10 décembre 2009 4 10 /12 /décembre /2009 15:43

En sortant de l'école

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"La Dépêche du Midi" Edition Nord-Est. 6 février 1996.

U
n souvenir ramène à la mémoire d'un garçonnet quelque chose de très beau et de grandiose : sa vie d'écolier et sa bonne vieille école.
Mais dire les sensations anciennes, les réminiscences, sans utiliser les mots du thème : le cuir du cartable, la craie du tableau, etc... relève d'un exercice de haute volée.
Or, l'école de Buzet, ses tuiles, ses briques, son fénestrage en veulent tout autrement et imposent encore une dictée. Il ne serait pas légitime de s'y soustraire.
Les divisions à virgule et l'ardeur imbécile que mettait le garçonnet à ne pas savoir les résoudre ; les tables de multiplication auxquelles il ne sut jamais s'accouder l'ont à jamais condamné à être quelqu'un qui ne compte pas.
Par contre, il se souvient des jolies phrases élaborées par Odette et Edouard Bled, éponymes de ce livre-culte qui a élevé bien des élèves. Depuis, le "Bled" est paumé. Tout comme les manuels de lecture au motif écossais rouge ou vert, seuls détails rescapés de la transe. Malgré tout, des mots et des formules s'imprimaient dans son cortex d'enfant primaire et sauvage. Il savait qu'il le resterait.
De la salle de classe, des jours de long cours subsistent quelques images et quelques cartes-maîtresses. Une maîtresse, ça marque. Une maîtresse, ça laisse des traces.
Sur le bureau, il y avait des serre-livres. C'étaient des biches ou des éléphants. Non, des biches. Porte-cartes murales et porte-plumes, tampons encreurs, jouets-tracteurs en plastique, et vous, les biches, dans quelle brocante dormez-vous ? Et au moins, dormez-vous ? Et vous, le "Bled" paumé que vainement recherche le garçonnet ?
La casquette qu'on lui faisait déjà porter vissée sur le crâne, il se hasardait dans la cour, du bac à sable au dépôt de charbon, de la rigole rouge charriant des emballages de "La Pie qui chante" au muret protégeant les bicycelettes. Posée là, une grosse vasque que le petit garçon a toujours vue vide de sens et de primevères. Il y avait aussi une grosse racine d'acacia. Ou de marronnier. Non, c'était un acacia dont une racine avait mangé le goudron et qui servait de promontoire, d'estrade et d'île déserte.
Plus loin sur l'esplanade, les feuilles d'automne conjuguaient les verbes des poètes : tomber, tournoyer, tourbillonner au présent de l'indicatif à la forme active (Voir Bled). Et ces mêmes bonnes feuilles envoyées par ces mêmes poètes généreux de vent, parlaient comme jamais elles n'auraient dû cesser de le faire.
"Voilà les feuilles sans sève qui tombent sur le gazon. / Voilà le vent qui s'élève et gémit dans le vallon." (Lamartine)
"Les fruits tombant sans qu'on les cueille / Le vent et la forêt qui pleurent / Toutes leurs larmes en automne, feuille à feuille. (Guillaume Apollinaire)
"Et j'ai cueilli, en passant / A l'automne qui dort / le bouquet des trois feuilles d'or" (Henri de Régnier)

Saint-Vincent-de-Paul-Gauguin

Sous les armoiries de la ville (une buse essorant d'or, bécquetant une branche sur une terrasse de sinople), Monsieur Vincent-de-Paul est saintement resté dans sa niche. Sur son coeur, il porte un petit enfant. De sa main dextre, il caresse une tête blonde ou brune qui s'est, de toute façon, un peu fêlée. Il se dit que c'est ici qu'il a trempé ses lèvres pour la toute première fois dans le calice du vin de messe, ensuite bu jusqu'à la lie. Précepteur, il enseignait les bonnes manières. De toute cette histoire, le garçonnet n'a retenu que quelques bribes mais il affirme à qui veut l'entendre qu'un jour, la statue du saint lui a lancé un clin d'oeil.
Puis l'école a cessé d'être. Des locaux plus vastes et fonctionnels ont vu le jour de l'autre côté du village. Puis l'école est devenue vieille. Elle a donné ses murs, imprégnés de l'odeur des compositions silencieuses, que se partagent un médecin généraliste, le "Club des Cheveux d'Argent" et un bar-restaurant qui porte le nom de Paul Gauguin. Le temps passe. Le garçonnet est toujours à la recherhe du"Bled" paumé.

JF

 
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L'ancienne école (mixte) de Buzet", côté "Rue". Photo Pietro Ferralis.

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L'ancienne école (mixte) de Buzet, côté "Cour". Photo Pietro Ferralis.

"Mon cher Joël,
J'ai été très émue par le courrier que tu m'as adressé. Mes élèves, tu le devines, ont tenu une grande place dans mon métier de maîtresse d'école et j'ai gardé d'eux de très bons souvenirs.
Je souhaite que tu puisses te réaliser pleinement dans la voie que tu as choisie. (...)
Reçois, mon cher Joël, mon très affectueux souvenir.
PS : Je suis satisfaite que tu te souviennes du "BLED" si souvent oublié ou même inconnu..."

Telle est la lettre que m'a écrit ma maîtresse d'école, peu de temps après la publication du papier de "La Dépêche"... Très émouvant... Un hommage plus appuyé et plus personnel aurait reflété la gratitude que je lui porte...
"Mais... demain... Oui, peut-être que demain..." 

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"La Dépêche du Midi", 4 septembre 1991. (Entaché d'une magistrale faute d'orthographe !)
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commentaires

J
<br /> Joel<br /> tout est toujours possible<br /> sur les bancs de l'école j'ai fait mon fils<br /> et puis j'ai tout repris<br /> je ne suis pas allée très très loin<br /> mais j'ai pu faire<br /> si l'envie vous tenaille foncez<br /> tout est possible maintenant<br /> belle journée<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Aurora : Pfff... optionnelleS<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Aurora : ...où l'on S'interroge...<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Aurora : Rendre optionnelle l'histoire et la géographie en Terminale dans le même instant où l'on d'interroge sur "l'identité nationale" : quelle hérésie !<br /> <br /> Jeanne : Odeurs d'encre et de craie... Je regrette, oui, vraiment, je regrette d'avoir claqué la porte de l'école (santé, tourments (de "l'élève Torless" de Robert Musil ?) ; et ce rêve d'y revenir<br /> me poursuit...<br /> <br /> <br />
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J
<br /> émotion aussi<br /> à vous lire Joel<br /> à vous découvrir<br /> à nous re-donner les odeurs<br /> et les mots<br /> je vous embrasse<br /> <br /> <br />
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