J'ai fait des recherches archéologiques dans mes archives et réussi à exhumer un document -c'est un texte "de jeunesse"- qui s'avère être l'ébauche de ma pièce "A propos de bottes". Pour la genèse, le voici :
ELLE est debout, sur un tapis rond. Superbe de beauté. Grande. Longue chevelure brune qui ruissselle jusqu'au creux des reins. Yeux clairs et très expressifs.
Entièrement vêtue de noir et blanc : chemise blanche, gants noirs, pantalon de toile blanc glissé dans de longues bottes-cuissardes noires. La main gauche sur sa hanche. La main droite enserre une rose à longue tige qui tapote impatiemment sa cuissarde.
Manifestement, elle attend quelqu'un.
LUI apparaît de la coulisse. Entièrement vêtu de blanc et noir : chemise noire, pantalon blanc. Nus pieds. Il a l'air penaud. Honteux. Tête baissée. Yeux rivés à terre. Mains derrière le dos.
Il s'immobilise à quelques pas d'ELLE, sur un tapis long.
ELLE : C'est maintenant que tu reviens ?
LUI : Je...
ELLE : Approche !
(LUI fait quelques pas.)
LUI : Je...
ELLE : Approche !
(LUI fait un pas.)
ELLE : A genoux !
(LUI s'agenouille. Avec déférence. Front posé au sol. Mains entourant les talons des cuissardes. Il relève la tête. Implorant. Pour toute réponse, elle lui tend une peau de chamois.)
ELLE :Tu sais ce qu'il te reste à faire. Fais les briller. Je veux que l'on puisse s'y mirer.
(LUI entreprend de faire reluire les cuissardes. Il frotte le talon, l'empeigne. Avec application. Il remonte la tige : mollet, jambe, genou, cuisse. De temps à autre, il caresse le cuir. Il s'y regarde comme dans un miroir. Parvenu tout en haut des cuissardes, il pose ses lèvres sur le haut des cuisses. Enhardi, il s'aventure un peu plus, s'approche lentement du pli de l'aine.
A ce moment, ELLE rabat sa main gantée sur l'endroit interdit, sur le jardin défendu.
ELLE : Non.
LUI : Mais...
ELLE : Debout !
LUI : Mais...
ELLE : J'ai dit : "debout" !
(LUI obéit. Il se lève. Face à ELLE. Mains croisées.
Ils échangent un regard d'une grande intensité.
Flottement.)
ELLE : Un pas en arrière !
(Elle pointe sa rose sur la poitrine pour le faire reculer.)
ELLE : Demi-tour !
(LUI fait volte-face.)
ELLE : Ne te retourne pas.
LUI : Mais enfin, qu'est ce-que...
ELLE : Ne te retourne pas. Ferme les yeux.
(LUI ronge son frein. Il réprime l'envie de se retourner.
ELLE ne bouge pas, entretient une attente excitante. Sans mot dire. Pour mieux ménager son effet.
De longues, de lourdes secondes s'égrènent...
Une attente insoutenable...)
ELLE : Pourquoi es-tu parti ?
LUI : Je n'étais pas parti...
ELLE : Pourquoi t'es-tu attardé ?
LUI : Il y avait...
ELLE : Quoi ?
LUI : Il y avait...
ELLE : Qui ?
LUI : ...
ELLE : On ne badine pas avec l'amour.
(Pour ponctuer sa phrase, elle applique un coup de rose sur le postérieur.
LUI frémit de tout son corps, sans crier pourtant.)
LUI : Il y avait longtemps.
ELLE : Je sais. Ferme les yeux.
LUI : Je...
(Elle fouette maintenant avec une régularité de métronome. 1,2,3,4,5. Les premiers coups espacés, savamment administrés. Puis à toute volée. 6,7,8,9,10.
Les pétales de la rose tombent à terre en pluie.
(A suivre.)
Raoul Jefe