"L'homme qui vit et
l'homme qui écrit."
Ma soif de vouloir encore mieux connaître Jacques Brel me donna des ailes pour contacter et approcher l'abbé Casy
Rivière -instituteur laïc converti à 30 ans- qui fut un familier du chanteur. Il achevait une vie intense, dans une maison de retraite à Toulouse. Cet homme bon, chaleureux, avait
aussi été l'ami de Claudel, Montherlant (qui lui a dédié "La ville dont le prince est un enfant"), Guitton, Kessel et Mauriac. Oui, je serrais la main de cet
homme qui avait serré la leur. J'étais passablement bien parrainé. L'abbé Rivière est devenu mon ami. Je retiens de lui, entre autres bonheurs distillés, plusieurs belles phrases :
"Il ne faut pas rencontrer les auteurs. L'oeuvre de l'homme est plus grande que l'homme. Mais moi, je n'en fis rien, et je rencontrai..." La seconde : "Aucun destin n'en rencontre
impunément un autre."
Et voici que, plus tard, alors que, timidement, maladroitement, je sors mes textes, écrits sous le joug de la vie, je reproduis le scénario de la rencontre.
Tant qu'ils restent dans des tiroirs, ils ne voisinent qu'avec des cellules miscroscopiques ; mais dès qu'ils prennent l'air -Que la démarche est hasardeuse !- ils tombent sous les yeux et entre
les mains d'êtres pensants et jugeant.
Je n'étais en rien prédisposé à écrire pour le théâtre. Pourquoi donc Thalie est-elle venue me visiter alors que j'étais plus habitué à l'envahissante présence de la fée
Carabosse ? Je ne sais pas.
Ce que je sais avec plus de netteté, c'est qu'ensuite je me suis approché de mes contemporains et leur ai fait partager mes doutes, jetés sur le papier.
Ils ont aimé ce partage et me l'on fait savoir. Comme d'habitude, avec mes silences gênés et maladroits, j'ai bredouillé en rougissant quelque chose dont je ne me souviens plus.
Tout a commencé avec mes collègues de travail qui ont monté l'une de mes pièces.
Et puis après, très vite, des portes se sont ouvertes, dans des pièces où il y avait d'autres portes qui ouvraient sur des pièces où il y avait des gens qui en connaissaient d'autres...
Mais je ne suis pas du "sérail".
Février 2000 : "Orbe, le personnage tout rouge", une curiosité inclassable est en cours de répétition. Des comédiennes et des comédiens mouillent la chemise et défendent mes mots.
Comment ne pas en éprouver de la joie ?
Et eux du courage, celui d'avoir capturé et domestiqué le sauvage que je suis.
L'homme qui vit et l'homme qui écrit a besoin des autres.
C'est le grand mystère de l'échange...