La jeune femme : (Elle s'adresse au public.) Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonsoir. Assis, vous regardez la scène ; vous tournez le dos à quoi ? (1) (Elle s'adresse au musicien : ) Musique, maëstro, s'il vous plaît. (Le musicien entonne un air de jazz. La jeune femme, à la manière des bateleurs de foire, débite son texte.) Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, Nous, Tragédiantes, Comédiantes, nous allons tâcher de ne pas vous faire oublier que vous êtes ici au théâtre, et que vous avez laissé dehors vos... vos... vos... (Couac de la musique.) C'est ça, vos canards. Votre émotion sera notre ambition. Votre rire, votre sourire, votre chagrin ou vos larmes, nous les recevrons et les partagerons, comme de la confiture sur du pain, comme du pain sous de la confiture. Hommes, femmes, enfants, sans-famille et familles recomposées, arrêtez de traverser des villes saturées de pantins téléguidés, un portable soudé à l'oreille. Vous avez fait le bon choix de vous asseoir ici, sans accessoire trop apparent. Vous allez nous entendre dire combien il est difficile de dire...
(Un temps.
Tout à trac, au musicien qui s'est arrêté de jouer :)
Vous dites ?
Le Musicien : Mais je ne dis rien.
La jeune femme : C'est bien ce que je vous reproche.
La Musicien : Le silence est la splendeur des forts et le refuge des faibles. (2)
(Un temps.
Un silence.)
Le Musicien : Le temps, c'est de l'argent. Le silence est d'or. L'éternité, un trésor... Régardez toutes ces pépites qui crépitent...
(Un coup de feu d'un chasseur.
Un oiseau tombe sur le plateau. Un Rouge-queue-noir.)
La jeune femme : (Elle va ramasser l'oiseau mort.)
On ne lui a pas envoyé dire. Pauvre bête. Une espèce protégée : un rouge-queue-noir. Mais celui-là, "ils"
ne l'auront pas. (Elle va cacher l'animal sous un tas de cailloux.)
Parlez-moi encore de votre voyage. Vous ne m'avez pas envoyé de carte postale, mais seulement l'emballage de la carte postale. Un petit sachet de papier dentelé sur le côté. Il y avait écrit : "Je rentre d'un long voyage. Je n'ai pas pu trouver de carte postale. Alors, j'écris sur l'emballage. J'ai aussi oublié de le poster là-bas. J'ai attendu d'être revenu ici pour le glisser dans la première boîte venue... Vous voyez, j'ai pensé à vous..."
Le Musicien : Parlez-moi encore de vous. Je vous laisse cinq minutes pour me parler de vous.
La jeune femme : Mon père est parti chercher des mousserons dans les haies. Je l'attends.
Le Musicien : Il va bien ?
La jeune femme : Il rote toujours son ail qu'il fait venir. Et ma foi, depuis qu'il a
quitté l'usine de bottes en caoutchouc, il peut passer plus de temps à cultiver son jardin...
Le Musicien : Toujours aussi taiseux ?
La jeune femme : ...
Le Musicien : Ouais...
(A suivre.)
(1) Edward Bond
(2) Général Charles de Gaulle
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Brèves :
Entendu :
Ce matin même, sur France Inter, cette belle phrase-hommage à Maurice Jarre, à qui l'on doit la musique de "Lawrence d'Arabie" et "Docteur Jivago" : "Il
donnait des toits de cathédrales aux films pour lesquels il composait."
Retenu :
Roger Borlant, qui a été "mon" personnage tout rouge au théâtre de poche, a été retenu pour jouer l'aubergiste dans "Carmen", de mon camarade Georges Bizet, que j'ai
très bien connu, au théâtre du Capitole de Toulouse, du 3 au 12 avril. Nicolas Joël, metteur en scène, a confié le rôle de la belle gitane à la mezzo-soprano italienne Anna Caterina
Antonnaci.