"La parentèle."
Mes relations avec la parentèle se sont dégradées. A l'évidence, je suis un incompris. Je suis étrange et étranger aux miens. Mes
parents ont eu les mots qui tuent. J'ai adopté le mutisme qui est tout aussi douloureux que les frictions. Ma vie est ratatinée.
Lorsque je reviens dans la maison grise l'hiver, verte l'été -parce qu'elle est dans son corset de vigne vierge- je me replonge dans le bain à l'eau croupie.
C'est l'immersion dans le passé. Tout est si pesant, écrasant. Avec mes parents, nous nous épions beaucoup. C'est dur. Je ne sais plus où j'habite.
Savez-vous à quoi je rêve ? D'un petit "chez moi" sans prétention, propre, bien tenu, où je pourrais m'installer sans scrupule sur un canapé, regarder la télévsion sans angoisse ; lire un journal
ou un livre sans compulsion ; aider ma compagne à préparer le repas et faire la vaisselle ; et un bureau, avec un vrai plan de travail, avec une petite bibliothèque, et surtout avec un coin
propret et accueillant pour recevoir mes amis.
En lieu et place de cette normalité qui m'échappe, que trouvons-nous ?
Un minuscule appartement miteux à la ville, puant, qui me répugne, où les choses s'entassent et se dégradent ; où je m'endors dans des draps crasseux, où le ménage ne peut être fait, où j'élève
des moutons...
Une chambre à la campagne, dans la maison grise et verte de mes parents, qui me répugne aussi, qui ressemble à un débarras de sous-préfecture.
Quand je cherche à consulter -quand je peux- ou à réunir des informations sur un sujet, les éléments se dérobent : ce que je cherche à la ville est à la campagne et vice-versa. La "panoplie" dont
je m'entoure ne supporte pas d'être morcelée. Et bien entendu, ce dont j'ai le plus besoin est ailleurs. Cette structure bicéphale aurait bien besoin d'un quartier général !
Je ne sais plus où j'habite.
J'ai l'impression d'être un non-être.
Je suis fatigué mais vivant. Il m'arrive de bouger encore. De toute façon, je peux m'estimer heureux : j'ai dépassé l'âge qu'ont péniblement atteint les artistes maudits.