer, sortir, entrer, rester, rester, rester, rester ; S'ATTARDER...
J'aime ton désir, je te désire, tu soupires,
J'entends, ton coeur,
Je sens, ton corps,
Qui s'apaise, qui respire, qui transpire
Jusqu'à ce que tout recommence,
Toi, qui viens, vers moi..."


"Caractères" de Camille
(inédit)

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commentaires

J
teberli : Irrésistiblement, je réponds. "On ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible pour les yeux." a dit quelqu'un que je connais très bien.<br /> Bienvenue ici, Teberli.
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T
irresistiblement je reviens ....<br /> D'abord je me suis dit que je n'avais pas la culture nécessaire pour commenter ...<br /> Et puis .... ma culture est celle du coeur, elle vaut bien celle des livres ...<br /> <br /> -tiens, c'est amusant, nous écrivions ensemble, l'un chez l'autre ;-)) -<br /> <br /> Je ne sais ce que Jacques vous répondit.... mais peut-être a-t-elle eu peur d'étouffer sous tous ces cadeaux..... ou encore peut être lui avez vous donné, en lui offrant les outils, le goût de l'escapade .....<br /> Reviendra-t-elle ..????? l'avenir le dira ...
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T
Voilà...... l'adresse était mal copiée, en effet ...<br /> Désolée du trop peu, mais certains jours ... les mots s'enfuient......
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C
C'est Camille pour les uns et les autres. Puisque notre sacré Joël passe par Aurora pour joindre les autres(ne pas interpréter, risque de confusions:-))), je passe par Joël. Teberli: j'écris, depuis tant de temps, mais n'ai jamais fait lire mes écritures. La genèse d'un manuscrit qui me tient très à coeur et qui s'appelle "Le trouble de Camille", me donne beaucoup de joies. Merci à vous. <br /> Aurora, depuis le temps que je vous lis via Joël et même sur votre site...je vous connais. <br /> Je vois que vous êtes au service des Lettres;nous avons la même passion.Merci à vous. Camille("Caractères") Un petit bonjour pour Marden:-))
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J
Teberli : Trop et peu. Le trop et le peu gâtent le jeu. Venez ici quand vous voulez, vous y serez la bienvenue.<br /> Camille n'a pas de "site", mais elle vous lira et sera sensible à vos compliments.<br /> PS : Les mystères insondables dun "pas toujours très net" ne me permettent pas d'entrer dans votre "maison" depuis la mienne. Je suis obligé de "passer" d'abord chez Aurora. Qu'est-ce que vous y comprenez, vous ? Une enfilade de pièces ???<br /> :o)<br /> <br /> Aurora : Simenon, ses jours en pluie, son style. Grand merci de me comparer à lui.<br /> Avre-vous lu "Lettre à mon Juge" ?Bouleversant.
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